A Jérusalem, les chrétiens entre résignation, attente et espérance
MARIE-LUCILE KUBACKI, À JÉRUSALEM
CRÉÉ LE 23/05/2014 / MODIFIÉ LE 23/05/20
A deux jours de l’arrivée du pape François, si les abords de la ville ont été parsemés de drapeaux jaunes et blancs, aux couleurs du Vatican et qu’une grande affiche trône dans le quartier chrétien de la vieille ville, les signes extérieurs d’attente se font plutôt discrets. S’il est une chose visible, en revanche, c’est le poids de la sécurité.
Tout est fait à Jérusalem pour ne pas échauffer les esprits. Rien de comparable, par exemple, avec la frénésie qui avait embrasé Rio à l’approche des JMJ. En effet, la multiplication depuis quelques temps de tags antichrétiens d’un mouvement ultra nationaliste israélien nommé « Price Tag » (le prix à payer), les menaces de mort reçues par Mgr Giacinto-Boulos Marcuzzo, l’évêque de Nazareth, il y a un mois et les manifestations récentes de quelques centaines de juifs ultra-orthodoxes aux abords du Cénacle (lieu dont l’administration fait l’objet de négociations entre Israël et le Saint-Siège) entretiennent un climat où il est de bon ton d’adopter une certaine prudence.
Les chrétiens privés de pape
« Bien sûr, je suis heureux que le pape vienne, c’est important de venir parler de paix, explique un chrétien de la vieille ville de Jérusalem, mais il y a des blessures tellement profondes de tous les côtés… Pourtant, l’Eglise a demandé pardon aux juifs mais il y a encore beaucoup de souffrance. C’est comme ça. » Cette attente des chrétiens de Jérusalem est d’autant plus marquante qu’ils ne pourront pas voir le pape. En effet, le dispositif de sécurité est tel qu’un couvre feu exceptionnel a été décrété : les maisons, les hôtels et les magasins qui se trouvent sur le chemin de François devront être fermées et il sera interdit à leurs occupants de s’approcher des fenêtres et des volets.
« Nous l’acceptons. Que pouvons-nous faire d’autre ? », explique le propriétaire musulman d’un hôtel situé dans la partie chrétienne de la vieille ville dont l’établissement, concerné par la mesure, a dû annuler la quasi-totalité des réservations. Ce qui se profile n’aura rien à voir avec le bain de foule qu’avait pris Paul VI, accueilli triomphalement dans la ville.
Comme le rapporte le site internet de Terre Sainte magazine, des catholiques sur place ont même écrit au Délégué apostolique de Jérusalem et de la Palestine pour « réclamer le "droit légitime" de venir à la rencontre de leur chef spirituel lors de sa visite à Jérusalem, et spécialement quand il se rendra au Saint-Sépulcre ». Par ailleurs, « ils font part de leur regret d'être exclus de la rencontre historique entre le pape catholique et le patriarche des Églises Orthodoxes et dénoncent le couvre feu comme moyen établi par la puissance occupante de "nier notre existence". »
Une petite minorité fragmentée
Dans ces circonstances, l’appel à l’unité des chrétiens au cœur de ce voyage marqué par la rencontre entre François et Bartholomée, le patriarche de Constantinople, commémorative de celle entre Paul VI et Athénagoras il y a cinquante ans, prend tout son sens. « Les divisions entre chrétiens sont scandaleuses et le témoignage chrétien n’est pleinement authentique que si nous sommes unis, explique David Neuhaus, conseiller medias du patriarcat latin de Jérusalem pour la visite du pape et vicaire pour la communauté catholique hébraïque d’Israël. Mais ces luttes se tiennent entre clercs, prêtres et évêques. Le peuple chrétien, lui, est uni, il ne s’intéresse pas aux divisions. C’est un œcuménisme de la lutte pour la survie. »
« Par rapport à la vie des chrétiens en Terre Sainte, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis la visite de Benoît XVI, explique Olivier-Thomas Venard, vice-directeur adjoint de l’Ecole biblique de Jérusalem. Les principaux enjeux qui sont les accords à trouver sur les questions fiscales, surtout, mais aussi sur les visas, et qui existent depuis 1993 sont encore sur la table. »
Par ailleurs, les lignes bougent et les séparations d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. Les chrétiens de Terre Sainte ne sont plus tant latins, orthodoxes, arméniens ou grec catholiques qu’israéliens ou palestiniens. « L’Eglise, ici, est palestinienne et catholique mais il existe aussi des catholiques totalement intégrés dans la société juive, dont certains font même leur service militaire dans l’armée israéliene », explique David Neuhaus.
Etre chrétien en Terre Sainte recouvre des situations très différentes. « D’abord il y a une différence entre les chrétiens arabes qui représentent le christianisme traditionnel depuis des siècles et des (judéo-)christianismes nouveaux qui se développent côté israélien, notamment avec l’immigration d’un million de russes arrivés dans les années 1990-2000 et qui comptent au moins 150.000 chrétiens, explique Olivier-Thomas Venard. Ces derniers cherchent à vivre leur christianisme de façon nouvelle. Du côté arabe, les chrétiens qui sont une toute petite minorité sont aussi fragmentés que le reste de la population palestinienne et selon que vous vivez à Gaza, à Hebron, à Bethléem, à Ramallah ou à Jérusalem, vous avez des droits et des papiers différents. »
Baisse du nombre de chrétiens
Ainsi, dans un des plus grands quotidiens israéliens, Haaretz, un journaliste, Nicolas Pelham, hausse le ton quant à la situation des chrétiens des deux côtés (« Christian in Israel and Palestine », 12 mai) : « Les lobbyistes autoproclamés d’Israël ont revêtu le manteau des sauveurs chrétiens. Ils glorifient le havre de paix qu’Israël offre aux chrétiens du Moyen-Orient par opposition aux persécuteurs musulmans. En fuyant la persécution, disent-ils, les chrétiens de Palestine sont passés de 10% à 2% de la population. (…) Ce qu’ils oublient de dire c’est que la population de chrétiens en Israël a chuté dans à peu près les mêmes proportions. De 8% en 1947, ils sont passés à 4% en 1948 et maintenant à moins de 2%. Les causes du déclin sont largement les mêmes. »
L’enjeu de ce voyage pontifical est donc aussi grand que sa durée est brève. David Neuhaus l’avoue bien volontiers : « Nous, ici, nous espérons qu’il vienne une deuxième fois. » Il poursuit : « Dieu, dans sa sagesse, a planté la semence de la foi des deux côtés, peut-être pour porter un témoignage par delà le mur. »
MARIE-LUCILE KUBACKI, À JÉRUSALEM
CRÉÉ LE 23/05/2014 / MODIFIÉ LE 23/05/20
A deux jours de l’arrivée du pape François, si les abords de la ville ont été parsemés de drapeaux jaunes et blancs, aux couleurs du Vatican et qu’une grande affiche trône dans le quartier chrétien de la vieille ville, les signes extérieurs d’attente se font plutôt discrets. S’il est une chose visible, en revanche, c’est le poids de la sécurité.
Tout est fait à Jérusalem pour ne pas échauffer les esprits. Rien de comparable, par exemple, avec la frénésie qui avait embrasé Rio à l’approche des JMJ. En effet, la multiplication depuis quelques temps de tags antichrétiens d’un mouvement ultra nationaliste israélien nommé « Price Tag » (le prix à payer), les menaces de mort reçues par Mgr Giacinto-Boulos Marcuzzo, l’évêque de Nazareth, il y a un mois et les manifestations récentes de quelques centaines de juifs ultra-orthodoxes aux abords du Cénacle (lieu dont l’administration fait l’objet de négociations entre Israël et le Saint-Siège) entretiennent un climat où il est de bon ton d’adopter une certaine prudence.
Les chrétiens privés de pape
« Bien sûr, je suis heureux que le pape vienne, c’est important de venir parler de paix, explique un chrétien de la vieille ville de Jérusalem, mais il y a des blessures tellement profondes de tous les côtés… Pourtant, l’Eglise a demandé pardon aux juifs mais il y a encore beaucoup de souffrance. C’est comme ça. » Cette attente des chrétiens de Jérusalem est d’autant plus marquante qu’ils ne pourront pas voir le pape. En effet, le dispositif de sécurité est tel qu’un couvre feu exceptionnel a été décrété : les maisons, les hôtels et les magasins qui se trouvent sur le chemin de François devront être fermées et il sera interdit à leurs occupants de s’approcher des fenêtres et des volets.
« Nous l’acceptons. Que pouvons-nous faire d’autre ? », explique le propriétaire musulman d’un hôtel situé dans la partie chrétienne de la vieille ville dont l’établissement, concerné par la mesure, a dû annuler la quasi-totalité des réservations. Ce qui se profile n’aura rien à voir avec le bain de foule qu’avait pris Paul VI, accueilli triomphalement dans la ville.
Comme le rapporte le site internet de Terre Sainte magazine, des catholiques sur place ont même écrit au Délégué apostolique de Jérusalem et de la Palestine pour « réclamer le "droit légitime" de venir à la rencontre de leur chef spirituel lors de sa visite à Jérusalem, et spécialement quand il se rendra au Saint-Sépulcre ». Par ailleurs, « ils font part de leur regret d'être exclus de la rencontre historique entre le pape catholique et le patriarche des Églises Orthodoxes et dénoncent le couvre feu comme moyen établi par la puissance occupante de "nier notre existence". »
Une petite minorité fragmentée
Dans ces circonstances, l’appel à l’unité des chrétiens au cœur de ce voyage marqué par la rencontre entre François et Bartholomée, le patriarche de Constantinople, commémorative de celle entre Paul VI et Athénagoras il y a cinquante ans, prend tout son sens. « Les divisions entre chrétiens sont scandaleuses et le témoignage chrétien n’est pleinement authentique que si nous sommes unis, explique David Neuhaus, conseiller medias du patriarcat latin de Jérusalem pour la visite du pape et vicaire pour la communauté catholique hébraïque d’Israël. Mais ces luttes se tiennent entre clercs, prêtres et évêques. Le peuple chrétien, lui, est uni, il ne s’intéresse pas aux divisions. C’est un œcuménisme de la lutte pour la survie. »
« Par rapport à la vie des chrétiens en Terre Sainte, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis la visite de Benoît XVI, explique Olivier-Thomas Venard, vice-directeur adjoint de l’Ecole biblique de Jérusalem. Les principaux enjeux qui sont les accords à trouver sur les questions fiscales, surtout, mais aussi sur les visas, et qui existent depuis 1993 sont encore sur la table. »
Par ailleurs, les lignes bougent et les séparations d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. Les chrétiens de Terre Sainte ne sont plus tant latins, orthodoxes, arméniens ou grec catholiques qu’israéliens ou palestiniens. « L’Eglise, ici, est palestinienne et catholique mais il existe aussi des catholiques totalement intégrés dans la société juive, dont certains font même leur service militaire dans l’armée israéliene », explique David Neuhaus.
Etre chrétien en Terre Sainte recouvre des situations très différentes. « D’abord il y a une différence entre les chrétiens arabes qui représentent le christianisme traditionnel depuis des siècles et des (judéo-)christianismes nouveaux qui se développent côté israélien, notamment avec l’immigration d’un million de russes arrivés dans les années 1990-2000 et qui comptent au moins 150.000 chrétiens, explique Olivier-Thomas Venard. Ces derniers cherchent à vivre leur christianisme de façon nouvelle. Du côté arabe, les chrétiens qui sont une toute petite minorité sont aussi fragmentés que le reste de la population palestinienne et selon que vous vivez à Gaza, à Hebron, à Bethléem, à Ramallah ou à Jérusalem, vous avez des droits et des papiers différents. »
Baisse du nombre de chrétiens
Ainsi, dans un des plus grands quotidiens israéliens, Haaretz, un journaliste, Nicolas Pelham, hausse le ton quant à la situation des chrétiens des deux côtés (« Christian in Israel and Palestine », 12 mai) : « Les lobbyistes autoproclamés d’Israël ont revêtu le manteau des sauveurs chrétiens. Ils glorifient le havre de paix qu’Israël offre aux chrétiens du Moyen-Orient par opposition aux persécuteurs musulmans. En fuyant la persécution, disent-ils, les chrétiens de Palestine sont passés de 10% à 2% de la population. (…) Ce qu’ils oublient de dire c’est que la population de chrétiens en Israël a chuté dans à peu près les mêmes proportions. De 8% en 1947, ils sont passés à 4% en 1948 et maintenant à moins de 2%. Les causes du déclin sont largement les mêmes. »
L’enjeu de ce voyage pontifical est donc aussi grand que sa durée est brève. David Neuhaus l’avoue bien volontiers : « Nous, ici, nous espérons qu’il vienne une deuxième fois. » Il poursuit : « Dieu, dans sa sagesse, a planté la semence de la foi des deux côtés, peut-être pour porter un témoignage par delà le mur. »