LIVRE
Un tour du monde sans concession des chrétiens persécutés
Fabien Leone - publié le 01/12/2014
Deux ans de travail ont été nécessaires pour accoucher du Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde. Soixante-dix contributeurs de dix-sept nationalités ont apporté témoignages, analyses et reportages sur la communauté religieuse la plus persécutée et discriminée de la planète. Un livre qui fera date.
Un tour du monde sans concession des chrétiens persécutés
« Le pape François a indiqué, chiffres à l’appui, que les persécutions des chrétiens sont plus fortes aujourd’hui qu’au Ier siècle », rappelle Jean-Michel di Falco, évêque de Gap et co-directeur du Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde. S’il est prudent de relativiser cette affirmation, « le droit à la liberté de croyance religieuse reste un droit orphelin et oublié, alors que la liberté religieuse promeut la reconnaissance de l’autre », souligne Timothy Radcliffe, ex-maître général des Dominicains et co-directeur de l’ouvrage.
Dans 140 pays, entre 150 et 200 millions de chrétiens subissent des discriminations, voire des persécutions : « Nous avons voulu aller au-delà de ce constat et donc l’étayer afin de lui donner du sens », explique Samuel Lieven, journaliste à La Croix et coordonnateur de ce « marathon éditorial avec 70 collaborateurs, aux 17 nationalités différentes ».
Les quelque 800 pages de l’ouvrage se déclinent en une série de témoignages, de reportages et d’analyses afin de « varier les approches et surtout ne pas tomber dans le piège de l’exploitation à des fins identitaires et politiques », poursuit-il. « Quel usage politique peut-on faire de ce livre ? Dire qu’il y a une guerre faite aux chrétiens et donc une logique de choc des civilisations ? C’était le défi intellectuel de ce livre : élucider ou récupérer ce phénomène. Nous nous devions de rappeler que les chrétiens ne sont pas l’Occident », résume Andrea Riccardi, historien spécialiste du christianisme et troisième co-directeur du livre.
Ce travail approfondi sur la situation des chrétiens dans le monde a amené les auteurs à « ne pas se cantonner aux conflits purement religieux : au Vietnam, cela n’a rien à voir », prévient Mgr di Falco. Les persécutions ne sont pas forcément dues à une animosité directe contre la religion chrétienne. Si le Mexique et la Colombie sont des pays où le christianisme est très présent, les fidèles sont « persécutés notamment par les cartels de la drogue ! Leur présence pacifique est un rempart contre la violence quotidienne et leur attitude courageuse est une gêne », illustre Andrea Riccardi.
Pour autant, dans certaines contrées, « le christianisme est associé à l’Occident. Les chrétiens sont agressés par ceux qui sont hostiles à l’Europe et aux États-Unis. Il existe donc soit une méconnaissance, soit une hostilité contre cette religion », estime Mgr di Falco.
Le drame de l’Érythrée
La différence est notable entre les massacres du XXIe siècle et ceux du siècle dernier : « On ne compte quasiment plus de persécutions émanant de régimes athées, sauf en Corée du Nord, au Vietnam et en Chine. On pourrait également comparer l’Érythrée à une Albanie africaine ». Un témoignage bouleversant d’Helen Behrane, érythréenne, chrétienne évangélique, enfermée et torturée deux ans et demi dans un container, dévoile les exactions qui ont lieu dans ce pays, indépendant de l’Éthiopie depuis 1993.
Si le document évite les pièges du clash des civilisations et du cantonnement au monde musulman, celui-ci demeure néanmoins une « question majeure du livre. Mais l’islam n’est pas partout, malgré son omniprésence dans les médias. Et puis le terrorisme se réclamant de l’islam est divers : le groupe armé Boko Haram n’est pas l’organisation djihadiste Daesh ».
« Il faut également rappeler qu’il n’y a pas que les chrétiens qui souffrent. Au Moyen-Orient, c’est encore pire pour les musulmans. Il faut entrer dans la souffrance et la partager », ajoute Timothy Radcliffe.
Comprendre l’autre, cet ex-maître général des Dominicains s’y emploie : « En janvier 2014, dans le sud de l’Algérie, en plein milieu d’émeutes très violentes, des jeunes avec des pierres entouraient notre voiture. J’ai bien cru que c’était la fin. Le visage de l’un d’eux était déformé par la haine. En allant au-delà, j’ai vu de la peur puis peut-être de la gentillesse. J’ai finalement vu un homme, mon semblable. »
Il n’en demeure pas moins que « dans le monde musulman, la liberté religieuse peut être vue comme un consumérisme occidental, où l’on consommerait les croyances religieuses comme des biens matériels », poursuit-il.
Aimer son lointain
Le Livre noir de la persécution des chrétiens dans le monde ouvre ses pages à des personnalités non chrétiennes car « c’est une cause qui concerne tout le monde », note Samuel Lieven. Par exemple, le grand rabbin de France Haïm Korsia, auteur d’une chronique, estime que ce livre est « une base pour aller plus loin, plus loin que son prochain. Aimer son prochain, c’est très bien, mais il faut également aimer son lointain. Il faut avoir autant d’empathie pour celui qui est persécuté près de soi que celui loin de soi. Si on le dit, ce livre prend tout son sens ». Tariq Oubrou, imam à la mosquée de Bordeaux, ainsi que le philosophe athée André Comte-Sponville se sont également engagés.
Malgré l’intensité des persécutions religieuses dans le monde, « il y a des raisons d’espérer et cela grâce au courage des acteurs du terrain qui continuent à vivre, à prier et à croire », affirme Mgr di Falco. « Les liens d’amitié avec les autres religions sont autant des gages d’espérance que des réseaux solides pour agir », ajoute Timothy Radcliffe. Et puis, « cette résistance à la souffrance et à l’horreur sans renier sa religion demeure, malgré tout, un magnifique témoignage de foi », reconnaît-il.
Ce livre, « un essai concret et historique », se veut donc « une opération d’honnêteté intellectuelle devant un vide de connaissance sur le sujet », souligne Andrea Riccardi. « Ce n’est pas un livre émotionnel : il n’est pas question de vouloir blanchir les actes regrettables des chrétiens dans l’histoire, ni même d’essentialiser leur souffrance et encore moins de minimiser celle des autres », conclut Samuel Lieven.