Les minorités religieuses sont mises à mal en Syrie
Bilkis Blanc - publié le 23/09/2013
Dans l'affrontement entre chiites et sunnites, les minorités se sentent prises en étau. Et craignent qu'avec la chute du régime de Bachar al-Assad, des persécutions s'abattent sur elles.
Le conflit syrien n'en finit pas de durer. La confirmation par l'Onu, le 17 septembre, de « preuves flagrantes » d'une attaque chimique par le gouvernement de Bachar Al-Assad, a provoqué l'effroi de l'opinion internationale. Alors que les États-Unis et la Russie sont enfin parvenus à un accord sur le démantèlement des armes chimiques, comment expliquer l'ampleur et la dureté de ce conflit ? Pour Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, et maître de conférence à l'université de Lyon-II, il s'agit d'un affrontement social qui a évolué en guerre religieuse, opposant majorité sunnite et minorité alaouite.
L'affrontement de deux branches de l'islam
Pour le comprendre, il faut revenir à l'origine du conflit : dans la mesure où les alaouites incarnent une variété du chiisme, la guerre civile syrienne apparaît comme le lieu d'affrontement de l'antagonisme régional entre les deux principales branches de l'islam. L'islam sunnite représente à peu près 80 % de la population syrienne, alors que les alaouites ne sont que 10 %. Dans les 10 % restant figurent les autres minorités : les chrétiens (5 %), puis, entre 1 et 3 %, les druzes, les ismaéliens et les chiites duodécimains (chiites, majoritaires en Iran, reconnaissant douze imams).
La majorité sunnite connaît un clivage entre deux ethnies : les Arabes qui représentent à peu près 65 % de la population, et les Kurdes 15 % (quelques Turkmènes, moins de 1 % vivent dans le nord de la Syrie). Toutes les minorités, non sunnites, sont des populations arabes, à l'exception des Arméniens.
Une politique fondée sur le baasisme
Pour harmoniser le pays, le gouvernement revendiquait une politique basée sur le baasisme, c'est-à-dire la dissolution des entités confessionelles arabes.
Pour le professeur Balanche, le baasisme est cependant resté confiné à une certaine élite intellectuelle dont on peut interroger la sincérité idéologique : « Al-Assad père et les généraux qui l'entouraient ont noyauté le régime avec des gens du clan alaouite, avant même son arrivée au pouvoir. Son discours était panarabe et baasiste mais, en pratique, il utilisait tous les ressorts du communautarisme pour se renforcer et diviser les autres communautés. »
Le confessionalisme n'aurait donc jamais disparu en Syrie, et les médias ne voudraient pas voir cette réalité. Ceux-ci projetteraient sur les révolutions arabes le modèle de la Révolution française ou le Printemps des peuples de 1848.
Un traitement médiatique sujet à caution
Quant à l'interprétation médiatique, elle est, pour le professeur, un peu baclée : « La plupart des reporters qui vont en Syrie ne restent qu'une semaine, ne parlent pas l'arabe et ne font que des reportages superficiels. »
De même, selon lui : « Les politiciens français se rallient à la coalition américano-saudo-qatari contre Bachar Al-Assad. Pour eux, l'important est de faire tomber le régime par n'importe quel moyen. Les islamistes étant les plus efficaces, comme l'ont été les moudjahidin afghans contre les soviétiques, on ferme les yeux sur le caractère islamiste de ces groupes et, ensuite, advienne que pourra ! »
Les islamistes ne seraient pas considérés comme un danger par les Syriens eux-mêmes : « Beaucoup d'opposants syriens civils, au sein du Conseil national syrien ou de la Coalition nationale, affirment que ce n'est pas très grave, que les islamistes ne sont pas si nombreux ; que, de toutes façons, la Syrie n'est pas un pays islamiste et que, lorsque la révolution aura triomphé, on pourra se débarrasser facilement des islamistes. On disait la même chose en 1979, lors de la révolution iranienne... »
Une communauté chrétienne inquiète
Quant aux chrétiens syriens, ils vivent dans la peur, car le régime de Bachar Al-Assad leur apportait une certaine sécurité et égalité face aux ethnies majoritaires.
Ils se rappellent que, lorsqu'il y a une insurrection contre un régime qui les tolère, une persécution peut s'abattre sur eux : « Ils ont l'exemple de l'Irak. À partir de 2003, lorsque Saddam Hussein est tombé, 80 % des chrétiens d'Irak ont dû fuir. Les chrétiens syriens ont peur de subir le même sort. »
Effectivement, dans les zones tenues par les rebelles, comme à Ras al Aïn, au nord-est de la Syrie près de la frontière turque, des exactions ont eu lieu. À Alep, une grande partie des chrétiens sont déjà partis. « Il se trouve qu'aujourd'hui ces derniers sont plutôt dans les zones tenues par le régime, donc ils échappent pour l'heure à des persécutions de grande ampleur. »
L'occupation du village de Maaloula par les rebelles depuis le 4 septembre a donc une forte valeur symbolique : pour certains spécialistes de la Syrie, l'attaque de la bourgade vise à intimider tous les chrétiens du pays, que les rebelles accusent en général de soutenir le régime, et à montrer que Bachar Al-Assad, qui se targue d'être le protecteur des minorités, n'est plus apte à les préserver.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/les-minorites-religieuses-sont-mises-a-mal-en-syrie-23-09-2013-3398_118.php
Bilkis Blanc - publié le 23/09/2013
Dans l'affrontement entre chiites et sunnites, les minorités se sentent prises en étau. Et craignent qu'avec la chute du régime de Bachar al-Assad, des persécutions s'abattent sur elles.
Le conflit syrien n'en finit pas de durer. La confirmation par l'Onu, le 17 septembre, de « preuves flagrantes » d'une attaque chimique par le gouvernement de Bachar Al-Assad, a provoqué l'effroi de l'opinion internationale. Alors que les États-Unis et la Russie sont enfin parvenus à un accord sur le démantèlement des armes chimiques, comment expliquer l'ampleur et la dureté de ce conflit ? Pour Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, et maître de conférence à l'université de Lyon-II, il s'agit d'un affrontement social qui a évolué en guerre religieuse, opposant majorité sunnite et minorité alaouite.
L'affrontement de deux branches de l'islam
Pour le comprendre, il faut revenir à l'origine du conflit : dans la mesure où les alaouites incarnent une variété du chiisme, la guerre civile syrienne apparaît comme le lieu d'affrontement de l'antagonisme régional entre les deux principales branches de l'islam. L'islam sunnite représente à peu près 80 % de la population syrienne, alors que les alaouites ne sont que 10 %. Dans les 10 % restant figurent les autres minorités : les chrétiens (5 %), puis, entre 1 et 3 %, les druzes, les ismaéliens et les chiites duodécimains (chiites, majoritaires en Iran, reconnaissant douze imams).
La majorité sunnite connaît un clivage entre deux ethnies : les Arabes qui représentent à peu près 65 % de la population, et les Kurdes 15 % (quelques Turkmènes, moins de 1 % vivent dans le nord de la Syrie). Toutes les minorités, non sunnites, sont des populations arabes, à l'exception des Arméniens.
Une politique fondée sur le baasisme
Pour harmoniser le pays, le gouvernement revendiquait une politique basée sur le baasisme, c'est-à-dire la dissolution des entités confessionelles arabes.
Pour le professeur Balanche, le baasisme est cependant resté confiné à une certaine élite intellectuelle dont on peut interroger la sincérité idéologique : « Al-Assad père et les généraux qui l'entouraient ont noyauté le régime avec des gens du clan alaouite, avant même son arrivée au pouvoir. Son discours était panarabe et baasiste mais, en pratique, il utilisait tous les ressorts du communautarisme pour se renforcer et diviser les autres communautés. »
Le confessionalisme n'aurait donc jamais disparu en Syrie, et les médias ne voudraient pas voir cette réalité. Ceux-ci projetteraient sur les révolutions arabes le modèle de la Révolution française ou le Printemps des peuples de 1848.
Un traitement médiatique sujet à caution
Quant à l'interprétation médiatique, elle est, pour le professeur, un peu baclée : « La plupart des reporters qui vont en Syrie ne restent qu'une semaine, ne parlent pas l'arabe et ne font que des reportages superficiels. »
De même, selon lui : « Les politiciens français se rallient à la coalition américano-saudo-qatari contre Bachar Al-Assad. Pour eux, l'important est de faire tomber le régime par n'importe quel moyen. Les islamistes étant les plus efficaces, comme l'ont été les moudjahidin afghans contre les soviétiques, on ferme les yeux sur le caractère islamiste de ces groupes et, ensuite, advienne que pourra ! »
Les islamistes ne seraient pas considérés comme un danger par les Syriens eux-mêmes : « Beaucoup d'opposants syriens civils, au sein du Conseil national syrien ou de la Coalition nationale, affirment que ce n'est pas très grave, que les islamistes ne sont pas si nombreux ; que, de toutes façons, la Syrie n'est pas un pays islamiste et que, lorsque la révolution aura triomphé, on pourra se débarrasser facilement des islamistes. On disait la même chose en 1979, lors de la révolution iranienne... »
Une communauté chrétienne inquiète
Quant aux chrétiens syriens, ils vivent dans la peur, car le régime de Bachar Al-Assad leur apportait une certaine sécurité et égalité face aux ethnies majoritaires.
Ils se rappellent que, lorsqu'il y a une insurrection contre un régime qui les tolère, une persécution peut s'abattre sur eux : « Ils ont l'exemple de l'Irak. À partir de 2003, lorsque Saddam Hussein est tombé, 80 % des chrétiens d'Irak ont dû fuir. Les chrétiens syriens ont peur de subir le même sort. »
Effectivement, dans les zones tenues par les rebelles, comme à Ras al Aïn, au nord-est de la Syrie près de la frontière turque, des exactions ont eu lieu. À Alep, une grande partie des chrétiens sont déjà partis. « Il se trouve qu'aujourd'hui ces derniers sont plutôt dans les zones tenues par le régime, donc ils échappent pour l'heure à des persécutions de grande ampleur. »
L'occupation du village de Maaloula par les rebelles depuis le 4 septembre a donc une forte valeur symbolique : pour certains spécialistes de la Syrie, l'attaque de la bourgade vise à intimider tous les chrétiens du pays, que les rebelles accusent en général de soutenir le régime, et à montrer que Bachar Al-Assad, qui se targue d'être le protecteur des minorités, n'est plus apte à les préserver.
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