"Pour la santé de l'âme, arrêtons de gaspiller"
OLIVIER REY
Chercheur au CNRS, membre de l'IHPST (Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques) et enseignant à l'Université Paris 1, Olivier Rey est l'auteur de Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (Seuil, 2003) et Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (Seuil, 2006). Il revient sur les mécanismes de la consommation qui nous rend tributaire du regard des autres.
Etymologiquement, "simple" veut dire "sans pli", et s'oppose à "compliqué", "avec pli". De ce point de vue, la simplicité n'est pas en soi une qualité, pas plus que la complication un défaut. Tout dépend de ce dont il est question. Nos vies, en général, sont à la fois trop simples et trop compliquées : trop simples dans les domaines qui mériteraient d'être davantage cultivés, trop compliquées dans les domaines qui ne méritent pas qu'on leur accorde tant d'importance.
Il ne faut pas s'y tromper. Notre société n'est matérialiste qu'en apparence. Si nous consacrons autant de notre temps, de notre énergie, de nos facultés à consommer et à accumuler autour de nous des objets, c'est parce que les objets et la consommation sont devenus dans le monde contemporain un moyen fondamental de prendre rang parmi nos semblables, d'obtenir leur considération. Le moteur principal de la consommation effrénée n'est pas le désir de posséder, mais un désir d'être reconnu par les autres. Aussi n'est-ce pas en luttant contre le désir de possession que l'on peut véritablement se déprendre des pulsions consuméristes, mais en ayant avec d'autres personnes des relations vivantes. Cela est simple à dire mais, à l'heure qu'il est, plus difficile à accomplir qu'on ne pourrait le penser. Le partage de la foi chrétienne doit aider à y parvenir.
D'une part le Christ apaise en nous le besoin de reconnaissance, en accueillant chacun de nous dans sa singularité. D'autre part, son exemple nous invite à nouer avec les autres des liens qui rendent dérisoires les désirs de possession. La question cruciale, il me semble, ne consiste pas à se demander ce dont il conviendrait de se défaire pour mener une vie plus simple et plus écologique, mais à ajuster son rapport au monde et aux autres – et alors, le superflu n'est plus ce dont on doit faire le sacrifice, mais ce pour quoi on n'a plus aucun goût. Le plus grand service que l'on puisse rendre au monde n'est pas d'économiser sur ceci ou cela, de renoncer à ceci ou cela, mais de changer son propre cœur. Le reste s'ensuit. L'épuisement actuel de la nature n'est pas la raison pour laquelle nous devrions changer notre mode de vie, mais le signe que notre mode de vie est mauvais. Il ne s'agit pas de nous limiter pour "sauver la planète", dans le souci des générations futures, mais de mieux vivre au présent, et ce qui doit nous inspirer n'est pas la "responsabilité", mais le bien. Par exemple, ce n'est pas parce que le gaspillage endommage la nature qu'il faut l'éviter, mais parce qu'il procède d'un mauvais rapport au monde.
Quand bien même nous pourrions continuer à gaspiller, nous devrions nous en abstenir, pour notre propre bien, pour la santé de notre âme. Il ne faut pas prendre les limites de la nature comme des contraintes, qui nous obligent à nous restreindre, mais comme des rappels à l'ordre, qui nous invitent à prendre conscience de nos dérèglements et de nos égarements. Ce qu'il nous faut comprendre c'est que nous n'avons pas de sacrifices à faire, ou très peu : au contraire, nous avons tout à gagner à sortir de la spirale consumériste et possessive. Les chrétiens doivent être les grands ferments d'une sortie de l'hypnose collective qui nous tient en son pouvoir, les initiateurs d'une façon renouvelée de faire société.
OLIVIER REY
Chercheur au CNRS, membre de l'IHPST (Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques) et enseignant à l'Université Paris 1, Olivier Rey est l'auteur de Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (Seuil, 2003) et Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (Seuil, 2006). Il revient sur les mécanismes de la consommation qui nous rend tributaire du regard des autres.
Etymologiquement, "simple" veut dire "sans pli", et s'oppose à "compliqué", "avec pli". De ce point de vue, la simplicité n'est pas en soi une qualité, pas plus que la complication un défaut. Tout dépend de ce dont il est question. Nos vies, en général, sont à la fois trop simples et trop compliquées : trop simples dans les domaines qui mériteraient d'être davantage cultivés, trop compliquées dans les domaines qui ne méritent pas qu'on leur accorde tant d'importance.
Il ne faut pas s'y tromper. Notre société n'est matérialiste qu'en apparence. Si nous consacrons autant de notre temps, de notre énergie, de nos facultés à consommer et à accumuler autour de nous des objets, c'est parce que les objets et la consommation sont devenus dans le monde contemporain un moyen fondamental de prendre rang parmi nos semblables, d'obtenir leur considération. Le moteur principal de la consommation effrénée n'est pas le désir de posséder, mais un désir d'être reconnu par les autres. Aussi n'est-ce pas en luttant contre le désir de possession que l'on peut véritablement se déprendre des pulsions consuméristes, mais en ayant avec d'autres personnes des relations vivantes. Cela est simple à dire mais, à l'heure qu'il est, plus difficile à accomplir qu'on ne pourrait le penser. Le partage de la foi chrétienne doit aider à y parvenir.
D'une part le Christ apaise en nous le besoin de reconnaissance, en accueillant chacun de nous dans sa singularité. D'autre part, son exemple nous invite à nouer avec les autres des liens qui rendent dérisoires les désirs de possession. La question cruciale, il me semble, ne consiste pas à se demander ce dont il conviendrait de se défaire pour mener une vie plus simple et plus écologique, mais à ajuster son rapport au monde et aux autres – et alors, le superflu n'est plus ce dont on doit faire le sacrifice, mais ce pour quoi on n'a plus aucun goût. Le plus grand service que l'on puisse rendre au monde n'est pas d'économiser sur ceci ou cela, de renoncer à ceci ou cela, mais de changer son propre cœur. Le reste s'ensuit. L'épuisement actuel de la nature n'est pas la raison pour laquelle nous devrions changer notre mode de vie, mais le signe que notre mode de vie est mauvais. Il ne s'agit pas de nous limiter pour "sauver la planète", dans le souci des générations futures, mais de mieux vivre au présent, et ce qui doit nous inspirer n'est pas la "responsabilité", mais le bien. Par exemple, ce n'est pas parce que le gaspillage endommage la nature qu'il faut l'éviter, mais parce qu'il procède d'un mauvais rapport au monde.
Quand bien même nous pourrions continuer à gaspiller, nous devrions nous en abstenir, pour notre propre bien, pour la santé de notre âme. Il ne faut pas prendre les limites de la nature comme des contraintes, qui nous obligent à nous restreindre, mais comme des rappels à l'ordre, qui nous invitent à prendre conscience de nos dérèglements et de nos égarements. Ce qu'il nous faut comprendre c'est que nous n'avons pas de sacrifices à faire, ou très peu : au contraire, nous avons tout à gagner à sortir de la spirale consumériste et possessive. Les chrétiens doivent être les grands ferments d'une sortie de l'hypnose collective qui nous tient en son pouvoir, les initiateurs d'une façon renouvelée de faire société.