[img]
[/img]
Sectes, rumeurs et tribunaux
Laurent Hincker, éditions La nuée Bleue
avocat au barreau de Strasbourg et professeur associé des universités
Psychose collective et dérive de la République
un article de CAP-LC (Décembre 2003)
Les liens hypertextes sont ajoutés par le CICNS
Dans son livre, Laurent Hincker, avocat de terrain, dénonce l'entreprise d'étiquetage et de fichage des groupes spirituels pour les uns, en quête d'une simple fraternité pour les autres.
A travers deux affaires qu'il a eues à défendre, il démonte les mécanismes qui constituent selon lui de véritables dérives des principes fondamentaux de la République. Depuis 1983, les actions de quelques parlementaires français ont publiquement accusé de fanatisme ou d'escroquerie un nombre très important de mouvements les plus hétéroclites, relayés en cela par les médias qui se chargeaient d'alimenter les fantasmes populaires par une manipulation émotionnelle.
Si l'on peut réagir juridiquement contre les médias en cas de diffamation, bien que la tâche soit techniquement complexe et que le délai de prescription soit très court, on ne peut en revanche réagir contre la diffamation de la part d'une commission parlementaire, qui bénéficie de l'immunité (en France). Qu'est-ce qu'une secte ?
D'après la sociologie des religions, une secte est "un groupement contractuel de volontaires, ayant en commun certaines expériences religieuses ou autres, et dont le corps ainsi formé tirerait sa légitimation des liens créés entre les membres ou adhérents et non donc d'une entité extérieure."
Pourtant, ce terme a pris une connotation péjorative au fil du temps. Un certain nombre de drames montés en épingles (Guyana, Waco, OTS), qui à l'époque se sont tous produits hors du sol français, vont être la justification de la fameuse Commission Parlementaire de 1996.
Reprenant tous les critères 'officiels' qui caractériseraient une 'secte', Laurent Hincker montre que beaucoup de ces critères ne sont absolument pas spécifiques, voire non applicables aux groupes visés. Par exemple, 'les violences physiques', 'le discours plus ou moins antisocial' (tous les mouvements progressistes ont été taxés de visées anti-sociales), et 'les troubles à l'ordre public', critère extrêmement dangereux, terrain de prédilection de l'arbitraire, susceptible de faire glisser vers un État policier.
Les 'démêlés judiciaires' pourraient inclure des actions entreprises pour se défendre en diffamation, et 'le détournement des circuits économiques traditionnels' concerne tout aussi bien les Juifs, l'Islam, les communautés agrobiologiques, les communautés religieuses Catholiques, etc. Quant à " l'infiltration des pouvoirs publics ", n'est-ce pas le cœur de l'activité des groupes et partis politiques dans notre République ?
L'anthroposophie
L'auteur nous livre ensuite son expérience dans la défense juridique de l'Anthroposophie, mouvement beaucoup plus répandu en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Certains mouvements issus de cette tendance sont cités en 1999 pour la première fois dans un rapport parlementaire, à tel point que certains députés s'en émeuvent.
En fait, au mépris des règles de la démocratie et de la séparation des pouvoirs, une Commission Parlementaire a alors usurpé le rôle de juge, dans un procès inéquitable, partial et sans droit de défense.
Il importe de préciser que l'anthroposophie est assez éloignée des fameux 'critères' gouvernementaux. Ainsi, elle prône la découverte et la vérification individuelle des enseignements. Elle n'est pas une organisation en soi, mais un mouvement de pensée. Ses écoles sont intégrées au système des examens nationaux, et elles incluent des classes de rattrapage.
Dans son projet d'agriculture bio-dynamique, on parle " d'organisme agricole " et non de " système ", pour refuser l'analogie avec les machines. Sa médecine, souvent pratiquée par des médecins homéopathes, élargit la vision de la médecine et de l'homéopathie, intégrant le psychisme de l'homme. Ses médecins sont regroupés dans l'association " Mercure Fédéral ".
Les attaques sur l'anthroposophie
En 1995, le député Jacques Guyard diffame les écoles et institutions anthroposophiques durant le journal télévisé, suite à quoi il fait l'objet d'une plainte en diffamation.
Dans cette affaire judiciaire, J. Guyard admettra s'être basé sur quelques témoignages (non publiés) recoupés par un rapport des Renseignements Généraux.
Il affirme ne pas connaître l'anthroposophie et admet avoir parlé par généralités sur l'intention lucrative du mouvement.
Le Tribunal estima en première instance qu'il n'avait pas apporté la preuve de sa bonne foi (enquête sérieuse), et en particulier que le rapport des RGs, non signé, ne pouvait être considéré comme authentique.
Il poursuit : " En outre, aucun des documents produits par le prévenu n'est donc pertinent au regard des accusations de manipulation mentale, pressions financières, détournements de fonds et pratiques médicales mettant en péril la vie des malades...
Pourtant, le 15 Juillet 2000, dans l'appel, la cour ne se prononce pas et considère que l'interview de J. Guyard n'est que le prolongement du rapport parlementaire qu'elle ne peut juger, tout en reconnaissant cependant que les propos sont diffamatoires et que le député n'était pas couvert par l'immunité parlementaire. Elle acquitte le député : une immunité de fait donc.
Un mouvement hindouiste victime de rumeurs calomnieuses
En 1983, le premier rapport Vivien classait déjà un certain mouvement hindouiste parmi les " mouvements orientalistes, qui sont potentiellement dangereux parce qu'ils ont vocation à grandir et à se développer ".
De fait, ce mouvement prône une doctrine du " juste milieu ", basée sur un yoga dépouillé axé sur la méditation, ou yoga Sadhana. On peut à ce sujet noter que le professeur de yoga EST le guru indien. Le sociologue Bruno Etienne a étudié ce mouvement et le classe parmi les nouveaux mouvements religieux, soulignant son acclimatation à l'Occident et un rapprochement de la conception monothéiste.
En 1995, Jacques Guyard lui reproche entre autres le recours au bénévolat. (Quid du catholicisme ? des syndicats ? Des colleurs d'affiches politiques ?) Très vite , l'un des plus ouverts des mouvements de type hindouiste se retrouve accusé du jour au lendemain d'enlèvements d'enfants et de préparer des suicides collectifs (Voir Mythes).
Les inventions les plus folles se retrouvent alors dans la presse.
Dans un article intitulé " Sectes et illuminés sous haute surveillance ", le Figaro écrit que les membres du mouvement s'étaient repliés sur le Jura pour conjurer l'éclipse de la lune (il n'y avait personne dans les bâtiments en question sauf le concierge). En Décembre 1999, le même Figaro affirme que les membres sont sous haute surveillance, 32 d'entre eux ayant effectué une tentative de suicide à Ténérife (invention pure et simple !).
La doctrine du groupe réprouve totalement le suicide et il n'y a jamais eu ni adhérent ni activité quelconque à Ténérife ! Il faudra deux ans pour que l'accusation en diffamation aboutisse, avec les dégâts et conséquences secondaires qu'on peut imaginer contre la modique somme de 3000 euros de dédommagements.
Deux mois plus tard, sort un article sur un père dont l'enfant aurait été " enlevé " par ce mouvement. La rumeur commence à faire son effet : un homme politique, dont la femme fait partie du mouvement, doit alors renoncer à se présenter aux élections et changer de région.
Une mairie 'fautive' de n'avoir pas fait usage de son droit de préemption !
Quand le mouvement sollicite et obtient une salle à Nice, le signal est donné. L'affaire est présentée comme un véritable " Watergate " niçois, et le journal local va même jusqu'à suggérer que, si la mairie n'a pas fait usage de son droit de préemption, (prônant ainsi ouvertement la discrimination religieuse), c'est qu'elle est " complice ".
Une émission télé de style " divertissement ", style arènes romaines, citant le rapport parlementaire de 1995, invite ce même père pour raconter comment on lui a enlevé ses enfants, avec tous les clichés à l'appui sur la dépersonnalisation, etc., tout cela sans débat contradictoire, au mépris de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Condamnation d'une fausse victime
Or, le 13 novembre 2002, la cour d'appel confirme la condamnation du père en question. En effet, c'est la justice elle-même qui avait retiré le droit de visite au père, après expertise psychologique, détail que le père avait complètement occulté par un renversement des faits. Cependant, le tribunal n'a pas jugé bon de faire paraître un communiqué à la télévision, ce qui rend le jugement inopérant au regard de la campagne diffamante.
Ainsi, sur simple rumeur, des fonctionnaires ou des universitaires ont été mis au placard, souvent par pure inimitié ou rivalité professionnelle.
Au regard des textes
Les Droits de l'Homme de 1789 ont été incorporés à la Constitution de 1958. De nombreux textes " protègent " ou ont protégé les convictions des citoyens : la Constitution de 46, la loi du 9 décembre 1905, notamment par son article 31 qui instaure une infraction pénale pour non respect.
Mais avec la loi About-Picard du 12 juin 2001, en créant la notion de sujétion psychologique, on touche au fondement même de ce qu'est une croyance professée par une collectivité. Ainsi, certaines religions parlent de " foi inconditionnelle " ou de " sujétion à Dieu ". Cette loi, de fait, permet la dissolution immédiate de l'Église Catholique. On pourrait également évoquer les clubs de sport et l'obligation de dopage pour rester compétitif.
L'Europe, souvent le seul recours
L'État faisant preuve de sectarisme, il faut se tourner vers l'Europe pour obliger l'État français à appliquer ses propres principes de laïcité.
Le Conseil de l'Europe a entre autres le rôle de maintenir l'État de droit et la primauté de la loi dans les États membres. La diversité des 45 États confère aux décisions du Conseil de l'Europe une grande légitimité. Il insiste sur la protection des membres de toutes confessions, notamment dans le point 7 du rapport 8373 (13 avril 1999) :
"Il est primordial de disposer d'une information fiable sur lesdits mouvements qui ne provienne ni exclusivement des sectes elles-mêmes, ni des associations de défense des victimes de sectes, et de la diffuser largement au grand public, après que les personnes concernées ont eu la possibilité d'être entendues sur l'objectivité de telles informations."
Conclusion : une action juridique engagée contre le Gouvernement français
Constatant que l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme implique un droit de recours contre des personnes agissant même dans le cadre de leurs fonctions officielles, que le rapport parlementaire de 1996 jouit d'une immunité totale et ne permet aucun recours, Laurent Hincker a attaqué l'État français pour violation de cet article de la Convention européenne.
La Cour européenne de Strasbourg a donc interrogé l'État français sur la compatibilité de l'immunité juridictionnelle des rapports parlementaires. Affaire en cours.
Laurent HINCKER :
Avocat au barreau de Strasbourg, spécialiste en droit pénal, droit des personnes, droit communautaire et droit européen (notamment devant la Cour européenne des droits de l'homme), il est aussi professeur associé des universités, où il enseigne la sociologie juridique et criminelle. Spécialiste des questions de violence et d'insécurité, il est expert auprès de nombreuses institutions publiques et a par ailleurs créé, à Strasbourg, une association d'aide aux victimes.