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L'Église a-t-elle changé sa doctrine sur la guerre ?

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Josué

Josué
Administrateur

L'Église a-t-elle changé sa doctrine sur la guerre ?
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 07/11/2014 / MODIFIÉ LE 07/11/2014 À 17H12

Alors que la France s'apprête à commémorer le 11 novembre et que certains analystes évoquent l'hypothèse d'une Troisième Guerre mondiale, l'Église renouvelle son discours sur le sujet.

« La guerre ! C'est une chose trop grave pour la laisser à des militaires », s'exclamait Georges Clemenceau avec son habituel sens de la provocation. Alors que la France commémore le centenaire de 1914-1918 et que l'inquiétant développement du terrorisme laisse redouter une sorte de Troisième Guerre mondiale, l'Église a réinvesti le terrain.

La nouvelle nature de la guerre
Le 10 août, le pape François demandait à l'Onu de « tout faire » pour mettre un terme aux violences contre les chrétiens et autres minorités en Irak.
Le 18 août, dans une conférence de presse à bord de l'avion qui le ramenait de Corée du Sud, il précisait : « Dans ces cas où il y a une agression injuste, je peux seulement dire qu’il est licite d’arrêter l’agresseur injuste. Je souligne le verbe : arrêter. Je ne dis pas bombarder, faire la guerre, mais l’arrêter. Les moyens par lesquels on peut arrêter, devront être évalués. »
Le 13 septembre, dans une homélie prononcée au cimetière militaire de Redipuglia, en Italie, en hommage aux victimes de 1914-1918, il actait la nouvelle nature de la guerre : « Aujourd'hui encore, après le deuxième échec d'une autre guerre mondiale, on peut, peut-être, parler d'une Troisième Guerre mondiale combattue “par morceaux“, avec des crimes, des massacres, des destructions… »

Au regard de ces changements, avec le développement mondial du terrorisme, le pape François aurait-il abandonné la posture de Paul VI, lançant son vibrant « plus jamais la guerre » ?
À la suite de Pie XII et du concile Vatican II, qui avaient vu comment les armes atomiques, biologiques et chimiques tendaient indistinctement à la destruction massive de villes et de civils (Gaudium et Spes n° 80), l’Église en était venue à délégitimer le recours éthique à la force pour rétablir la justice, et mettait l’accent sur la construction de la paix. Aucune guerre réelle ne pouvait alors se parer de la justice de la légitime défense.
Dans la lignée de Benoît XV, pape élu en 1914, la guerre est toujours une « folie », une « catastrophe inutile », selon ses propres mots, ou une « aventure sans retour », selon ceux de Jean Paul II. Pourtant, et c’est le paradoxe, c’est bien la théorie de la « guerre juste » avec l’exigence de ses critères qui venait invalider la possibilité de recourir à la violence dans ces cas de guerres contemporaines.

Un réexamen nécessaire
En se prononçant sur la licéité d’arrêter un agresseur injuste dans le cadre du terrorisme, le pape a bien en vue le changement de nature de la guerre qui réclame un réexamen de ce qu’il est encore possible de faire.
« Nos fronts ne sont plus continus comme les tranchées de 1914-1918, expliquait récemment Luc Ravel, évêque aux armées, lors d'une conférence de presse. Les frontières ne sont plus fixes mais poreuses. Tous nos repères traditionnels s'effritent sous nos yeux. Les limites entre univers civil et militaire n'ont plus guère de sens, or tout notre droit international est construit sur cette distinction fondamentale. »
Il ajoutait : « Nous n'avons jamais fait la guerre à la Libye et pourtant nous avons fait la guerre en Libye. Nous n'avons jamais fait la guerre à l'Afghanistan et pourtant nous avons fait la guerre en Afghanistan. Face à ces mutations, nos critères habituels de justice ou de légitimité tombent pratiquement d'eux mêmes. »

Avec sa recherche de moyens à évaluer pour arrêter l’injuste agresseur, le pape François s'inscrit de fait dans une position traditionnelle de l'Église à l’égard de la « guerre juste » comme ultime recours à la force quand le pacifisme absolu serait négation de la justice et signe d’une violence structurelle.
Le catéchisme universel reprend la liste des critères exigeants qui doivent présider à la légitimité du recours à la force : « – que le dommage infligé par l'agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain ; – que tous les autres moyens d'y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces ; – que soient réunies les conditions sérieuses de succès ; – que l'emploi des armes n'entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. »

Comme ses prédécesseurs, il retient la licéité du rétablissement de la justice et comme eux, il privilégie la diplomatie et la recherche de consensus politique international.
Interrogé par La Vie, le politologue François Mabille voyait dans ce geste l'ouverture d'un chemin nouveau pour la diplomatie vaticane. Le passage d'un « moralisme » – rappeler qu'il faut la paix, le pardon, la réconciliation et le dialogue, valeurs pour le moins consensuelles – à une « morale internationale », en affirmant la nécessité d'une « solution politique » qui pourrait impliquer l'option d'une intervention militaire.
Une chose est sûre, en intervenant sur le sujet à plusieurs reprises en si peu de temps, le pape a montré qu'il souhaitait actualiser le dossier parce que la nature même de la guerre a changé.

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