Opération Avent 2014 à Paris : changement de culture
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 21/11/2014 / MODIFIÉ LE 24/11/2014 À 14H16
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Avec l'opération « Avent 2014 » le diocèse de Paris lance une opération d'évangélisation de grande ampleur pour « annoncer le Christ » en rappelant le sens de Noël. Alors que d'ordinaire ce type d'initiatives est piloté par des communautés nouvelles, Avent 2014, par son caractère diocésain, manifeste un renouveau dans la culture de l'Eglise.
Ce n'est pas tout à fait une première mais cela reste novateur : pendant tout le mois de l'Avent le diocèse de Paris demande aux paroissiens « d'annoncer le Christ » à tous les Parisiens. Expositions photos dans les paroisses, concerts sur les parvis, porte à porte, visites à domicile, bénédictions d'appartements – très populaires en Italie – débats dans des cafés, évangélisation de rue... La forme est libre et la créativité bienvenue.
Certes, cela fait belle lurette que les festivals d'évangélisation existent et parler de Jésus dans la rue n'est, en soi, pas nouveau. Mais là où d'ordinaire ce sont des communautés nouvelles comme l'Emmanuel, Aïn Karem, ou des mouvements comme Anuncio qui pilotent ce type de projet, cette fois c'est à un diocèse que l'on doit l'initiative. Et chacune des 106 paroisses de Paris ont répondu présentes à l'appel lancé par l'archevêque André Vingt-Trois il y a un an. Là se trouve la nouveauté et le changement culturel : l'irruption d'une culture missionnaire plus familière aux mouvements et aux communautés nouvelles au sein même des paroisses dans le cadre d'un diocèse.
« Nous avons une réelle habitude de chercher des personnes pour des tâches à assumer pour le service de la communauté : catéchistes, membres d’équipes de solidarité, etc. Nous sommes moins entraînés à détecter celles et ceux qui sont capables, pendant un temps limité et défini de s’engager dans une relation de témoins avec leur entourage : famille, voisinage, milieu de travail, cercles de loisirs et aussi bien des inconnus, expliquait l'archevêque de Paris en 2013. C’est ce que je vous demande pour l’Avent 2014 : nous appuyer sur le fait que, pour beaucoup de nos contemporains, en France, Noël a encore une certaine signification, même si elle nous paraît souvent éloignée du sens chrétien de la foi. »
« La différence entre évangélisation et prosélytisme... »
Mais attention, ce changement culturel est tout sauf un effet de mode. « La culture de l’appel n’est pas simplement un effet de mode ou de nécessité, mais cela fait intrinsèquement partie de la tradition judéo-chrétienne, comme l’acte initial de l’alliance, rappelait le cardinal. Tout le développement qui s’est enclenché d’après le Livre de la Genèse, après l’appel d’Abraham, repose principalement sur cet appel initial. »
Ainsi, il y a 10 ans, pendant la Toussaint, la semaine « Paris-Toussaint 2004 » donnait naissance à 500 actions d'évangélisation à travers la métropole. En 2012, le diocèse de Paris, aux côtés de onze autres diocèses d'Europe, participait à une mission internationale lancée à l'initiative du Vatican, dans la perspective du synode sur la nouvelle évangélisation. Cette fois, « Avent 2014 » est une réponse à l'appel lancé par François à sortir de soi pour aller vers les « périphéries existentielles » de la foi. L'initiative est ambitieuse, le site internet dédié extrêmement professionnel, avec un design assez proche des sites évangéliques les plus pointus (comme l'Eglise Hillsong, par exemple).
Comme tout changement culturel, celui-ci n'a pas manqué de susciter quelques mouvements de surprise. Très investie dans le mouvement Anuncio, un des fers de lance de l'évangélisation directe sollicité par le diocèse pour travailler à « Avent 2014 », Anne-Geneviève a assuré des formations à l'évangélisation directe en paroisse. Elle explique : « Pour certains paroissiens, parler d'évangélisation représente effectivement un changement culturel. Il est arrivé que des correspondants Avent 2014 me conseillent de ne pas prononcer le mot "évangélisation" pour ne pas braquer les gens. Quand cela arrive, je commence en demandant : "Connaissez-vous la différence entre l'évangélisation et le prosélytisme ?" Et le dialogue peut s'instaurer. Il arrive que des gens se lèvent et s'en aillent. Parfois, inversement, nous nous trouvons en face de des gens hyper motivés mais dont nous devons canaliser l'ardeur en expliquant que l'évangélisation n'est pas une croisade. Dans la plupart des cas, les gens restent, prêts à essayer, même si cela ne va pas de soi pour eux au départ et qu'ils ont de fortes appréhensions, ce qui est tout à fait normal. »
Benjamin Monnerot-Dumaine, spécialiste du marketing et correspondant d'Avent 2014 pour la paroisse Saint-Augustin, s'est mis arpenter les trottoirs dans le 8ème arrondissement de Paris à la rencontre des passants il y a quelques mois. « Il ne faut pas croire que les quartiers plus aisés sont les plus faciles... La foi est moins démonstrative et l'évangélisation directe ne va pas de soi. Mais le fait que cela s'inscrive dans une démarche diocésaine rassure les gens qui ont des résistances énormes, souvent à tort, envers les initiatives issues de communautés. »
Petits miracles sur le bitume
Au delà de la rencontre entre les deux univers parfois éloignés que sont celui des paroisses et celui des communautés, il se joue dans Avent 2014 quelque chose de l'ordre des retrouvailles générationnelles. « En formation, poursuit Anne-Geneviève Montagne, j'ai rencontré essentiellement des gens qui n'avaient jamais fait d'évangélisation directe et qui avaient de 50 à 70 ans, une fourchette d'âge différente de celle d'un festival comme Anuncio où sont principalement représentés les 18-35 ans. Quand nous nous sommes retrouvés en binômes dans la rue, il s'est passé une très belle chose : les rencontres se passaient d'autant mieux que les gens étaient frappés de se trouver face à des duos intergénérationnels. D'habitude, nous pensons l'intergénérationnel en termes de service rendu : les jeunes au service des personnes âgées et inversement. Et l'argument du "tu es jeune, tu ne connais rien à la vie" que j'ai parfois entendu en faisant de l'évangélisation tombe de lui même. »
L'autre question, posée à juste à titre par les paroissiens est celle de l'efficacité. Autrement dit, l'évangélisation de rue, est-ce que ça fonctionne vraiment ? Est-ce qu'il arrive que des gens à qui l'on est venu parler de Jésus dans la rue finissent par se convertir ? N'importe quel « évangélisateur » le dira, le but premier est déjà de s'évangéliser, soi. Mais au delà de cette réponse, il arrive que de « petits miracles » fleurissent sur le bitume. C'est le cas d'Alexis qui, après avoir croisé la route de missionnaires d'Anuncio a repris le chemin de la foi. Fraîchement convertie elle aussi, Nathalie Koffi s'est énormément investie dans le projet de la paroisse Saint-Laurent où un prêtre avait trouvé les mots justes pour l'accueillir, 3 ans plus tôt, après une expérience de conversion fulgurante : « Avant ma conversion, si vous étiez venu me parler de Jésus dans la rue, je vous aurais ri au nez... Alors j'ai cherché une manière de toucher les gens qui, comme moi à l'époque, ne se laissent pas approcher. » L'idée de cette jeune chef d'entreprise spécialiste de la communication a été d'organiser une exposition photo composée de portraits de paroissiens sous-titrés par leur verset biblique préféré. « Ils sont libres de s'arrêter ou de poursuivre leur chemin. Mais s'ils s'arrêtent, l'exposition qui commence sur les grilles de la paroisse se poursuit à l'intérieur de l'église et les mène juste devant l'autel. »