[size=33]Lyme : des malades en colère soutenus par des parlementaires[/size]
[size=33]Mercredi 3 juillet, des malades et leurs médecins ont manifesté sur l'esplanade des Invalides pour réclamer une relance du plan Lyme qui s'enlise.[/size]
Par Gwendoline Dos Santos
Modifié le 06/07/2019 à 11:44 - Publié le 06/07/2019 à 09:21 | Le Point.frDe nombreux élus étaient présents pour soutenir les malades qui protestent contre le défaut de reconnaissance de leurs souffrances. :copyright: ALAIN JOCARD / AFP
Sous un soleil de plomb sur l'esplanade des Invalides à Paris ce mercredi 3 juillet, le mouvement #EnsembleContreLyme, né il y a trois semaines dans le but de fédérer toutes les associations de malades derrière une seule étiquette, a organisé une manifestation pour mettre fin au déni dont sont victimes depuis des années les malades de Lyme. L'événement initié par Nassera Frugier*, une écrivaine franche-comtoise, elle-même malade et bien malmenée durant son parcours médical, a rassemblé plus de manifestants qu'à l'accoutumée. Quelque 350 personnes d'après notre décompte à l'arrivée du dernier bus. Toutes, ou presque, de blanc vêtues, venues d'Alsace, de Vendée, de Bretagne, du Jura, de Rhône-Alpes…
Certains sont en fauteuils roulants, d'autres peinent avec des cannes dans la poussière de l'esplanade, nombreux sont ceux qui n'ont pas pu venir jusqu'ici, représentés parfois par un proche. « Je sais combien c'est difficile pour les malades de Lyme de se déplacer, beaucoup sont invalides… comme cette place, les Invalides… mais on est déjà malgré tout très nombreux », s'enthousiasme Laura Arnal, rencontrée dans la foule, elle-même terrassée par la maladie il y a quelques années, auteure d'un récent ouvrage**, venue spécialement d'Allemagne pour soutenir l'événement.
« Oui, vous êtes malades ; non, vous n'êtes pas fous ! »
[size=18] Pepito Dias
Mais ce qui frappe avant tout, c'est le nombre de parlementaires présents sur l'esplanade. Pas moins de 35 sénateurs et députés ont fait fi des étiquettes politiques pour faire bloc derrière les malades, s'ériger contre la non-reconnaissance de la forme persistante de maladie, réclamer une amélioration du suivi comme des traitements au long cours, et s'insurger de la confusion régnant autour des recommandations de la Haute Autorité de santé qui ont été contestées par un grand nombre de médecins. Contrairement aux souhaits du Pr Jérôme Salomon dans nos colonnes en avril dernier, elles ont été affublées de recommandations fausses jumelles émanant de la Spilf (Société de pathologie infectieuse de langue française) deux mois après leurs publications. En gros, en France, les médecins, déjà bien perdus face à cette maladie compliquée, se retrouvent à devoir choisir entre deux types de recommandations. Comment font-ils ? Pic et pic et colégram...
« On n'en a rien à faire de l'étiquette politique quand il s'agit de santé », annonce Annie Genevard, députée (LR) du Doubs. « Le patient ne peut plus faire les frais de notre inorganisation médicale », a déclaré le sénateur (UDI) du Doubs Jean-François Longeot. « On vous entend, on vous écoute, on veut vous aider… Oui, vous êtes malades ; non, vous n'êtes pas fous ! » promettait quant à elle Annie Billon, sénatrice (UDI) de Vendée, qui souhaite « des engagements forts ! » du gouvernement. Tandis que François Ruffin député (LFI) de la Somme fustigeait « le déni par la science de la parole des patients » et parlait de « violence sociale » des médecins qui ne savent pas tout et devraient faire preuve de plus d'humilité.
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[size=38]Il faut que la ministre Agnès Buzyn nous entende, vous entende ![/size]
« Notre objectif n'est pas d'interférer dans le débat scientifique », a rappelé de son côté Vincent Descœur, député (LR) du Cantal et coprésident du groupe de travail sur la maladie de Lyme à l'Assemblée nationale, qui recevait le matin même, avec Maud Petit députée (MoDem) du Val-de-Marne, une délégation du mouvement #EnsembleContreLyme à l'Assemblée nationale. Jamais les malades n'avaient reçu en un temps si court autant de messages de soutien des politiques. Maintenant, « il faut que la ministre Agnès Buzyn nous entende, vous entende » ! insistait Bernard Perrut, député (LR) du Rhône.
:copyright: Pepito DiasCar c'est bien l'enjeu, comme nous le confirme Alain Trautmann, chercheur en immunologie, membre du conseil scientifique de la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques (FFMVT) venu lui aussi soutenir le mouvement. « Maintenant, c'est le temps de l'action ! Le Sénat a rendu un excellent rapport rédigé par la sénatrice Élisabeth Doineau [UDI, Mayenne, NDLR], nous attendons que l'Assemblée nationale en fasse autant et que, ensemble, députés et sénateurs fassent pression sur la ministre de la Santé pour enfin prendre des décisions ! Il faut des financements pour la recherche et organiser la formation des médecins, initiale et permanente, sur les maladies vectorielles à tiques. Il faut créer une agence nationale qui chapeauterait ces deux aspects. »
[size=38]C'est dangereux pour une carrière d'être un DocLyme[/size]
Des médecins aussi sont venus témoigner de leur engagement et dénoncer ce manque de formation. À l'image de Nathalie Caradot, médecin à Lyon, « tombée dans le Lyme par hasard » à force de voir des patients en détresse, malmenés par des confrères. « C'est qu'il faut être courageux pour traiter ces patients, c'est dangereux pour une carrière d'être un DocLyme, on risque des poursuites, on est vite inquiétés par le Conseil de l'ordre, dénoncés par des confrères qui nient la maladie... Mais j'estime que c'est mon rôle de citoyenne, mon rôle de médecin, pas question de laisser ces malades sur le bord de la route ! » nous confie-t-elle. Car pour cette généraliste, qui fait partie d'un réseau de quelque 300 médecins décidés, contre vents et marées, à soigner les malades de Lyme, les choses sont claires : « Si un médecin ne fait rien pour ces malades, il brise le serment d'Hippocrate, si les dirigeants ne font rien, c'est une carence de soin, et si les députés, et donc tous les citoyens qui votent pour eux, ne font rien, c'est non-assistance à personne en danger. »
Elle appelle de ses vœux, une prise de conscience de ce déni sanitaire par ses confrères généralistes qui sont en première ligne. « C'est insupportable de voir tant de patients s'entendre dire que tout ça est dans leur tête, ils souffrent vraiment. » Et le Dr Stéphane Gayet n'est pas monté sur l'estrade pour la contredire : « Les maladies psychosomatiques, c'est une invention ignoble ! Les maladies psychosomatiques, ça n'existe pas ! Vous dire : Vous n'avez rien, c'est dans votre tête, c'est criminel ! Celui qui dit ça n'est pas digne d'être médecin ! » s'énerve ce médecin au CHU de Strasbourg, sous un tonnerre d'applaudissements des malades.
Si les responsables de l'association Chronilyme, Christèle Dumas et Bertrand Pasquet, ayant pris part à l'organisation, se félicitent du succès de cette manifestation, ils ont bien compris que le combat est loin d'être terminé.
Des centres de référence qui refusent d'appliquer les recommandations de la HAS !
La fête a été vite gâchée, car c'est dans l'après-midi même, et on peine à croire à un hasard du calendrier, que la Direction générale de la santé organisait le cinquième comité de pilotage du plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme au ministère. Une délégation de #EnsembleContreLyme a tenté de s'inviter au comité, sans succès.
Au sortir du comité, les membres des associations de malades et les scientifiques de la FFMVT faisaient grise mine à la terrasse d'un café de la rue Duquesne. Le point d'étape présidé par le directeur général de la santé a semblé rude. « Nous sommes cinq ans après le premier rapport du Haut Conseil de santé publique qui sonnait l'alerte, trois ans après le début du plan Lyme de Marisol Touraine, un an après les recommandations de la Haute Autorité de santé. Et qu'est-ce qui a avancé concrètement pour mettre fin à l'errance et la souffrance des malades ? À peu près rien », commence Pierre Hecker, coprésident du Relais de Lyme.
L'objet principal de déception est l'annonce des cinq centres de référence pour les maladies vectorielles à tiques retenus, voulus par le plan Lyme. Le comité leur confirmait que « sur les dix centres candidats, tous affichent des positions proches de celles de la Spilf qui refuse d'appliquer les dernières recommandations émanant de la Haute Autorité de santé de 2018, sauf deux, proches de notre fédération, avec le Pr Perronne (hôpital de Garches) et le Dr Raouf Ghozzi (hôpital de Lannemezan). Et de ces deux seuls qui ont la faveur des associations de malades, aucun n'a été retenu ! On vient de prendre un 5-0 », rage Hugues Gascan, secrétaire général de la FFMVT, directeur de recherche au CNRS, encore sonné par l'annonce.
Anne Colin, présidente de Lympact, est tout aussi en colère. « Le directeur général de la santé nous incite désormais, nous associations, à faire des démarches pour se rapprocher de ces centres de référence élus ! C'est super ! Mais ils sont tous anti-Lyme, quels sont les malades qui ont envie d'y retourner ? Dans tous ces hôpitaux, ils ont été maltraités ! Pour moi, ce choix du DGS qui a vu les malades à Garches [où il était professeur avant d'être nommé à la Direction générale de la santé, NDLR] est incompréhensible ! »
Un plan qui s'enlise
En réalité, c'est un jury indépendant dirigé par le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'institut Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie de l'Inserm, qui a tranché. De ce jury ont été exclues les associations de malades de Lyme, considérées trop proches des deux candidats précités et remplacées, par souci de démocratie sanitaire, « par des associations de malades lambda, qui ne connaissent rien au Lyme ! » ajoute Anne Colin. Ce plan Lyme qui sonnait comme un soulagement pour les malades à son annonce en 2016 s'enliserait-il ? « Pourtant la pièce est bien écrite, les dialogues sont bien faits, ce sont certains acteurs qui sont à ch… ! » surenchérit Hugues Gascan.
Pourtant, il y a urgence, car la maladie court toujours. Et les nouvelles statistiques quant au nombre de malades de Lyme dévoilées ce mercredi en témoignent. Car si les chiffres avaient semblé fléchir en 2017, le nombre de nouveaux cas de malades de Lyme est en « augmentation significative ». Passant de 47 000 cas en 2017, à 68 500 en 2018, d'après le réseau Sentinelles. « Et cela ne comptabilise que les formes primaires de la maladie, avec érythème migrant ! Donc même pas la moitié des malades », précise Hugues Gascan.
Pour trancher le conflit de recommandations, le comité a fait savoir qu'un nouveau groupe de travail entre les parties serait lancé pour émettre des recommandations nationales actualisées… « Et c'est reparti pour un tour… » soupire Alain Trautmann qui a rejoint entre-temps ses collègues depuis l'hôpital Cochin à vélo. On le voit repartir, il pédale, et ça nous ferait presque penser au plan Lyme…
Vidéo de prévention réalisée par l'association Lympact, la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques, avec le soutien de Santé publique France et de la Direction générale de la santé :