[size=33]Pollution: «Des déchets à perte de vue»... La difficile lutte contre les décharges sauvages en Ile-de-France[/size]
ENVIRONNEMENT De nombreux lieux de dépôts sauvages sont recensés en Ile-de-France. Malgré la mobilisation de certaines collectivités et citoyens, les sites ne sont toujours pas entièrement nettoyés…Justine Guitton-Boussion
Publié le 29/01/19 à 09h15 — Mis à jour le 29/01/19 à 09h15
Sur la plaine s'étendant entre Carrières-sous-Poissy, Triel-sur-Seine et Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), la surface de déchets représente environ sept terrains de foot, selon les calculs d'Alban Bernard de "Déchargeons la plaine". — Jacques Witt/SIPA
- Il est impossible de recenser exhaustivement toutes les décharges sauvages de la région Ile-de-France, mais certains lieux sont bien connus, comme la forêt de Saint-Germain-en-Laye et la plaine de Carrières-sous-Poissy.
- Dans le cadre du plan « Ile-de-France propre », la région a donné 5,4 millions d’euros de subventions à différentes communes, pour les aider à nettoyer ou protéger les sites pollués par les déchets.
- La région expérimente actuellement une application « ACDéchets » pour géolocaliser les déchets dans les forêts de Saint-Germain-en-Laye et Fontainebleau. Les élus souhaitent également renforcer le maillage des déchèteries en Ile-de-France. Ils demandent des sanctions plus grandes contre les pollueurs.
- Un projet de requalification de la plaine de Carrières-sous-Poissy devrait être choisi dans le courant de l’année 2019, ce qui entraînerait par la suite le début du nettoyage par la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise.
Sacs-poubelle, cartons, gravats de chantier… Depuis quelques années, les déchets ne cessent de s’amonceler dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Cent quarante-deux tonnes de détritus ont été ramassées en 2017 par l’ Office national des forêts (ONF), sur cette surface représentant près de 3.500 hectares.
La forêt de Saint-Germain-en-Laye est une forêt domaniale, elle appartient à l’Etat. Sa gestion est assurée par l’ONF. Mais en septembre 2018, celui-ci a jeté l’éponge : il n’est plus en capacité de gérer seul le nombre incroyable de déchets déposés dans les forêts de Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi.
Le mois suivant, la région Ile-de-France a décidé d’apporter un soutien financier de 100.000 euros à ces deux communes, dans le cadre du fonds « Ile-de-France propre ». « En l’espace de trois ans, on a débloqué en tout 5,4 millions d’euros de subventions », rappelle Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la région, chargé de l’Ecologie et du développement durable. « Elles ont été versées pour aider les collectivités, soit pour du nettoyage, soit pour des protections de certains sites. Notamment pour bloquer les accès, installer de la vidéoprotection ou des pièges photographiques. Au-delà du nettoyage et du traitement de l’urgence, on essaie d’amener des financements qui puissent être efficaces dans la durée. » Car si le nettoyage de la forêt est une nécessité, il n’a aucun intérêt si de nouveaux déchets apparaissent ensuite.
« Il faut que tout le monde participe »
Une application, nommée « ACDéchets » a également été créée et est en cours d’expérimentation. Elle permettra prochainement aux utilisateurs de signaler des déchets dans les forêts de Saint-Germain-en-Laye et Fontainebleau. « Avoir l’application et géolocaliser les déchets c’est une chose, explique Jean-Philippe Dugoin-Clément. Mais derrière, il faut que ce soit traité quasiment en temps réel. J’espère qu’on pourra avoir l’application fonctionnelle pour le printemps. »
Autre moyen d’action pour la région : faciliter les dépôts en déchèterie. « De septembre 2016 à décembre 2018, on a financé 15 projets de créations ou d’extensions de déchèteries, pour 4 millions d’euros, détaille le vice-président. Il faut essayer de constituer des maillages de proximité pour permettre aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises individuelles d’avoir des solutions de dépôt et de traitement des déchets à proximité. » En 2016, l’Ile-de-France comptait 175 déchèteries fixes et 19 déchèteries mobiles pour le grand public, et 246 points de collecte pour les professionnels (notamment les artisans du BTP).
Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye, est l’initiateur des états généraux de la forêt, qui se sont tenus en novembre 2017. À l’issue de quatre tables rondes, les besoins financiers pour les forêts de Saint-Germain-en-Laye et de Marly-le-Roi ont été estimés à un million d’euros pendant trois ans. Une somme qui servirait là encore à nettoyer, et mettre en place des dispositifs empêchant les dépôts sauvages.
L’édile résume : « Le but est de finaliser une charte, en février ou en mars 2019, qui sera la restitution finale des états généraux, avec les engagements chiffrés et précis que chaque collectivité [communes voisines, département, région] prendra à sa charge. Il faut que tout le monde participe. On peut continuer à dire que ce n’est pas la responsabilité des villes ou de la région, on peut se renvoyer la balle, mais ça ne fera pas avancer les choses. » Et d’ajouter : « J’ai vu ce qui s‘est passé à Carrières-sous-Poissy. Si on n’agit pas, on va se retrouver avec la même situation… »
« J’étais devant un océan de déchets »
La plaine s’étendant entre Carrières-sous-Poissy, Triel-sur-Seine et Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, est tristement célèbre en raison des déchets qui la recouvrent. Alban Bernard, un habitant de Carrières-sous-Poissy, a découvert l’ampleur de la situation en janvier 2018. Alors qu’il se baladait avec son chien, il est arrivé face à la plaine. Et ce fut le choc : « Je ne savais plus où j’étais, se souvient-il. J’étais devant un océan de déchets, à perte de vue. Je n’en voyais pas le bout. Je savais qu’il y avait des déchets, mais je ne pensais pas que c’était dans un état pareil. »
Sur les 330 hectares que compte la plaine, 75 sont recouverts de détritus, selon ses calculs. Cela représenterait près de 7.000 tonnes de déchets. Alban Bernard a alors décidé d’agir, en créant une page Facebook et un site internet nommés « Dégageons la plaine ». En outre, il a lancé une pétition demandant le nettoyage de la plaine, qui a depuis recueilli 2.700 signatures.
Les choses se sont ensuite enchaînées : la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, en charge de la gestion de la plaine, a nommé un groupe de travail. Plusieurs députés ont apporté leur soutien à la mobilisation. Brune Poirson, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a créé en mai 2018 un groupe de travail pour lutter contre les dépôts sauvages de déchets, et renforcer les sanctions. Une étude de l’ Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a également été lancée. Et en novembre 2018, le préfet de la région a même débloqué 800.000 euros pour la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise.
Peu de changements visibles
La communauté urbaine indique que ces 800.000 euros serviront à « l’investissement public local ». Aucune précision n’est donnée sur la nature de cet investissement. La communauté urbaine ajoute cependant que « l’année 2019 devrait permettre le choix des premières actions de requalification ».
Avant de nettoyer et sécuriser le site, la communauté urbaine souhaite déterminer ce que deviendra la plaine, une fois débarrassée de ses déchets. Une décision qui prend du temps, puisqu’elle implique différentes parties prenantes : les communes concernées, les propriétaires fonciers, le département des Yvelines… Dur de se mettre d’accord dans ces conditions.
Le citoyen Alban Bernard, de son côté, s’impatiente. « Je sais que ça avance, mais je constate qu’on fait trois pas en avant et deux pas en arrière, regrette-t-il. Plus on va attendre, plus ce sera compliqué d’enlever tout ça. Avec le vent, les déchets volent partout, et il y en aura de plus en plus. Qu’est-ce qu’on attend ? Certains déchets contiennent de l’amiante et des solvants : ils sont très polluants pour les sols et la nappe phréatique, et
a fortiori pour notre santé. »
Alban Bernard cartographie sur son site internet les décharges sauvages de l’Hexagone dont il a connaissance. Le constat est accablant : plus de 30 lieux sont répertoriés en Ile-de-France, de Rambouillet à Breuil, en passant par Mantes-la-Jolie et la forêt de l’Hautil. Le problème est quasiment toujours le même : les gestionnaires des sites (ONF, communes, propriétaires privés) n’ont pas assez de moyens pour nettoyer. Et les autres régions ne sont pas épargnées non plus. Alban Bernard invite tous les citoyens qui constateraient des dépôts sauvages, n’importe où en France, à les lui signaler par mail, à l’adresse decharges@dechargeonslaplaine.fr.