LILIAN THURAM TACLE LE RACISME
L’ancien footballeur est commissaire général de l’exposition « Exhibitions. L’invention du sauvage », au musée du Quai-Branly. Une façon de rappeler
que les préjugés ne datent pas d’aujourd’hui.
Paris Match. Comment êtes-vous devenu commissaire de l’exposition “Exhibitions” ?
Lilian Thuram. Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert des livres sur les zoos humains. Cela m’a permis de comprendre comment le racisme scientifique avait pu s’immiscer dans la culture populaire. Des millions de personnes à travers les siècles ont vu ces exhibitions. Puis j’ai rencontré Pascal Blanchard, spécialiste de l’histoire coloniale, et ensemble nous avons proposé cette exposition au musée du Quai-Branly qui a aussitôt accepté.
Qu’avez-vous voulu démontrer ?
Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une histoire et surtout pas d’instaurer une sorte de culpabilisation ou de victimisation. L’idée est de déchiffrer le présent en remontant le fil du passé. Depuis longtemps, je cherche à comprendre pourquoi tant de préjugés concernent la couleur de peau. Je n’avais pas saisi que c’était un problème culturel. Quand les gens allaient voir ces exhibitions, ils ressortaient avec l’idée qu’ils étaient supérieurs parce “qu’ils étaient civilisés face à des sauvages”. Or, les personnes exposées dans les foires ou les jardins étaient comme vous et moi.
Comment nos ancêtres en étaient venus à exhiber des êtres humains ?
Quand Christophe Colomb présentait à la cour d’Espagne les Amérindiens, l’objectif était de montrer “l’autre”. Au départ, cela se déroulait dans les hautes sociétés, puis peu à peu cela s’est transformé en phénomène de masse. Au début du XIXe siècle, cela devient grandiose ! On vient voir
“les sauvages”, les scientifiques se battent pour les examiner. Les empires coloniaux s’y mettent. On montre les Pygmées, les Zoulous, les Inuits et tant d’autres. C’est une façon pour les Occidentaux de dire : “Regardez comme nous, nous sommes supérieurs.”
«SI ON POUVAIT METTRE DES PETITS HOMMES
VERTS AU JARDIN D'ACCLIMATATION, NOUS IRIONS»
Vous comprenez cette fascination malsaine ?
Evidemment ! Si on pouvait mettre des petits hommes verts au Jardin d’acclimatation, nous irions. Et nous irions avec nos préjugés. Si on nous disait qu’ils sont dangereux, nous le penserions toujours des années après. C’est ce qu’il s’est passé avec les populations colonisées. Cette exposition démontre que le racisme est une construction intellectuelle. Et le travail de déconstruction n’a pas été fait. Pour cela, il faut de la volonté politique.
Vous ne craignez pas qu’il puisse y avoir des effets contre-productifs à cette exposition ?
Non, car nous avons décortiqué les mises en scène de ces exhibitions. On voit très bien, à travers ces photos, ces affiches, que le procédé est fabriqué. On voit même des Bretons et des Alsaciens ! Il y a eu un conditionnement. Comme lorsqu’on a essayé de faire croire que les femmes étaient inférieures aux hommes. Chaque société produit une culture qui lui permet de survivre, mais rien n’est figé. Je n’ai pas la même culture que ma mère ni celle de mon fils. Ce recul nous permet de combattre les idées reçues : “S’il n’y a pas de races supérieures, il y a peut-être des cultures différentes.”
Vous agissez avec votre fondation contre le racisme. La France est-elle ou non raciste ?
Il ne faut pas poser la question ainsi. Mais en faisant un état des lieux. Je vois une évolution, regardez les publicités, par exemple, elles sont aujourd’hui multicouleurs. Mais nous n’avons toujours pas dépassé l’idéologie de la colonisation. Il faudra encore des générations et je ne pense pas que je verrai, moi, la fin du racisme. C’est comme si le sexisme, l’homophobie ou l’antisémitisme pouvaient disparaître du jour au lendemain. Bien évidemment, il y a de tout cela dans notre société. Il ne faut jamais cesser d’expliquer que la couleur de peau ne détermine pas les qualités d’une personne, pas plus que la religion ou l’identité sexuelle.
« Exhibitions. L’invention du sauvage », jusqu’au 3 juin 2012, musée du Quai-Branly. Commissaires : Lilian Thuram, Pascal Blanchard, Nanette Jacomijn Snoep.
L’ancien footballeur est commissaire général de l’exposition « Exhibitions. L’invention du sauvage », au musée du Quai-Branly. Une façon de rappeler
que les préjugés ne datent pas d’aujourd’hui.
Paris Match. Comment êtes-vous devenu commissaire de l’exposition “Exhibitions” ?
Lilian Thuram. Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert des livres sur les zoos humains. Cela m’a permis de comprendre comment le racisme scientifique avait pu s’immiscer dans la culture populaire. Des millions de personnes à travers les siècles ont vu ces exhibitions. Puis j’ai rencontré Pascal Blanchard, spécialiste de l’histoire coloniale, et ensemble nous avons proposé cette exposition au musée du Quai-Branly qui a aussitôt accepté.
Qu’avez-vous voulu démontrer ?
Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une histoire et surtout pas d’instaurer une sorte de culpabilisation ou de victimisation. L’idée est de déchiffrer le présent en remontant le fil du passé. Depuis longtemps, je cherche à comprendre pourquoi tant de préjugés concernent la couleur de peau. Je n’avais pas saisi que c’était un problème culturel. Quand les gens allaient voir ces exhibitions, ils ressortaient avec l’idée qu’ils étaient supérieurs parce “qu’ils étaient civilisés face à des sauvages”. Or, les personnes exposées dans les foires ou les jardins étaient comme vous et moi.
Comment nos ancêtres en étaient venus à exhiber des êtres humains ?
Quand Christophe Colomb présentait à la cour d’Espagne les Amérindiens, l’objectif était de montrer “l’autre”. Au départ, cela se déroulait dans les hautes sociétés, puis peu à peu cela s’est transformé en phénomène de masse. Au début du XIXe siècle, cela devient grandiose ! On vient voir
“les sauvages”, les scientifiques se battent pour les examiner. Les empires coloniaux s’y mettent. On montre les Pygmées, les Zoulous, les Inuits et tant d’autres. C’est une façon pour les Occidentaux de dire : “Regardez comme nous, nous sommes supérieurs.”
«SI ON POUVAIT METTRE DES PETITS HOMMES
VERTS AU JARDIN D'ACCLIMATATION, NOUS IRIONS»
Vous comprenez cette fascination malsaine ?
Evidemment ! Si on pouvait mettre des petits hommes verts au Jardin d’acclimatation, nous irions. Et nous irions avec nos préjugés. Si on nous disait qu’ils sont dangereux, nous le penserions toujours des années après. C’est ce qu’il s’est passé avec les populations colonisées. Cette exposition démontre que le racisme est une construction intellectuelle. Et le travail de déconstruction n’a pas été fait. Pour cela, il faut de la volonté politique.
Vous ne craignez pas qu’il puisse y avoir des effets contre-productifs à cette exposition ?
Non, car nous avons décortiqué les mises en scène de ces exhibitions. On voit très bien, à travers ces photos, ces affiches, que le procédé est fabriqué. On voit même des Bretons et des Alsaciens ! Il y a eu un conditionnement. Comme lorsqu’on a essayé de faire croire que les femmes étaient inférieures aux hommes. Chaque société produit une culture qui lui permet de survivre, mais rien n’est figé. Je n’ai pas la même culture que ma mère ni celle de mon fils. Ce recul nous permet de combattre les idées reçues : “S’il n’y a pas de races supérieures, il y a peut-être des cultures différentes.”
Vous agissez avec votre fondation contre le racisme. La France est-elle ou non raciste ?
Il ne faut pas poser la question ainsi. Mais en faisant un état des lieux. Je vois une évolution, regardez les publicités, par exemple, elles sont aujourd’hui multicouleurs. Mais nous n’avons toujours pas dépassé l’idéologie de la colonisation. Il faudra encore des générations et je ne pense pas que je verrai, moi, la fin du racisme. C’est comme si le sexisme, l’homophobie ou l’antisémitisme pouvaient disparaître du jour au lendemain. Bien évidemment, il y a de tout cela dans notre société. Il ne faut jamais cesser d’expliquer que la couleur de peau ne détermine pas les qualités d’une personne, pas plus que la religion ou l’identité sexuelle.
« Exhibitions. L’invention du sauvage », jusqu’au 3 juin 2012, musée du Quai-Branly. Commissaires : Lilian Thuram, Pascal Blanchard, Nanette Jacomijn Snoep.