L’APÔTRE PIERRE
L’apôtre Pierre s’appelait primitivement Simon ou Syméon (#Ac 15:14 ; #2P 1:1). Il était fils de Jonas (#Jn 21:15, note), et avait un frère nommé André. Les deux frères exerçaient le métier de pêcheurs. Originaires de Bethsaïda (#Jn 1:45), ils possédaient une maison à Capernaüm (#Mr 1:29). Jésus les rencontra dans la société de Jean Baptiste. Dès la première entrevue, il distingua Simon et lui donna le nom de Pierre. Il l’invitait par là à se proposer un idéal moral qui était le contraire de son caractère impulsif et ardent, mais mobile et faible (#Jn 1:35-43, notes). Quand Jésus commença son ministère public, il appela Simon Pierre à le suivre en abandonnant son métier ; il lui promit de le faire « pêcheur d’hommes vivants » (#Lu 5:1-11). Pierre occupa une place éminente dans le cercle des apôtres. Il figure en tête sur les listes des douze (#Mt 10:2 ; #Mr 3:16 ; #Lu 6:14 ; #Ac 1:13). Homme d’initiative, il est toujours le premier à prendre la parole, à interroger le Maître, à provoquer ses explications, et c’est à lui que Jésus adresse les questions destinées à tous (#Mt 15:15; 17:25; 18:21; 19:27 ; #Lu 8:45; 12:41; 22:31). À Césarée de Philippe, Pierre confessa Jésus comme le Messie, le Fils du Dieu vivant, et Jésus désigna son disciple comme la pierre sur laquelle son Église serait bâtie, caractérisant par cette image la part qu’il devait prendre à l’établissement du christianisme chez les Juifs, les Samaritains et les païens (#Mt 16:16, notes). Pierre fut l’un des trois disciples admis dans l’intimité du Maître. En cette qualité, il fut témoin de la transfiguration (#Mt 17:1-9), et de miracles accomplis dans des circonstances spéciales (#Mr 5:37) ; Jésus lui demanda de l’assister dans son agonie en Gethsémané, mais il répondit mal à son attente (#Mr 14:33,37). Auparavant déjà, il avait résisté au Maître qui voulait lui laver les pieds (#Jn 13:6-10), et était demeuré sourd à ses avertissements, leur opposant la solennelle promesse d’être fidèle jusqu’à la mort (#Jn 13:36-38). Après avoir fait, au moment de l’arrestation de Jésus, une tentative de le défendre par la force (#Mr 14:47-49 ; #Jn 18:10,11), il fut seul, avec Jean, à le suivre dans la cour du souverain sacrificateur (#Mr 14:54 ; #Jn 18:15) ; mais là il le renia par trois fois (#Mr 14:66-72 ; #Jn 18:17-27). Au matin de la résurrection, Pierre et Jean, avertis par Marie-Madeleine, constatèrent que le sépulcre était vide (#Jn 20:1-10). Le même jour, Pierre fut honoré d’une apparition du ressuscité (#Lu 24:34). Enfin, dans l’entrevue qu’il eut avec quelques-uns de ses disciples au bord du lac, Jésus s’adressa particulièrement à Simon, fils de Jonas ; il lui rappela son triple reniement en lui demandant par trois fois s’il l’aimait ; puis il le rétablit dans sa charge de pasteur des brebis et lui prédit qu’il finirait sa carrière par le martyre (#Jn 21).
Dans l’Église naissante, Pierre eut d’emblée le premier rôle. L’élection d’un apôtre, pour remplacer Judas, est faite sur son initiative (#Ac 1:15-26). Le jour de la Pentecôte, il parle à la foule au nom des douze (#Ac 2:14 et suivants). Après avoir guéri l’impotent, il parle encore au peuple, puis au sanhédrin (#Ac 3; 4). Il est l’instrument de Dieu pour exercer au sein de l’Église une redoutable discipline (#Ac 5:1-11). Délégué, avec Jean, auprès des Samaritains évangélisés par Philippe, il leur procure le don du Saint-Esprit en leur imposant les mains (#Ac 8:14 et suivants). Pendant une visite aux Églises de la Judée (#Ac 9:31 et suivants), il est appelé à Césarée auprès du centenier Corneille, et introduit, en sa personne, le premier païen dans l’Église (#Ac 10:1 à 11 : 18). Paul se rend à Jérusalem, pour la première fois après sa conversion, « afin de faire la connaissance de Céphas », et il demeure quinze jours auprès de lui (#Ga 1:18). Quand Hérode se met à persécuter l’Église, il s’attaque à Jacques, fils de Zébédée, qui est mis à mort, et à Pierre, qui est emprisonné. Délivré miraculeusement, Pierre « s’en alla dans un autre lieu » (#Ac 12:1-17). Nous le retrouvons à Jérusalem, lors de la conférence racontée #Ac 15 ; il prend part à la discussion, mais l’influence prépondérante et décisive paraît avoir été exercée par Jacques, le frère du Seigneur (#Ac 15 et suivants ; comparez #Ga 2:9). À sa dernière visite à Jérusalem (en 59), Paul se rend chez Jacques, où s’assemblent tous les anciens (#Ac 21:18). Pierre n’est pas mentionné ; ce qui fait penser qu’il n’était pas à Jérusalem. Il est probable qu’il exerçait alors son activité hors de Judée. D’un tempérament impétueux et porté aux initiatives hardies, il ne dut pas se confiner longtemps dans un champ de travail aussi restreint que l’Église de Jérusalem. Il fit, lui aussi, des voyages missionnaires. Nous ne pouvons dire dans quelles contrées ces voyages le portèrent, mais deux ou trois passages des épîtres de Paul offrent des indices de cette activité de Pierre hors de Palestine. Dans #Ga 2:11 et suivants, Paul raconte comment Pierre, lors d’une visite qu’il fit à Antioche, fraternisa d’abord dans les agapes avec les chrétiens d’origine païenne, puis, intimidé par l’arrivée de personnes venues de la part de Jacques, se retira à l’écart, et comment il dut le reprendre vivement au sujet de cette conduite inconséquente qui exerça aussitôt une fâcheuse influence sur les autres chrétiens juifs et même sur Barnabas. L’attitude de Pierre, dans cette circonstance, ne peut être expliquée que comme une défaillance, étrange chez un homme qui avait été éclairé par une révélation spéciale lorsqu’il admit Corneille dans l’Église, bien conforme toutefois à son caractère naturel : hardi et généreux, mais inconstant et dominé par la crainte des hommes. Cette rencontre avec Paul dut se produire pendant le séjour que l’apôtre des gentils fit à Antioche entre son second et son troisième voyage missionnaire (#Ac 18:22,23). La présence de Pierre dans cette ville peut être considérée comme l’indice d’un travail d’évangélisation qu’il accomplissait en Syrie, parmi les Juifs, très nombreux dans cette contrée. Il est probable que son activité s’étendît plus loin, jusqu’en Asie Mineure. Le partage convenu avec Paul, en vertu duquel ce dernier était reconnu apôtre des nations, tandis que Pierre avait pour son domaine l’évangélisation des Juifs (#Ga 2:7,
, ne s’oppose pas à cette hypothèse, car, d’une part, des colonies juives étaient établies dans toutes les provinces d’Asie Mineure, et, d’autre part, cette délimitation de leurs domaines respectifs, qui avait eu pour but immédiat de légitimer l’apostolat de Paul et d’en assurer l’indépendance, ne fut pas observée strictement dans la suite ; Paul s’adressait aux Juifs qu’il rencontrait dans les villes païennes, et beaucoup de Juifs faisaient partie des Églises qu’il fonda (#Ac 16:3,13; 17:1-4; 10-12; 18:4; 19:
; Pierre, de même, dut se sentir libre de comprendre les païens dans son travail d’évangélisation.
Ce travail le rapprocha de la Grèce, si même il ne le conduisit jusque dans ce pays. Dans #1Co 9:5, Paul mentionne incidemment, comme une circonstance bien connue des Corinthiens, le fait que Céphas conduit partout avec lui son épouse. L’existence d’un parti de Céphas dans l’Église de Corinthe (#1Co 1:12) ne prouve pas que Pierre ait été dans cette ville, car ce parti peut avoir été formé par des gens venus de Palestine, qui se réclamaient du chef des apôtres ; mais Pierre aurait-il joui d’une telle autorité à Corinthe, s’il n’avait jamais franchi les limites de la Judée ? Enfin, la première épître qui lui est attribuée peut être invoquée comme l’indice de son apostolat en Asie Mineure. Sans doute, elle ne renferme pas, comme la plupart des lettres de Paul, des salutations pour des amis personnels de l’auteur. Mais son caractère d’encyclique, adressée à des Églises réparties en plusieurs provinces, ne permettait pas à Pierre d’y inclure des messages individuels. L’épître dite « aux Éphésiens » n’en contient pas non plus. Si Pierre n’avait jamais eu de rapports avec les Églises d’Asie Mineure, quelles raisons aurait-il eues de leur adresser sa lettre plutôt qu’à d’autres ?
L’hypothèse d’une activité de Pierre hors de Judée ne repose, il est vrai, que sur ces indices peu nombreux et incertains. De fait, l’histoire est muette sur les vingt dernières années de la vie de l’apôtre. La tradition catholique, sur laquelle repose tout l’édifice de la papauté, supplée à cette lacune, en rapportant que Pierre vint de bonne heure à Rome, fonda l’Église de cette ville, la gouverna vingt-cinq ans, et fut ainsi le premier des souverains pontifes. Les textes les plus incontestables démentent cette tradition. Pierre n’avait pas fondé l’Église de Rome et n’était pas encore venu à Rome, quand Paul écrivit l’épître aux Romains, dans l’hiver de 58 à 59 (#Ro 1:13-15, comparez #Ro 15:20). Pierre ne se trouvait pas à Rome quand Paul écrivait de cette ville, en 63, sa lettre aux Philippiens et dépeignait la position où il se trouvait dans les termes que nous lisons #Php 1:15-18 et #Php 2:20,21. Certains savants ont mis en doute que Pierre ait jamais été à Rome{1}. Cependant sa mort dans la capitale de l’empire semble établie par des témoignages dignes de foi. Le fait que Pierre ait terminé sa carrière par le martyre paraît attesté dans #Jn 21:19, où l’auteur le mentionne comme un accomplissement de la prédiction de Jésus. Or, aucune Église, autre que Rome, n’a jamais revendiqué l’honneur de compter Pierre au nombre de ses martyrs. Environ trente ans après l’époque présumée de la mort de Pierre, Clément de Rome, dans son épître aux Corinthiens (chapitres 5 et 6), cite des exemples de serviteurs de Dieu qui furent victimes du zèle inique des païens, et, après avoir nommé des fidèles de l’ancienne Alliance, il ajoute : « Venons-en aux combattants qui ont été le plus près de nous. Prenons les généreux exemples de notre génération. C’est par haine et envie que les plus grandes et les plus fidèles colonnes ont été persécutées et tourmentées jusqu’à la mort. Mettons devant nos yeux les excellents apôtres{2} : Pierre, par l’effet d’une haine inique, a enduré non pas une ou deux, mais de multiples épreuves, et, ayant ainsi souffert la mort du martyr, est allé dans le lieu de la gloire, qui lui était dû ». Il continue en relatant la mort de Paul, puis il dit : « À ces hommes qui se sont conduits saintement a été ajoutée une grande multitude d’élus qui, ayant souffert, à cause de la haine dont ils étaient l’objet, beaucoup de mauvais traitements et de supplices, ont été, parmi nous, le plus bel exemple ». Il fait allusion aux chrétiens de Rome, qui furent victimes de Néron. C’est à Rome aussi que mourut Paul. Il est donc très probable que le martyre de Pierre eut le même théâtre. Un passage d’Ignace (épître aux Romains, chapitre 4) semble faire allusion à un ministère de Pierre à Rome. Papias racontait que l’évangile de Marc était né des prédications de Pierre, auquel Marc servait d’interprète (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 39) ; or cet évangile parut à Rome (voir notre tome I, pages 304, 305). Enfin, notre épître, qui est très probablement datée de Rome, désignée par le nom de Babylone (#1P 5:13, note), constitue, même si elle n’est pas authentique, une preuve de la présence de Pierre à Rome{3}.
Quant à la date de l’arrivée de Pierre à Rome, les uns la fixent après le massacre des chrétiens, ordonné par Néron à la fin de l’été 64. Weizsäcker{4} pense qu’en apprenant la terrible épreuve qui venait de frapper ses frères de Rome, Pierre, n’écoutant que son courage, vint affermir l’Église ébranlée. Cette conduite serait conforme à la nature généreuse du disciple qui disait à Jésus : « Je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort » (#Lu 22:33). Et cette fois il sut tenir sa résolution. Après un court ministère dans la capitale, il y subit à son tour le martyre, dans les conditions particulièrement cruelles auxquelles Clément fait allusion. D’autres historiens sont conduits, par divers indices, à admettre que Pierre périt dans la tourmente même déchaînée par Néron sur l’Église de Rome. Caïus, presbytre romain de la fin du second siècle, rapporte que de son temps l’on voyait encore le « trophée » de Pierre, c’est-à-dire son tombeau, ou le monument élevé sur le lieu de son supplice, près du Vatican. Or ce fut au même endroit, dans les jardins d’Agrippine, que Néron livra les chrétiens à des tortures variées, parmi lesquelles Tacite (Annales XV, 44) mentionne le supplice de la croix. Ce supplice fut précisément, d’après d’anciennes traditions, celui qui fut infligé à Pierre{5}. Il faudrait donc supposer que Pierre vint à Rome à la fin de 63 ou au commencement de 64, à l’époque à peu près où Paul, libéré de sa première captivité, quittait cette ville. Le voyage de Marc en Asie Mineure, mentionné #Col 4:10, ne fut peut-être pas sans influence sur la résolution de Pierre. Il eut en tout cas pour effet de faire passer Marc de l’entourage de Paul dans la société de Pierre (#1P 5:13). Si l’épître aux Colossiens a été écrite à Rome, et si c’est de là que Marc entreprit son voyage, il put renseigner Pierre sur la situation de l’Église de Rome et sur les difficultés que les judaïsants suscitaient à Paul (#Php 1:15 et suivants), sur les espérances de Paul d’être rendu à la liberté (#Php 1:25) et sur ses projets ultérieurs ; il put, par ces nouvelles, déterminer Pierre à se rendre à son tour dans la capitale de l’empire{6}. Et si l’épître aux Colossiens a été envoyée antérieurement déjà, de Césarée{7}, Marc n’en devint pas moins un vivant trait d’union entre Pierre et Paul, et son influence ne fut point étrangère au départ de Pierre pour Rome, où il l’accompagna (#1P 5:13).
Le ministère de Pierre à Rome, si court qu’il ait été, et grâce au martyre qui le couronna, assura à cet apôtre la position hors pair qu’il occupe dans la tradition, dès le second siècle. Il la dut d’ailleurs autant à ce qui lui manquait, qu’à ses qualités généreuses. N’étant pas doué de l’esprit profond et original d’un Paul ou d’un Jean, il était plus accessible à l’intelligence de la majorité, et son caractère influençable, qui le disposait à montrer un certain opportunisme, ne nuisit point à sa popularité{8}.
Mais, pour que le jugement porté sur Pierre soit équitable, et la caractéristique de son rôle complète, il faut tenir compte aussi de l’œuvre que le Saint-Esprit a accomplie en lui. Cette action de l’Esprit lui donna aux heures décisives de la fondation de l’Église un courage admirable et une fermeté inébranlable. Elle éclaira son intelligence et le rendit capable d’accueillir le premier païen dans l’Église et de défendre cet acte contre les critiques des judaïsants (#Ac 10; 11). Elle le rendit humble et lui fit reconnaître le prix de cette vertu qui ne lui était point innée (#Mr 14:29 ; #1P 5:5,6). Elle opéra surtout en lui cette régénération qu’il célèbre en termes magnifiques à l’entrée de son épître, et par laquelle il saisit dans sa profondeur et sa richesse la rédemption qui nous est offerte en Jésus-Christ. La lettre qui nous a été conservée sous son nom en est la preuve.
Notes 1 à 8
{1} Lipsuis ; Kühl dans l’Introduction au Commentaire sur 1 Pierre dans la collection Meyer.
{2} On propose aussi de traduire : « Prenons devant les yeux nos excellents apôtres » (Zahn, Einleitung, I, page 446).
{3} Pour d’autres preuves tirées de divers Pères, du canon de Muratori, de Marcion, de divers ouvrages apocryphes, voir Zahn, Einleitung, II, 22-28, comparez I, pages 446-450.
{4} Das apostolische Zeitalter, 1886, page 487.
{5} Zahn, Einleitung, II, page 26. Harnack, Chronologie, I, pages 240-243.
{6} Zahn, Einleitung, II, page 19.
{7} Voir notre tome II, page 359.
{8} Comparez Weizsäcker, ouvrage cité, page 487.
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