Une histoire qui force le respect
Davy, mai 2015
Publié le 14 mai 2015 - Modifié le 16 mai 2015
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« Free at last, they took your life, They could not take your pride. »
U2, Pride (In the Name of Love).
Un projet a été mis en place par le Conseil de l’Europe sous le thème « Apprendre et enseigner l’histoire de l’Europe du 20e siècle ». Parmi les principaux objectifs visés, il s’agissait particulièrement « d’intéresser les jeunes à l’histoire récente de notre continent et de les aider à établir des liens entre les racines historiques et les défis auxquels est confrontée l’Europe d’aujourd’hui » ainsi que « de les sensibiliser au fait qu’il est important de comprendre le point de vue de l’autre ». Dans le cadre de ce projet, l’ouvrage Enseigner l’Holocauste au 21e siècle a été publié dans l’intention de fournir aux enseignants des supports pédagogiques pour transmettre ces connaissances aux élèves [1]. La neuvième fiche se consacre spécialement à la persécution des témoins de Jéhovah [2].
On y apprend que les Bibelforscher [3] ont commencé à subir des interdictions locales dès 1931. Malgré leur défense judiciaire et des lettres de protestation, ils ont été officiellement interdits en juillet 1935. Pourquoi des mesures bien plus restrictives visaient cette minorité religieuse et non les autres Églises ? Parce que « leurs principes religieux interdisaient aux témoins de Jéhovah de prêter serment à Hitler, d’effectuer le salut hitlérien, d’envoyer leurs enfants à la Hitlerjugend, et surtout de porter les armes », explique Jean-Michel Lecomte. Face au National-Socialisme qui s’affirmait comme une véritable religion vouée au Führer, « là où les autres Églises se sont au mieux contentées de protester, les témoins de Jéhovah contestèrent, s’opposèrent, refusèrent ». En fait, la tentative d’exterminer ce groupe chrétien relève du crime contre l’humanité et non du génocide, puisqu’ils n’étaient pas persécutés pour ce qu’ils étaient, en tant que peuple, mais pour ce qu’ils refusaient volontairement de faire. En effet, ils « furent une très rare catégorie à avoir eu la possibilité d’échapper individuellement à la concentration et à la destruction : il leur suffisait de renier leur foi et d’épouser la religion hitlérienne ».
Pareillement, un ouvrage didactique a été rédigé par deux historiens à l’université dans le cadre d’un programme éducatif lancé par le gouvernement en Suède, afin de combattre le négationnisme et de mieux informer sur la Shoah. En France, le ministère de l’Éducation nationale a contribué à la diffusion dans les collèges et les lycées publics de la traduction française « Dites-le à vos enfants », Histoire de la Shoah en Europe, 1933-1945. Aux côtés de l’horrible sort réservé aux Juifs par le National-Socialisme, les minorités n’y sont pas oubliées, remarque Le Monde : « Le texte est clair, le vocabulaire assez simple sans toutefois être simpliste et rappelle que Tsiganes, handicapés et arriérés mentaux, homosexuels, témoins de Jéhovah, civils polonais, d’Europe de l’Est et prisonniers de guerre soviétiques furent eux aussi victimes des idéologies nazies [4]. » Le professeur Stéphane Bruchfeld et le philosophe Paul Levine y évoquent le courage des témoins de Jéhovah parmi la résistance civile allemande : « Les témoins de Jéhovah étaient des citoyens qui avaient résolu ouvertement de ne pas soutenir le régime, un choix qui leur valut un châtiment rigoureux. Ils refusèrent de prêter serment d’allégeance à Hitler. Pour eux, il n’y avait qu’un seul Dieu, le leur. Cette résistance est exceptionnelle car il leur aurait suffi de signer un document déclarant leur allégeance pour cesser d’être persécutés. Or, très peu d’entre eux le firent. Sur près de 20 000 témoins de Jéhovah, plusieurs milliers furent envoyés en camp de concentration. On estime que 25% des membres de ce groupe périrent aux mains des nazis [5]. »
Dans une recension de l’ouvrage allemand Zwischen Widerstand und Martyrium : Die Zeugen Jehovas im « Dritten Reich », devenu une référence et basé sur la thèse de doctorat de Detlef Garbe [6], le sociologue Jean Séguy partage l’avis de cet historien évangélique, selon lequel « les Témoins ont été le groupe religieux chrétien le plus férocement et le plus systématiquement persécuté par le IIIe Reich ; on a pu comparer leur sort à celui des Juifs et des Tziganes ; ils figurent d’ailleurs souvent à la suite des précédents dans les circulaires administratives de l’époque concernant les “catégories dangereuses” à éliminer [7] ».
Dans un autre livre traduit en français sous le titre La Terreur nazie. La Gestapo, les Juifs et les Allemands « ordinaires », le professeur Eric Johnson souligne également le courage manifesté par les témoins de Jéhovah face à la barbarie nazie : « S’il est un groupe qui osa se dresser contre le régime nazi plus peut-être que nul autre, c’est celui des Témoins de Jéhovah qui éprouvèrent au plus haut degré la férocité de la terreur nazie, pratiquement à égalité avec les Juifs et les Tsiganes. […] S’ils s’étaient montrés disposés à rechercher des compromis avec le nouvel ordre nazi et s’ils avaient confiné leurs activités à la sphère religieuse, à l’exemple de la plupart des autres minorités, les nazis eussent fort bien pu les considérer comme une nuisance secondaire et les laisser plutôt tranquilles. Mais les Témoins de Jéhovah étaient inflexibles [8]. »
Identifiés dans les camps de concentration par le triangle retourné de couleur mauve ou violet, les Bibelforscher auraient pu être libérés en signant simplement un document de renonciation de leur foi et d’engagement à ne plus pratiquer leurs activités chrétiennes. C’est cette particularité parmi les victimes du nazisme qui a suscité un véritable respect chez nombre de déportés et internés à l’époque et suscite encore ce sentiment chez la plupart des personnes qui étudient leur histoire, quelle que soit leur opinion sur les croyances et les pratiques cultuelles de cette communauté. D’autres ont été impressionnés par la solidarité exemplaire qui les unissait dans ces conditions éprouvantes. Edgar Kupfer-Koberwitz, journaliste interné au camp de Neuengamme en tant que prisonnier politique, rapporte le témoignage très émouvant d’un jeune Juif : « Lorsque nous, les Juifs de Dachau, sommes arrivés dans le bloc, les autres Juifs ont caché ce qu’ils possédaient pour ne pas avoir à le partager avec nous. Tu secoues la tête, mais c’est quand même ainsi. À l’extérieur on s’entraidait. Mais ici, où c’est une question de vie ou de mort, chacun veut d’abord se sauver soi-même, et il oublie les autres. Mais que crois-tu que font les Bibelforscher ? Ils doivent travailler très dur maintenant, réparer une quelconque canalisation. Par ce temps froid, ils sont debout dans de l’eau glacée tout au long du jour. Personne ne comprend comment ils font pour supporter. Ils disent que Jéhovah leur donne la force. Ils ont absolument besoin de leur pain, car ils ont faim tout comme nous. Mais que font-ils ? Ils ramassent tout le pain qu’ils ont, en prennent la moitié pour eux-même, et l’autre moitié, ils la donnent à leurs frères qui ont faim, leurs frères dans la foi, qui viennent d’arriver de Dachau. Ils leur souhaitent la bienvenue, les embrassent. Avant de manger, ils prient, et après, ils sont comme transfigurés, avec des visages heureux. Ils disent qu’ils n’ont plus faim. Vois-tu, c’est alors que je me dis : ce sont là les vrais chrétiens, c’est comme ça que je me les suis toujours représentés. Pourquoi ne pouvons-nous pas être comme eux ? avaient préparé un tel accueil ! »
http://www.coe.int/t/dg4/education/remembrance%5CSource%5CPublications_pdf%5CTeachingHolocaustLecomte_FR.pdf
Davy, mai 2015
Publié le 14 mai 2015 - Modifié le 16 mai 2015
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« Free at last, they took your life, They could not take your pride. »
U2, Pride (In the Name of Love).
Un projet a été mis en place par le Conseil de l’Europe sous le thème « Apprendre et enseigner l’histoire de l’Europe du 20e siècle ». Parmi les principaux objectifs visés, il s’agissait particulièrement « d’intéresser les jeunes à l’histoire récente de notre continent et de les aider à établir des liens entre les racines historiques et les défis auxquels est confrontée l’Europe d’aujourd’hui » ainsi que « de les sensibiliser au fait qu’il est important de comprendre le point de vue de l’autre ». Dans le cadre de ce projet, l’ouvrage Enseigner l’Holocauste au 21e siècle a été publié dans l’intention de fournir aux enseignants des supports pédagogiques pour transmettre ces connaissances aux élèves [1]. La neuvième fiche se consacre spécialement à la persécution des témoins de Jéhovah [2].
On y apprend que les Bibelforscher [3] ont commencé à subir des interdictions locales dès 1931. Malgré leur défense judiciaire et des lettres de protestation, ils ont été officiellement interdits en juillet 1935. Pourquoi des mesures bien plus restrictives visaient cette minorité religieuse et non les autres Églises ? Parce que « leurs principes religieux interdisaient aux témoins de Jéhovah de prêter serment à Hitler, d’effectuer le salut hitlérien, d’envoyer leurs enfants à la Hitlerjugend, et surtout de porter les armes », explique Jean-Michel Lecomte. Face au National-Socialisme qui s’affirmait comme une véritable religion vouée au Führer, « là où les autres Églises se sont au mieux contentées de protester, les témoins de Jéhovah contestèrent, s’opposèrent, refusèrent ». En fait, la tentative d’exterminer ce groupe chrétien relève du crime contre l’humanité et non du génocide, puisqu’ils n’étaient pas persécutés pour ce qu’ils étaient, en tant que peuple, mais pour ce qu’ils refusaient volontairement de faire. En effet, ils « furent une très rare catégorie à avoir eu la possibilité d’échapper individuellement à la concentration et à la destruction : il leur suffisait de renier leur foi et d’épouser la religion hitlérienne ».
Pareillement, un ouvrage didactique a été rédigé par deux historiens à l’université dans le cadre d’un programme éducatif lancé par le gouvernement en Suède, afin de combattre le négationnisme et de mieux informer sur la Shoah. En France, le ministère de l’Éducation nationale a contribué à la diffusion dans les collèges et les lycées publics de la traduction française « Dites-le à vos enfants », Histoire de la Shoah en Europe, 1933-1945. Aux côtés de l’horrible sort réservé aux Juifs par le National-Socialisme, les minorités n’y sont pas oubliées, remarque Le Monde : « Le texte est clair, le vocabulaire assez simple sans toutefois être simpliste et rappelle que Tsiganes, handicapés et arriérés mentaux, homosexuels, témoins de Jéhovah, civils polonais, d’Europe de l’Est et prisonniers de guerre soviétiques furent eux aussi victimes des idéologies nazies [4]. » Le professeur Stéphane Bruchfeld et le philosophe Paul Levine y évoquent le courage des témoins de Jéhovah parmi la résistance civile allemande : « Les témoins de Jéhovah étaient des citoyens qui avaient résolu ouvertement de ne pas soutenir le régime, un choix qui leur valut un châtiment rigoureux. Ils refusèrent de prêter serment d’allégeance à Hitler. Pour eux, il n’y avait qu’un seul Dieu, le leur. Cette résistance est exceptionnelle car il leur aurait suffi de signer un document déclarant leur allégeance pour cesser d’être persécutés. Or, très peu d’entre eux le firent. Sur près de 20 000 témoins de Jéhovah, plusieurs milliers furent envoyés en camp de concentration. On estime que 25% des membres de ce groupe périrent aux mains des nazis [5]. »
Dans une recension de l’ouvrage allemand Zwischen Widerstand und Martyrium : Die Zeugen Jehovas im « Dritten Reich », devenu une référence et basé sur la thèse de doctorat de Detlef Garbe [6], le sociologue Jean Séguy partage l’avis de cet historien évangélique, selon lequel « les Témoins ont été le groupe religieux chrétien le plus férocement et le plus systématiquement persécuté par le IIIe Reich ; on a pu comparer leur sort à celui des Juifs et des Tziganes ; ils figurent d’ailleurs souvent à la suite des précédents dans les circulaires administratives de l’époque concernant les “catégories dangereuses” à éliminer [7] ».
Dans un autre livre traduit en français sous le titre La Terreur nazie. La Gestapo, les Juifs et les Allemands « ordinaires », le professeur Eric Johnson souligne également le courage manifesté par les témoins de Jéhovah face à la barbarie nazie : « S’il est un groupe qui osa se dresser contre le régime nazi plus peut-être que nul autre, c’est celui des Témoins de Jéhovah qui éprouvèrent au plus haut degré la férocité de la terreur nazie, pratiquement à égalité avec les Juifs et les Tsiganes. […] S’ils s’étaient montrés disposés à rechercher des compromis avec le nouvel ordre nazi et s’ils avaient confiné leurs activités à la sphère religieuse, à l’exemple de la plupart des autres minorités, les nazis eussent fort bien pu les considérer comme une nuisance secondaire et les laisser plutôt tranquilles. Mais les Témoins de Jéhovah étaient inflexibles [8]. »
Identifiés dans les camps de concentration par le triangle retourné de couleur mauve ou violet, les Bibelforscher auraient pu être libérés en signant simplement un document de renonciation de leur foi et d’engagement à ne plus pratiquer leurs activités chrétiennes. C’est cette particularité parmi les victimes du nazisme qui a suscité un véritable respect chez nombre de déportés et internés à l’époque et suscite encore ce sentiment chez la plupart des personnes qui étudient leur histoire, quelle que soit leur opinion sur les croyances et les pratiques cultuelles de cette communauté. D’autres ont été impressionnés par la solidarité exemplaire qui les unissait dans ces conditions éprouvantes. Edgar Kupfer-Koberwitz, journaliste interné au camp de Neuengamme en tant que prisonnier politique, rapporte le témoignage très émouvant d’un jeune Juif : « Lorsque nous, les Juifs de Dachau, sommes arrivés dans le bloc, les autres Juifs ont caché ce qu’ils possédaient pour ne pas avoir à le partager avec nous. Tu secoues la tête, mais c’est quand même ainsi. À l’extérieur on s’entraidait. Mais ici, où c’est une question de vie ou de mort, chacun veut d’abord se sauver soi-même, et il oublie les autres. Mais que crois-tu que font les Bibelforscher ? Ils doivent travailler très dur maintenant, réparer une quelconque canalisation. Par ce temps froid, ils sont debout dans de l’eau glacée tout au long du jour. Personne ne comprend comment ils font pour supporter. Ils disent que Jéhovah leur donne la force. Ils ont absolument besoin de leur pain, car ils ont faim tout comme nous. Mais que font-ils ? Ils ramassent tout le pain qu’ils ont, en prennent la moitié pour eux-même, et l’autre moitié, ils la donnent à leurs frères qui ont faim, leurs frères dans la foi, qui viennent d’arriver de Dachau. Ils leur souhaitent la bienvenue, les embrassent. Avant de manger, ils prient, et après, ils sont comme transfigurés, avec des visages heureux. Ils disent qu’ils n’ont plus faim. Vois-tu, c’est alors que je me dis : ce sont là les vrais chrétiens, c’est comme ça que je me les suis toujours représentés. Pourquoi ne pouvons-nous pas être comme eux ? avaient préparé un tel accueil ! »
http://www.coe.int/t/dg4/education/remembrance%5CSource%5CPublications_pdf%5CTeachingHolocaustLecomte_FR.pdf