Rapprochement historique entre luthériens et réformés
Marie-Lucile Kubacki - publié le 15/05/2012
C'est historique : pour la première fois, l'Eglise évangélique luthérienne de France (EELF) et l'Eglise réformée de France (ERF) vont unir leurs synodes du 17 au 20 mai à Belfort, pour adopter les textes constitutifs qui donneront naissance en 2013 à l'Eglise protestante unie. Une union qui marque un tournant pour le moment.
En apparence, rien de spectaculaire dans le rapprochement entre luthériens et réformés. En effet, les deux Eglises protestantes "historiques" partagent déjà un certain nombre de structures communes : leurs pasteurs sont formés au même endroit, l’Institut protestant de théologie (IPT), elles ont fondé avec d’autres la Fédération protestante de France, font partie de la Conférence des Eglises européennes, elles ont une action commune à travers de nombreux mouvements (scoutisme, union chrétienne, fondation John Bost, cimade...) et elles utilisent une méthode des outils catéchétiques et des recueils de cantiques en commun.
Par ailleurs, depuis 2006, la situation existe déjà en Alsace, sous régime concordataire. La région a ouvert la voie en créant il y a six ans l'Union des Eglises protestantes d'Alsace-Lorraine. Des Eglises unies existent aussi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. En France, le rapprochement entre luthériens et réformés s'incrit dans la Concorde de Leuenberg, un texte signé en 1976 par les Eglises réformées et luthériennes d'Europe qui les déclare en pleine communion.
Pourtant c'est une première historique. Car depuis la Réforme au XVIe siècle, luthériens et réformés sont séparés. En cause? Des questions théologiques au centre desquelles se trouve la compréhension de la Sainte-Cène et celle de la "présence réelle". Pour les luthériens, le Christ est présent dans la Sainte-Cène même si le pain reste le pain et le vin, le vin. Pour les réformés, cette présence est symbolique. Souvent donc, les luthériens utilisent des hosties là où les réformés emploient du pain levé. Dans les deux cas, ils sont en désaccord avec la conception catholique romaine selon laquelle le pain change de nature et devient le corps du christ et le vin, son sang. La question du ministère pastoral est une autre différence : "L'EELF parle d'ordination des pasteurs là où, sauf dans les années 60-70, l'ERF a toujours parlé de la 'reconnaissance du ministère'", explique le Pasteur Joël Dautheville, président du conseil exécutif de l’Église évangélique luthérienne de France. Par ailleurs, les pasteurs luthériens portent parfois une étole. Dans la liturgie luthérienne, donc, le sacré est plus "visible". Mais Joël Dautheville ajoute : "Dans le fond, la réalité est sensiblement la même !"
Considérant ces différences comme secondaires devant les nouveaux défis auxquels les Eglises protestantes historiques vont devoir faire face, luthériens et réformés ont décidé de s'unir sur l'essentiel, tout en gardant leur singularité.Tout au long de ce processus initié en mai 2007, l'ERF et l'EELF ont veillé à garder leur personnalité. "Il y a quelques mois nous avons eu un synode blanc avant celui du 17 au 20 mai pour vérifier qu'on était bien d'accord sur les textes, raconte le Pasteur Laurent Schlumberger. A la fin, il y a eu un culte présidé par un pasteur réformé et un pasteur luthérien. Le pasteur luthérien était en robe pastorale noire, il avait une étole et une croix pectorale. Il a fait des signes de croix et a proposé la communion avec des hosties, ça s'est très bien passé. Il y a cinq ans, certains auraient râlé, on aurait entendu les chaises grincer ! A la sortie, un vieux protestant réformé du midi m'a dit : ce n'est pas mon style, mais ça a sa place dans mon église. C'est là l'esprit de l'union qu'on est en train de faire, accueillir une diversité plus grande au sein de l'Eglise."
Les nouveaux défis? La sécularisation de la société et la croissance des églises évangéliques, particulièrement dynamiques et plus jeunes. "En France les protestants ont toujours été ultra minoritaires et ont toujours été la mouche du coche catholique, religion hyper majoritaire. Cela a été constitutif longtemps de l'identité protestante, plus libérale, sans pape ni magistère. Et on était dans une situation figée : la petite mouche protestante face au mastodonte catholique...", explique Laurent Schlumberger. "C'est fini car la place des religions dans la société s'est modifiée car toutes sont minoritaires. Aujourd'hui, l'enjeu n'est plus de se défendre des catholiques, c'est d'apprendre à diffuser, à partager, à proposer la manière protestante de vivre la foi chrétienne." Et façon rénovée d'envisager la mission des chrétiens protestants dans la société française : "Il faut passer d'une Eglise de membres, de gens qui appartiennent à un club, à une Eglise de témoins, qui vivent ensemble la mission de partage de la foi chrétienne."
Ceci ne pourrait être qu'un début. En tant que président de la Fédération Protestante de France, Claude Baty souhaite que l'initiative luthéro-réformée serve d'exemple aux autres Eglises de la fédération, évangéliques et charismatiques : "Ce que fait l'Eglise protestante unie est un bon signal adressé aux autres pour encourager d'autres signes d'unité" Selon lui, Eglises historiques et évangéliques ont en effet beaucoup à s'apporter : "La vision selon laquelle les évangéliques seraient en grande progression et les églises historiques en train de mourir ne tient pas à l'analyse." Pour comprendre cela, il faut remonter le cours de l'Histoire : "Le protestantisme a beaucoup changé depuis 40 ans. Dans les années 70, il s'était un peu figé dans des positions presque caricaturales : les historiques se situaient côté intellectuel, dans les engagements sociaux et politiques, et les évangéliques restaient enfermés dans un discours piétiste avec une volonté de rester en dehors du monde." Les mouvements de fond de la société n'ont pas épargné les Eglises. "La disparition annoncée des religions dans les années 70 n'a pas eu lieu. La religion n'a pas disparu. Elle s'est trouvée renouvelée par le besoin de spiritualité de la population : cela a amené les évangéliques et les historiques à bouger leur lignes."
Pour Claude Baty, le protestantisme est à une époque charnière : "Les luthéro-réformés se sont rendu compte qu'il n'était pas tenable d'avoir un discours uniquement politique et social et les évangéliques se sont aperçu qu'on ne pouvait annoncer l'Evangile sans prendre le monde en compte. Aujourd'hui le protestantisme est dans une situation intéressante car tout le monde a bougé, sous l'influence, aussi de nouveaux protestants venus, entre autres, d'Afrique et d'Asie, porteurs d'une autre piété qui n'a pas connu cette sécularisation. Ils ont amené plus de simplicité et de dynamisme. Tout le monde profite de tout le monde : les nouveaux se rendent compte que la réflexion des historiques est nourrissante et les historiques profitent du zèle évangélique." Symptôme de cette prise de conscience de l'urgence qu'il y a de s'unir, pour la première fois, la création de l'Eglise protestante unie ne devrait pas se solder par de nouvelles divisions, comme cela a toujours été le cas lors des précédentes tentatives d'union. Il y a donc fort à parier pour que le synode de Belfort marque le début d'un tournant pour le protestantisme français.
Marie-Lucile Kubacki - publié le 15/05/2012
C'est historique : pour la première fois, l'Eglise évangélique luthérienne de France (EELF) et l'Eglise réformée de France (ERF) vont unir leurs synodes du 17 au 20 mai à Belfort, pour adopter les textes constitutifs qui donneront naissance en 2013 à l'Eglise protestante unie. Une union qui marque un tournant pour le moment.
En apparence, rien de spectaculaire dans le rapprochement entre luthériens et réformés. En effet, les deux Eglises protestantes "historiques" partagent déjà un certain nombre de structures communes : leurs pasteurs sont formés au même endroit, l’Institut protestant de théologie (IPT), elles ont fondé avec d’autres la Fédération protestante de France, font partie de la Conférence des Eglises européennes, elles ont une action commune à travers de nombreux mouvements (scoutisme, union chrétienne, fondation John Bost, cimade...) et elles utilisent une méthode des outils catéchétiques et des recueils de cantiques en commun.
Par ailleurs, depuis 2006, la situation existe déjà en Alsace, sous régime concordataire. La région a ouvert la voie en créant il y a six ans l'Union des Eglises protestantes d'Alsace-Lorraine. Des Eglises unies existent aussi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. En France, le rapprochement entre luthériens et réformés s'incrit dans la Concorde de Leuenberg, un texte signé en 1976 par les Eglises réformées et luthériennes d'Europe qui les déclare en pleine communion.
Pourtant c'est une première historique. Car depuis la Réforme au XVIe siècle, luthériens et réformés sont séparés. En cause? Des questions théologiques au centre desquelles se trouve la compréhension de la Sainte-Cène et celle de la "présence réelle". Pour les luthériens, le Christ est présent dans la Sainte-Cène même si le pain reste le pain et le vin, le vin. Pour les réformés, cette présence est symbolique. Souvent donc, les luthériens utilisent des hosties là où les réformés emploient du pain levé. Dans les deux cas, ils sont en désaccord avec la conception catholique romaine selon laquelle le pain change de nature et devient le corps du christ et le vin, son sang. La question du ministère pastoral est une autre différence : "L'EELF parle d'ordination des pasteurs là où, sauf dans les années 60-70, l'ERF a toujours parlé de la 'reconnaissance du ministère'", explique le Pasteur Joël Dautheville, président du conseil exécutif de l’Église évangélique luthérienne de France. Par ailleurs, les pasteurs luthériens portent parfois une étole. Dans la liturgie luthérienne, donc, le sacré est plus "visible". Mais Joël Dautheville ajoute : "Dans le fond, la réalité est sensiblement la même !"
Considérant ces différences comme secondaires devant les nouveaux défis auxquels les Eglises protestantes historiques vont devoir faire face, luthériens et réformés ont décidé de s'unir sur l'essentiel, tout en gardant leur singularité.Tout au long de ce processus initié en mai 2007, l'ERF et l'EELF ont veillé à garder leur personnalité. "Il y a quelques mois nous avons eu un synode blanc avant celui du 17 au 20 mai pour vérifier qu'on était bien d'accord sur les textes, raconte le Pasteur Laurent Schlumberger. A la fin, il y a eu un culte présidé par un pasteur réformé et un pasteur luthérien. Le pasteur luthérien était en robe pastorale noire, il avait une étole et une croix pectorale. Il a fait des signes de croix et a proposé la communion avec des hosties, ça s'est très bien passé. Il y a cinq ans, certains auraient râlé, on aurait entendu les chaises grincer ! A la sortie, un vieux protestant réformé du midi m'a dit : ce n'est pas mon style, mais ça a sa place dans mon église. C'est là l'esprit de l'union qu'on est en train de faire, accueillir une diversité plus grande au sein de l'Eglise."
Les nouveaux défis? La sécularisation de la société et la croissance des églises évangéliques, particulièrement dynamiques et plus jeunes. "En France les protestants ont toujours été ultra minoritaires et ont toujours été la mouche du coche catholique, religion hyper majoritaire. Cela a été constitutif longtemps de l'identité protestante, plus libérale, sans pape ni magistère. Et on était dans une situation figée : la petite mouche protestante face au mastodonte catholique...", explique Laurent Schlumberger. "C'est fini car la place des religions dans la société s'est modifiée car toutes sont minoritaires. Aujourd'hui, l'enjeu n'est plus de se défendre des catholiques, c'est d'apprendre à diffuser, à partager, à proposer la manière protestante de vivre la foi chrétienne." Et façon rénovée d'envisager la mission des chrétiens protestants dans la société française : "Il faut passer d'une Eglise de membres, de gens qui appartiennent à un club, à une Eglise de témoins, qui vivent ensemble la mission de partage de la foi chrétienne."
Ceci ne pourrait être qu'un début. En tant que président de la Fédération Protestante de France, Claude Baty souhaite que l'initiative luthéro-réformée serve d'exemple aux autres Eglises de la fédération, évangéliques et charismatiques : "Ce que fait l'Eglise protestante unie est un bon signal adressé aux autres pour encourager d'autres signes d'unité" Selon lui, Eglises historiques et évangéliques ont en effet beaucoup à s'apporter : "La vision selon laquelle les évangéliques seraient en grande progression et les églises historiques en train de mourir ne tient pas à l'analyse." Pour comprendre cela, il faut remonter le cours de l'Histoire : "Le protestantisme a beaucoup changé depuis 40 ans. Dans les années 70, il s'était un peu figé dans des positions presque caricaturales : les historiques se situaient côté intellectuel, dans les engagements sociaux et politiques, et les évangéliques restaient enfermés dans un discours piétiste avec une volonté de rester en dehors du monde." Les mouvements de fond de la société n'ont pas épargné les Eglises. "La disparition annoncée des religions dans les années 70 n'a pas eu lieu. La religion n'a pas disparu. Elle s'est trouvée renouvelée par le besoin de spiritualité de la population : cela a amené les évangéliques et les historiques à bouger leur lignes."
Pour Claude Baty, le protestantisme est à une époque charnière : "Les luthéro-réformés se sont rendu compte qu'il n'était pas tenable d'avoir un discours uniquement politique et social et les évangéliques se sont aperçu qu'on ne pouvait annoncer l'Evangile sans prendre le monde en compte. Aujourd'hui le protestantisme est dans une situation intéressante car tout le monde a bougé, sous l'influence, aussi de nouveaux protestants venus, entre autres, d'Afrique et d'Asie, porteurs d'une autre piété qui n'a pas connu cette sécularisation. Ils ont amené plus de simplicité et de dynamisme. Tout le monde profite de tout le monde : les nouveaux se rendent compte que la réflexion des historiques est nourrissante et les historiques profitent du zèle évangélique." Symptôme de cette prise de conscience de l'urgence qu'il y a de s'unir, pour la première fois, la création de l'Eglise protestante unie ne devrait pas se solder par de nouvelles divisions, comme cela a toujours été le cas lors des précédentes tentatives d'union. Il y a donc fort à parier pour que le synode de Belfort marque le début d'un tournant pour le protestantisme français.