La théologie de la libération aujourd’hui
Les Communautés ecclésiales de base (CEB) ont montré qu’elles étaient une structure assez solide, résistant efficacement à la répression politique, celle-ci renforçant les convictions de leurs membres. Si l’autoritarisme latino-américain a été le terreau de ce mouvement religieux, si la théologie de la libération a introduit, dans le débat théologique et social, des questions de justice et de participation politique, elle ne semble pas être morte avec la démocratie.
Mais non, la théologie de la libération vit. Toutefois, avec la démocratie d’abord, puis avec le tournant à gauche de l’Amérique Latine, les oppositions se sont amoindries, et la théologie de la libération a perdu en visibilité. Elle a moins accès aux médias de masse (télévision, grands quotidiens, internet) que d’autres mouvements religieux, parfois plus conservateurs (notamment les Églises évangéliques). Elle attire moins, mais elle continue d’exister. Elle a même gardé sa place dans le catholicisme romain. Aucun schisme – quelle option improbable ! – aucune désertion de l’Église n’a eu lieu.
Michael Lowy* estime qu’elle est tout sauf morte : « Que la théologie de la libération soit morte, c’est le discours du Vatican depuis des années, relayé par les médias conformistes. Pour le Vatican, la règle reste : Roma locuta, causa finita (“Rome a parlé, la question est close” ». D’après Leonardo Boff, Rome s’est trompée en pensant pouvoir interdire bureaucratiquement la théologie de la libération, et les décisions de la Congrégation de la foi n’ont eu que très peu d’impact sur la réalité sociale latino-américaine : « La théologie de la libération est née du cri des pauvres, et maintenant c’est aussi le cri de la terre qui émeut. Tant que les pauvres continueront à crier et la terre à gémir, sous la houlette du productivisme et du consumérisme, il y aura mille raisons pour avoir une interprétation libératrice et révolutionnaire des Évangiles. La théologie de la libération est la réponse à une réalité injuste et sauve l’Église centrale de son aliénation et d’un certain cynisme ».
En effet, la théologie de la libération est encore présente un peu partout dans la société et chez les chrétiens latino-américains. De nombreuses communautés de base fonctionnent encore pleinement : au Brésil elles sont plus de cent-mille. Certains évêques continuent à se référer régulièrement à ce courant théologique. Des animateurs d’associations se placent dans son héritage, ainsi que des partis de gauche ; le Forum Social Mondial se situe dans son sillage. Des organisations pastorales pour les femmes, les enfants des rues, les mineurs, les prisonniers, et les indigènes (Conseil indigène missionnaire) répondent encore maintenant, en Amérique Latine, aux préceptes de cette théologie. Dans des groupes plus ou moins formels, on continue à lire en profondeur les Évangiles, en y voyant le modèle d’une possible libération de sa propre condition de pauvreté.
En politique même, Lula s’identifie partiellement à cette théologie, tout comme Rafael Correa en Équateur, Fernando Lugo, ancien évêque et président du Paraguay, Hugo Chavez au Venezuela, Daniel Ortega au Nicaragua, ainsi que le prêtre et diplomate Miguel D’Escoto, qui a eu un rôle de premier plan dans la fonction publique internationale. Leonardo Boff affirme, dans un article, que la théologie de la libération a participé à la création d’une culture politique, en aidant les pauvres à s’organiser : « Elle a aidé à créer des organisations sociales comme le Mouvement des Sans-terre, la pastorale indigène, le mouvement noir, et a été fondamentale dans la création du Parti des travailleurs au Brésil, dont le leader, Lula, s’est toujours reconnu dans la théologie de la libération ».
Bien que la démocratie soit maintenant une réalité (démocratie certes « dégradée » – pour reprendre le terme d’Olivier Dabène, spécialiste de la démocratie en Amérique Latine – le développement économique n’a pas atteint tout le monde, loin s’en faut ; les inégalités sont plus fortes que jamais. Les luttes des sans domicile fixe et des sans-terres sont plus que jamais d’actualité.
Le combat de la théologie de la libération contre les inégalités et les dernières prises de position du Pape François contre les dérives financières – et, de façon plus large, contre le néolibéralisme et la mondialisation – pourraient lui apporter un nouvel élan. Option fort possible, d’autant plus que la plupart de ses fondateurs (exception faite d’Helder Câmara, au Brésil, et d’Arnulfo Romero au Salvador) sont encore actifs : D’Escoto, Boff, Frei Betto, Guttiérez, Evaristo Arns.
Un paysage différent selon les pays
Le paysage de la théologie de la libération n’est cependant pas uniforme ; c’est surtout au Brésil qu’elle est encore très présente grâce aux Communautés ecclésiales de base. C’est ici aussi qu’ont eu lieu les premiers Forums sociaux mondiaux (à Porto Alegre, en 2005 et à Belém do Pará, en 2009). Comme Michael Lowy l’a noté, Chico Whitaker, qui fut à l’origine de ces Forums, est aussi membre de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB) et théologien de la libération, tout comme François Houtard, ami de Camilo Torres et de Frei Betto. Ces théologiens constituent une communauté internationale qui se réunit périodiquement, au sein des FSM (réunions de Nairobi, en 2007, et de Dakar, en 2011).
Théologie de la libération et catholicisme romain
Le colombien Alfredo Gómez Muller, professeur à l’Université de Tours, lors d’une interview à RFI (29/07/2009), a expliqué que « l’on observe aujourd’hui un manque de confiance de la part de certaines hiérarchies de l’Église. Dans une université catholique, il est difficile de mener des recherches sur les écrits de Gustavo Guttiérez et Leonardo Boff ». Dans ces conditions, on pourrait penser que la théologie de la libération finira par disparaître, mais, avec une opposition moins frontale du pape, elle semble pouvoir se maintenir voire même se consolider.
Les Communautés ecclésiales de base (CEB) ont montré qu’elles étaient une structure assez solide, résistant efficacement à la répression politique, celle-ci renforçant les convictions de leurs membres. Si l’autoritarisme latino-américain a été le terreau de ce mouvement religieux, si la théologie de la libération a introduit, dans le débat théologique et social, des questions de justice et de participation politique, elle ne semble pas être morte avec la démocratie.
Mais non, la théologie de la libération vit. Toutefois, avec la démocratie d’abord, puis avec le tournant à gauche de l’Amérique Latine, les oppositions se sont amoindries, et la théologie de la libération a perdu en visibilité. Elle a moins accès aux médias de masse (télévision, grands quotidiens, internet) que d’autres mouvements religieux, parfois plus conservateurs (notamment les Églises évangéliques). Elle attire moins, mais elle continue d’exister. Elle a même gardé sa place dans le catholicisme romain. Aucun schisme – quelle option improbable ! – aucune désertion de l’Église n’a eu lieu.
Michael Lowy* estime qu’elle est tout sauf morte : « Que la théologie de la libération soit morte, c’est le discours du Vatican depuis des années, relayé par les médias conformistes. Pour le Vatican, la règle reste : Roma locuta, causa finita (“Rome a parlé, la question est close” ». D’après Leonardo Boff, Rome s’est trompée en pensant pouvoir interdire bureaucratiquement la théologie de la libération, et les décisions de la Congrégation de la foi n’ont eu que très peu d’impact sur la réalité sociale latino-américaine : « La théologie de la libération est née du cri des pauvres, et maintenant c’est aussi le cri de la terre qui émeut. Tant que les pauvres continueront à crier et la terre à gémir, sous la houlette du productivisme et du consumérisme, il y aura mille raisons pour avoir une interprétation libératrice et révolutionnaire des Évangiles. La théologie de la libération est la réponse à une réalité injuste et sauve l’Église centrale de son aliénation et d’un certain cynisme ».
En effet, la théologie de la libération est encore présente un peu partout dans la société et chez les chrétiens latino-américains. De nombreuses communautés de base fonctionnent encore pleinement : au Brésil elles sont plus de cent-mille. Certains évêques continuent à se référer régulièrement à ce courant théologique. Des animateurs d’associations se placent dans son héritage, ainsi que des partis de gauche ; le Forum Social Mondial se situe dans son sillage. Des organisations pastorales pour les femmes, les enfants des rues, les mineurs, les prisonniers, et les indigènes (Conseil indigène missionnaire) répondent encore maintenant, en Amérique Latine, aux préceptes de cette théologie. Dans des groupes plus ou moins formels, on continue à lire en profondeur les Évangiles, en y voyant le modèle d’une possible libération de sa propre condition de pauvreté.
En politique même, Lula s’identifie partiellement à cette théologie, tout comme Rafael Correa en Équateur, Fernando Lugo, ancien évêque et président du Paraguay, Hugo Chavez au Venezuela, Daniel Ortega au Nicaragua, ainsi que le prêtre et diplomate Miguel D’Escoto, qui a eu un rôle de premier plan dans la fonction publique internationale. Leonardo Boff affirme, dans un article, que la théologie de la libération a participé à la création d’une culture politique, en aidant les pauvres à s’organiser : « Elle a aidé à créer des organisations sociales comme le Mouvement des Sans-terre, la pastorale indigène, le mouvement noir, et a été fondamentale dans la création du Parti des travailleurs au Brésil, dont le leader, Lula, s’est toujours reconnu dans la théologie de la libération ».
Bien que la démocratie soit maintenant une réalité (démocratie certes « dégradée » – pour reprendre le terme d’Olivier Dabène, spécialiste de la démocratie en Amérique Latine – le développement économique n’a pas atteint tout le monde, loin s’en faut ; les inégalités sont plus fortes que jamais. Les luttes des sans domicile fixe et des sans-terres sont plus que jamais d’actualité.
Le combat de la théologie de la libération contre les inégalités et les dernières prises de position du Pape François contre les dérives financières – et, de façon plus large, contre le néolibéralisme et la mondialisation – pourraient lui apporter un nouvel élan. Option fort possible, d’autant plus que la plupart de ses fondateurs (exception faite d’Helder Câmara, au Brésil, et d’Arnulfo Romero au Salvador) sont encore actifs : D’Escoto, Boff, Frei Betto, Guttiérez, Evaristo Arns.
Un paysage différent selon les pays
Le paysage de la théologie de la libération n’est cependant pas uniforme ; c’est surtout au Brésil qu’elle est encore très présente grâce aux Communautés ecclésiales de base. C’est ici aussi qu’ont eu lieu les premiers Forums sociaux mondiaux (à Porto Alegre, en 2005 et à Belém do Pará, en 2009). Comme Michael Lowy l’a noté, Chico Whitaker, qui fut à l’origine de ces Forums, est aussi membre de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB) et théologien de la libération, tout comme François Houtard, ami de Camilo Torres et de Frei Betto. Ces théologiens constituent une communauté internationale qui se réunit périodiquement, au sein des FSM (réunions de Nairobi, en 2007, et de Dakar, en 2011).
Théologie de la libération et catholicisme romain
Le colombien Alfredo Gómez Muller, professeur à l’Université de Tours, lors d’une interview à RFI (29/07/2009), a expliqué que « l’on observe aujourd’hui un manque de confiance de la part de certaines hiérarchies de l’Église. Dans une université catholique, il est difficile de mener des recherches sur les écrits de Gustavo Guttiérez et Leonardo Boff ». Dans ces conditions, on pourrait penser que la théologie de la libération finira par disparaître, mais, avec une opposition moins frontale du pape, elle semble pouvoir se maintenir voire même se consolider.