Matzneff - Censure et Assomption
L'Église se serait mise à censurer certaines prières jugées trop guerrières. Un prélude à la censure de l'Évangile lui-même, s'indigne Gabriel Matzneff.
PAR GABRIEL MATZNEFF
Publié le 19/08/2015 à 11:37 | Le Point.fr
Des chasseurs alpins italiens transportant une croix, ici en 1997 à Lourdes. Des chasseurs alpins italiens transportant une croix, ici en 1997 à Lourdes.AFP PH
Tout Français qui séjourne régulièrement en Italie aura, au moins une fois dans sa vie, assisté à une cérémonie patriotique au cours de laquelle est récitée la prière des Chasseurs alpins, les célèbres Penne Nere : « Fortifie nos armes contre quiconque menace notre patrie, notre drapeau, notre millénaire civilisation chrétienne. »
Le 15 août dernier, lors de la messe de l'Assomption, les Alpins réunis à Tovena, un patelin situé entre Trévise et Belluno, ont été contraints de réciter leur traditionnelle prière en dehors de l'église, car le prêtre qui célébrait, le père Francesco Rigobello, l'avait jugée trop guerrière et exigeait que lui fût substituée une version censurée, expurgée, la référence aux armes et à un éventuel conflit des civilisations n'étant, selon lui, pas chrétienne. Le président de l'Association des Alpins a objecté que les textes guerriers abondent dans la Bible, ainsi que les invocations au Dieu des armées, mais le siège du curé était fait. Un curé qui, on peut l'imaginer, ne prenait pas là une initiative personnelle, mais agissait suivant les instructions de son évêque.
Écrivains et Alpins, même combat !
Nous savions que dans les maisons d'édition, les vrais directeurs littéraires sont les avocats qui couchent les manuscrits sur le lit de Procuste et coupent tout ce qui dépasse. Sur ce thème, Emmanuel Pierrat avait, voilà déjà plusieurs années, publié un article fort éclairant dans Livres-Hebdo. Écrivains et Alpins, même combat ! Désormais, Dame Anastasie et ses fameux ciseaux ont revêtu la soutane et c'est dans les églises qu'ils exercent leurs talents. La vie d'un écrivain n'est pas facile, mais celle des aumôniers militaires risque de devenir rapidement encore plus incertaine. La prière des Alpins n'est qu'un début. Bientôt, c'est l'Évangile lui-même qui sera censuré, que les prêtres n'auront plus le droit de lire à haute voix lorsqu'ils célébreront la messe : « N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Matthieu, 10, 34.)
Un glaive ? Vous n'y pensez pas ! Ce doit être une erreur de transcription, une coquille d'imprimerie. De même qu'en 1966 fut concoctée entre catholiques, orthodoxes et protestants une détestable traduction française du Notre Père, de même le pape de Rome, le patriarche de Constantinople et celui de Moscou doivent de toute urgence se réunir et s'accorder pour remplacer ce glaive belliqueux par un mot politiquement correct, un mot qui ne puisse offenser personne, un mot qui exclue toute idée de combat, de résistance. Faisons confiance à nos éminents ecclésiastiques, ce mot, ils sauront le trouver.
Réécriture des textes sacrés
Ce qui serait épatant, c'est qu'ils invitent à leur conciliabule le calife barbu qui règne sur le paisible État islamique où il fait si bon vivre, cette Suisse du Proche-Orient. Voilà qui serait œcuménique et dans le sens de l'histoire. Je suis convaincu que le charmant calife Abou Bakr el-Baghdadi, dont toutes les actions sont inspirées par l'amour du prochain, est prêt à les aider dans cette nécessaire réécriture des textes sacrés. Des textes sacrés chrétiens, cela va de soi : la prière des Alpins, l'Évangile selon saint Matthieu, par exemple. Ceux des autres religions, pas question d'y toucher, c'est le bon Dieu lui-même qui les a écrits, et le bon Dieu, c'est bien connu, est le seul romancier qui peut écrire ce qu'il veut, il ne sera jamais poursuivi devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
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L'Église se serait mise à censurer certaines prières jugées trop guerrières. Un prélude à la censure de l'Évangile lui-même, s'indigne Gabriel Matzneff.
PAR GABRIEL MATZNEFF
Publié le 19/08/2015 à 11:37 | Le Point.fr
Des chasseurs alpins italiens transportant une croix, ici en 1997 à Lourdes. Des chasseurs alpins italiens transportant une croix, ici en 1997 à Lourdes.AFP PH
Tout Français qui séjourne régulièrement en Italie aura, au moins une fois dans sa vie, assisté à une cérémonie patriotique au cours de laquelle est récitée la prière des Chasseurs alpins, les célèbres Penne Nere : « Fortifie nos armes contre quiconque menace notre patrie, notre drapeau, notre millénaire civilisation chrétienne. »
Le 15 août dernier, lors de la messe de l'Assomption, les Alpins réunis à Tovena, un patelin situé entre Trévise et Belluno, ont été contraints de réciter leur traditionnelle prière en dehors de l'église, car le prêtre qui célébrait, le père Francesco Rigobello, l'avait jugée trop guerrière et exigeait que lui fût substituée une version censurée, expurgée, la référence aux armes et à un éventuel conflit des civilisations n'étant, selon lui, pas chrétienne. Le président de l'Association des Alpins a objecté que les textes guerriers abondent dans la Bible, ainsi que les invocations au Dieu des armées, mais le siège du curé était fait. Un curé qui, on peut l'imaginer, ne prenait pas là une initiative personnelle, mais agissait suivant les instructions de son évêque.
Écrivains et Alpins, même combat !
Nous savions que dans les maisons d'édition, les vrais directeurs littéraires sont les avocats qui couchent les manuscrits sur le lit de Procuste et coupent tout ce qui dépasse. Sur ce thème, Emmanuel Pierrat avait, voilà déjà plusieurs années, publié un article fort éclairant dans Livres-Hebdo. Écrivains et Alpins, même combat ! Désormais, Dame Anastasie et ses fameux ciseaux ont revêtu la soutane et c'est dans les églises qu'ils exercent leurs talents. La vie d'un écrivain n'est pas facile, mais celle des aumôniers militaires risque de devenir rapidement encore plus incertaine. La prière des Alpins n'est qu'un début. Bientôt, c'est l'Évangile lui-même qui sera censuré, que les prêtres n'auront plus le droit de lire à haute voix lorsqu'ils célébreront la messe : « N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Matthieu, 10, 34.)
Un glaive ? Vous n'y pensez pas ! Ce doit être une erreur de transcription, une coquille d'imprimerie. De même qu'en 1966 fut concoctée entre catholiques, orthodoxes et protestants une détestable traduction française du Notre Père, de même le pape de Rome, le patriarche de Constantinople et celui de Moscou doivent de toute urgence se réunir et s'accorder pour remplacer ce glaive belliqueux par un mot politiquement correct, un mot qui ne puisse offenser personne, un mot qui exclue toute idée de combat, de résistance. Faisons confiance à nos éminents ecclésiastiques, ce mot, ils sauront le trouver.
Réécriture des textes sacrés
Ce qui serait épatant, c'est qu'ils invitent à leur conciliabule le calife barbu qui règne sur le paisible État islamique où il fait si bon vivre, cette Suisse du Proche-Orient. Voilà qui serait œcuménique et dans le sens de l'histoire. Je suis convaincu que le charmant calife Abou Bakr el-Baghdadi, dont toutes les actions sont inspirées par l'amour du prochain, est prêt à les aider dans cette nécessaire réécriture des textes sacrés. Des textes sacrés chrétiens, cela va de soi : la prière des Alpins, l'Évangile selon saint Matthieu, par exemple. Ceux des autres religions, pas question d'y toucher, c'est le bon Dieu lui-même qui les a écrits, et le bon Dieu, c'est bien connu, est le seul romancier qui peut écrire ce qu'il veut, il ne sera jamais poursuivi devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
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