L’UOIF est-elle dangereuse pour la démocratie ?
Anne-Bénédicte Hoffner, le 04/05/2017 à 17h10
Lors du débat télévisé organisé mercredi 3 mai entre les deux candidats à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, la candidate du FN, a jugé nécessaire – au-delà de la lutte contre les djihadistes – de « s’attaquer à la racine du mal ». Dénonçant « le développement exponentiel du fondamentalisme islamiste sur notre territoire », elle a notamment visé l’Union des organisations islamiques de France.
7 Avril 2012 : 29ème rencontre des Musulmans de France, organisée par l'UOIF, au Bourget (93).
ZOOM
7 Avril 2012 : 29ème rencontre des Musulmans de France, organisée par l'UOIF, au Bourget (93). / P.RAZZO/CIRIC/P.RAZZO/CIRIC
Qu’est-ce que l’Union des organisations islamiques de France ?
L’Union des organisations islamiques de France (UOIF) – qui prendra le nom de « Musulmans de France » à la rentrée 2017 – a été créée en 1983 par un groupe d’étudiants, pour la plupart venus des pays du Maghreb et membres de la confrérie des Frères musulmans. Ils avaient deux objectifs : « promouvoir la compréhension de l’islam à travers des responsables religieux formés et des lieux de culte dignes ; et unir les acteurs associatifs communautaires ».
L’UOIF revendique aujourd’hui 1 600 membres adhérents à titre personnel, ainsi que 285 associations adhérentes, gérant pour la plupart des mosquées. Elle travaille également avec une trentaine d’associations partenaires dont elle a participé à la création : Étudiants musulmans de France, Secours islamique, Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens… Enfin, elle a comme « compagnons de route » quelques personnalités fameuses comme les frères Tariq et Hani Ramadan, petit-fils de Hassan el-Banna, fondateur de la confrérie des Frères musulmans en 1928 en Égypte.
À LIRE AUSSI : L’UOIF change de nom pour redorer son image
Très impliquée dans l’éducation, l’UOIF est à l’origine de la création de six établissements privés, dont le lycée Averroès à Lille, réunis depuis 2014 sous l’égide d’une Fédération Nationale de l’Enseignement privé Musulman. Et elle gère deux centres de formation aux sciences islamiques l’un à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’autre à Château-Chinon (Nièvre), d’où sortent chaque année une poignée d’imams.
Organisatrice chaque année au Bourget du grand Rassemblement annuel des musulmans de France, l’UOIF a eu, à plusieurs reprises, maille à partir avec les autorités. Certains de ses invités, prédicateurs vedettes des chaînes satellitaires comme Iqra TVA, venus d’Égypte ou des pays de la péninsule arabique, tiennent en effet régulièrement, dans le monde musulman, des propos antisémites ou misogynes, ou même appelant à la violence…
Quel est son statut en France ?
L’UOIF se défend évidemment de tout fondamentalisme, comme de tout lien avec les Frères musulmans en Égypte. « Depuis sa création, les valeurs et les actions de l’UOIF sont basées sur une lecture authentique et ouverte de l’islam, lecture dite du “juste milieu” qui prône la prise en compte du contexte socio-culturel dans la pratique et les discours religieux », écrit ainsi l’organisation sur son site Internet.
Ses responsables – et notamment son président actuel, Amar Lasfar – ne cessent de mettre en avant leur engagement au service des musulmans de France, et même de « l’islam de France ».
De fait, sur le plan institutionnel, cette fédération – qui représente une sensibilité importante de la communauté musulmane de France (autour de 12 % selon un récent rapport de l’Institut Montaigne) – a depuis le début été invitée à la table de la République : elle a participé en 1990 au Conseil de réflexion sur l’islam en France (CORIF) impulsé par Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, puis, à partir de la fin de l’année 2000, aux travaux de Jean-Pierre Chevènement puis de Nicolas Sarkozy, qui ont abouti à la création du Conseil français du culte musulman. Membre de ce CFCM à l’origine – en dépit de vifs débats internes –, l’UOIF en est sortie avant de demander en 2016 sa réintégration.
À LIRE : En France, des imams créent un « conseil théologique »
Par la voix de son président, l’organisation reconnaît toutefois « être issue » de la Confrérie des Frères musulmans. Créée en 1928 en Égypte, cette dernière a pour projet de replacer l’islam ritualiste au cœur de la vie sociopolitique et culturelle des sociétés musulmanes.
« L’UOIF reste bien sûr la caisse de résonance, en France, des Frères musulmans », décrypte Haouès Séniguer, maître de conférences à Sciences-Po Lyon. « Mais, pragmatique, elle épouse aussi les contraintes institutionnelles et contextuelles locales ». Concrètement, elle respecte la laïcité – voire en reconnaît les avantages en termes de liberté d’expression, sans aller bien sûr jusqu’à promouvoir ce modèle dans le monde musulman… – et les lois de la République.
Les auteurs d’attentats djihadistes ne sont, jusqu’à présent, jamais issus de ses rangs. Enfin, elle abrite en son sein une grande diversité de points de vue, des plus conservateurs, voire démagogiques, aux plus « ouverts » – comme Tareq Oubrou, imam de Bordeaux.
En quoi sa doctrine pose-t-elle problème ?
« Même si l’UOIF a évolué, par pragmatisme et peut-être aussi par stratégie, elle n’a pas rompu avec l’idéologie matricielle des Frères musulmans », relève Haouès Seniguer. « Elle promeut une pensée intégrale, c’est-à-dire informant la vie privée comme publique de l’individu, envisageant la religion non pas comme source d’épanouissement spirituel mais comme projet de société. Un certain nombre de ses membres continuent, par exemple, à espérer le retour du califat, même s’ils ne savent pas ni quand ni comment. »
Pour le chercheur, cette « représentation du monde » pose indéniablement question dans « une société pluraliste comme la France ».
À LIRE AUSSI : Où en est la mobilisation des imams contre l’extrémisme ?
« On y retrouve des éléments de pensée d’intolérance, de hiérarchisation et de polarisation de la société, non pas sur des critères ethniques ou raciaux comme au Front national, mais sur des critères religieux », abonde l’islamologue belge Michaël Privot, auteur de Quand j’étais Frère musulman, parcours vers un islam des Lumières (La Boîte à Pandore, mai 2017).
Mais ces éléments sont « communs à l’ensemble des courants de l’islam actuel, sans être jamais questionnés », rappelle aussi ce dernier.
Pour Michaël Privot, c’est le « paradigme de domination » du musulman sur le non-musulman, issu de la longue période au cours de laquelle l’islam s’est constitué en empire, qu’il conviendrait de questionner. Notamment à travers « l’information sur le fait religieux et la formation des imams ».
Anne-Bénédicte Hoffner
http://www.la-croix.com/Religion/Islam/LUOIF-elle-dangereuse-pour-democratie-2017-05-04-1200844613
Anne-Bénédicte Hoffner, le 04/05/2017 à 17h10
Lors du débat télévisé organisé mercredi 3 mai entre les deux candidats à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, la candidate du FN, a jugé nécessaire – au-delà de la lutte contre les djihadistes – de « s’attaquer à la racine du mal ». Dénonçant « le développement exponentiel du fondamentalisme islamiste sur notre territoire », elle a notamment visé l’Union des organisations islamiques de France.
7 Avril 2012 : 29ème rencontre des Musulmans de France, organisée par l'UOIF, au Bourget (93).
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7 Avril 2012 : 29ème rencontre des Musulmans de France, organisée par l'UOIF, au Bourget (93). / P.RAZZO/CIRIC/P.RAZZO/CIRIC
Qu’est-ce que l’Union des organisations islamiques de France ?
L’Union des organisations islamiques de France (UOIF) – qui prendra le nom de « Musulmans de France » à la rentrée 2017 – a été créée en 1983 par un groupe d’étudiants, pour la plupart venus des pays du Maghreb et membres de la confrérie des Frères musulmans. Ils avaient deux objectifs : « promouvoir la compréhension de l’islam à travers des responsables religieux formés et des lieux de culte dignes ; et unir les acteurs associatifs communautaires ».
L’UOIF revendique aujourd’hui 1 600 membres adhérents à titre personnel, ainsi que 285 associations adhérentes, gérant pour la plupart des mosquées. Elle travaille également avec une trentaine d’associations partenaires dont elle a participé à la création : Étudiants musulmans de France, Secours islamique, Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens… Enfin, elle a comme « compagnons de route » quelques personnalités fameuses comme les frères Tariq et Hani Ramadan, petit-fils de Hassan el-Banna, fondateur de la confrérie des Frères musulmans en 1928 en Égypte.
À LIRE AUSSI : L’UOIF change de nom pour redorer son image
Très impliquée dans l’éducation, l’UOIF est à l’origine de la création de six établissements privés, dont le lycée Averroès à Lille, réunis depuis 2014 sous l’égide d’une Fédération Nationale de l’Enseignement privé Musulman. Et elle gère deux centres de formation aux sciences islamiques l’un à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’autre à Château-Chinon (Nièvre), d’où sortent chaque année une poignée d’imams.
Organisatrice chaque année au Bourget du grand Rassemblement annuel des musulmans de France, l’UOIF a eu, à plusieurs reprises, maille à partir avec les autorités. Certains de ses invités, prédicateurs vedettes des chaînes satellitaires comme Iqra TVA, venus d’Égypte ou des pays de la péninsule arabique, tiennent en effet régulièrement, dans le monde musulman, des propos antisémites ou misogynes, ou même appelant à la violence…
Quel est son statut en France ?
L’UOIF se défend évidemment de tout fondamentalisme, comme de tout lien avec les Frères musulmans en Égypte. « Depuis sa création, les valeurs et les actions de l’UOIF sont basées sur une lecture authentique et ouverte de l’islam, lecture dite du “juste milieu” qui prône la prise en compte du contexte socio-culturel dans la pratique et les discours religieux », écrit ainsi l’organisation sur son site Internet.
Ses responsables – et notamment son président actuel, Amar Lasfar – ne cessent de mettre en avant leur engagement au service des musulmans de France, et même de « l’islam de France ».
De fait, sur le plan institutionnel, cette fédération – qui représente une sensibilité importante de la communauté musulmane de France (autour de 12 % selon un récent rapport de l’Institut Montaigne) – a depuis le début été invitée à la table de la République : elle a participé en 1990 au Conseil de réflexion sur l’islam en France (CORIF) impulsé par Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, puis, à partir de la fin de l’année 2000, aux travaux de Jean-Pierre Chevènement puis de Nicolas Sarkozy, qui ont abouti à la création du Conseil français du culte musulman. Membre de ce CFCM à l’origine – en dépit de vifs débats internes –, l’UOIF en est sortie avant de demander en 2016 sa réintégration.
À LIRE : En France, des imams créent un « conseil théologique »
Par la voix de son président, l’organisation reconnaît toutefois « être issue » de la Confrérie des Frères musulmans. Créée en 1928 en Égypte, cette dernière a pour projet de replacer l’islam ritualiste au cœur de la vie sociopolitique et culturelle des sociétés musulmanes.
« L’UOIF reste bien sûr la caisse de résonance, en France, des Frères musulmans », décrypte Haouès Séniguer, maître de conférences à Sciences-Po Lyon. « Mais, pragmatique, elle épouse aussi les contraintes institutionnelles et contextuelles locales ». Concrètement, elle respecte la laïcité – voire en reconnaît les avantages en termes de liberté d’expression, sans aller bien sûr jusqu’à promouvoir ce modèle dans le monde musulman… – et les lois de la République.
Les auteurs d’attentats djihadistes ne sont, jusqu’à présent, jamais issus de ses rangs. Enfin, elle abrite en son sein une grande diversité de points de vue, des plus conservateurs, voire démagogiques, aux plus « ouverts » – comme Tareq Oubrou, imam de Bordeaux.
En quoi sa doctrine pose-t-elle problème ?
« Même si l’UOIF a évolué, par pragmatisme et peut-être aussi par stratégie, elle n’a pas rompu avec l’idéologie matricielle des Frères musulmans », relève Haouès Seniguer. « Elle promeut une pensée intégrale, c’est-à-dire informant la vie privée comme publique de l’individu, envisageant la religion non pas comme source d’épanouissement spirituel mais comme projet de société. Un certain nombre de ses membres continuent, par exemple, à espérer le retour du califat, même s’ils ne savent pas ni quand ni comment. »
Pour le chercheur, cette « représentation du monde » pose indéniablement question dans « une société pluraliste comme la France ».
À LIRE AUSSI : Où en est la mobilisation des imams contre l’extrémisme ?
« On y retrouve des éléments de pensée d’intolérance, de hiérarchisation et de polarisation de la société, non pas sur des critères ethniques ou raciaux comme au Front national, mais sur des critères religieux », abonde l’islamologue belge Michaël Privot, auteur de Quand j’étais Frère musulman, parcours vers un islam des Lumières (La Boîte à Pandore, mai 2017).
Mais ces éléments sont « communs à l’ensemble des courants de l’islam actuel, sans être jamais questionnés », rappelle aussi ce dernier.
Pour Michaël Privot, c’est le « paradigme de domination » du musulman sur le non-musulman, issu de la longue période au cours de laquelle l’islam s’est constitué en empire, qu’il conviendrait de questionner. Notamment à travers « l’information sur le fait religieux et la formation des imams ».
Anne-Bénédicte Hoffner
http://www.la-croix.com/Religion/Islam/LUOIF-elle-dangereuse-pour-democratie-2017-05-04-1200844613