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Le roi Abdallah accorde le droit de vote aux femmes
propos recueillis par Matthieu Mégevand - publié le 26/09/2011
Le 25 septembre dernier, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a annoncé l’octroi à partir de 2015 aux femmes du droit de vote, et la participation aux élections municipales, seul scrutin existant dans le pays. Elles pourront également siéger au "Conseil de la Choura", organe consultatif du Royaume. Réelle avancée pour le droit des femmes, ou effet d’annonce ? Questions à Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Arabie saoudite et professeur à Sciences Po Paris.
Que représente l’obtention du droit de vote pour les femmes en Arabie saoudite ?
Cette annonce s’inscrit dans une ligne politique du roi Abdallah depuis son arrivée au pouvoir en 2005 et qui est celle d’une réforme sociétale qui prend le pas sur la réforme politique. J’entends par réforme sociétale une certaine ouverture sur des questions de société comme celle de la femme, qui est une question importante en Arabie saoudite. La réforme politique, qui mènerait à un meilleur partage du pouvoir, est quant à elle presque complètement laissée de côté. Sur la question de la femme, Le roi a déjà été relativement actif, avec notamment la nomination pour la première fois d’une femme au poste de vice-ministre de l’éducation. Aujourd’hui, les femmes peuvent accéder à des conseils municipaux et au "Conseil de la choura" qui paradoxalement n’ont quasiment aucun pouvoir. Ce ne sont que des instances consultatives qui ne pèsent absolument pas dans les prises de décisions, et qui ne sont en aucun cas démocratiques. D’ailleurs, lorsqu’on parle de ces conseils municipaux aux Saoudiens, personne ou presque ne sait à quoi ceux-ci servent vraiment.
Est-ce une réelle avancée pour le droit des femmes en Arabie saoudite ou n’est-ce qu’un simple effet d’annonce pour satisfaire l’Occident ?
Cette décision est d’abord en cohérence avec la ligne politique du roi Abdallah, qui est sincèrement convaincu de l’importance de ces questions sociétales et qui souhaite faire avancer les choses, comme on le voit depuis le début de son règne. Cela s’inscrit également dans le contexte des mobilisations de mai-juin 2011, lorsque des mouvements de femmes ont milité pour le droit à conduire seules. C’est enfin le souci d’un Royaume parfaitement conscient de son besoin de renvoyer une bonne image à l’Occident, et qui sait que ce genre de mesure symbolique va être perçu comme une avancée majeure aux yeux des Occidentaux – alors même que la réforme politique est en perte de vitesse. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle cette annonce du droit de vote accordé aux femmes avec un autre événement, les élections municipales elles-mêmes, qui doivent avoir lieu ce jeudi. Ce sont les deuxièmes élections municipales du Royaume, et celles-ci ne suscitent absolument aucun enthousiasme. Les votants (qui doivent s’enregistrer avant l’élection) sont beaucoup moins nombreux que lors des premières élections, les journaux, les blogs, personne n’en parle, et dans le même temps, trois jours avant des élections qui ne suscitent donc aucun intérêt, on annonce que les femmes pourront participer à l’édition suivante dans plus de quatre ans. Cela illustre bien le désengagement du pouvoir pour des réformes politiques d’un côté, et la mise en avant des questions sociétales de l’autre.
La société saoudienne approuve-t-elle ce droit de vote accordé aux femmes ?
Sur toutes ces questions, on sait que la société saoudienne est assez clivée, avec environ une moitié plutôt pour et l’autre moitié plutôt contre. Ce qui a probablement changé est l’opposition des conservateurs, qui est moins forte qu’il y a quelques années. Car les conservateurs eux-mêmes vivent dans un monde globalisé qui les fait sortir peu à peu de la mentalité insulaire. Des questions comme celle de donner le droit aux femmes de s’exprimer peut leur paraître aujourd’hui plus acceptable qu’il y a quelques décennies. Toutefois, on constate que le roi Abdallah est resté très prudent dans son annonce et qu’il a insisté sur le fait que les normes de la Charia seraient respectées. En d’autres termes, cela signifie que le principe de non-mixité sera appliqué, et que femmes et hommes ne pourront en aucun cas siéger dans la même pièce.
Qu’est-ce que le "Conseil de la Choura" auquel les femmes ont désormais accès ?
Ce Conseil a été créé en 1993 après l’agitation politique liée à la Guerre du Golfe, et il est présenté comme un parlement saoudien. Toutefois, c’est une assemblée qui n’est pas élue mais nommée par le roi et qui compte 150 membres. On y retrouve des économistes, des hommes d’affaire mais aussi des chefs de tribus, qui sont nommés parce qu’ils représentent un groupe particulier ou parce qu’ils apportent une expertise particulière. Ils donnent des avis consultatifs mais n’ont aucun pouvoir, ils ne votent pas de loi mais proposent simplement des pistes que le pouvoir exécutif suit ou ne suit pas. Lors des prochaines nominations en 2013, des femmes seront donc choisies, encore une fois en respectant le principe de non-mixité qui exigera de faire siéger hommes et femmes dans des endroits séparés.
Est-ce le roi seul qui a décidé d’accorder plus de droits aux femmes ?
On sait que le roi Abdallah est entouré de conseillers d’orientation libérale, et c’est certainement l’un d’entre eux qui a soufflé cette idée. On imagine qu’il y a eu des réticences au sein de la famille royale, notamment de la part du prince Nayef - probable héritier du trône - plus conservateur sur ces sujets-là qu’Abdallah. Cela montre que le roi a réussi à faire passer au sein de la famille une décision pourtant impopulaire pour certains des membres. En même temps, c’est une décision qui a pu être acceptée parce qu’elle n’est pas coûteuse au niveau politique. C’est extrêmement bénéfique pour l’image du Royaume à l’étranger, et cela ne modifie absolument pas les équilibres de pouvoir dans le pays.
Cette décision annonce-t-elle d’autres réformes en faveur du droit des femmes en Arabie saoudite ?
Je pense que sur le droit des femmes à la conduite, il va se passer quelque chose dans les mois ou dans l’année à venir. Cela s’inscrirait dans la suite logique de ce qui se passe aujourd’hui, et on sent que, sur la question des femmes, le débat est lancé. Pour autant, des réformes sociétales plus profondes comme l’abandon du principe de non-mixité n’est pas à l’ordre du jour, et cela d’autant plus si le prince Nayef, plus conservateur, accède au pouvoir dans les années à venir.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/le-roi-abdallah-accorde-le-droit-de-vote-aux-femmes-26-09-2011-1863_118.php
propos recueillis par Matthieu Mégevand - publié le 26/09/2011
Le 25 septembre dernier, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a annoncé l’octroi à partir de 2015 aux femmes du droit de vote, et la participation aux élections municipales, seul scrutin existant dans le pays. Elles pourront également siéger au "Conseil de la Choura", organe consultatif du Royaume. Réelle avancée pour le droit des femmes, ou effet d’annonce ? Questions à Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Arabie saoudite et professeur à Sciences Po Paris.
Que représente l’obtention du droit de vote pour les femmes en Arabie saoudite ?
Cette annonce s’inscrit dans une ligne politique du roi Abdallah depuis son arrivée au pouvoir en 2005 et qui est celle d’une réforme sociétale qui prend le pas sur la réforme politique. J’entends par réforme sociétale une certaine ouverture sur des questions de société comme celle de la femme, qui est une question importante en Arabie saoudite. La réforme politique, qui mènerait à un meilleur partage du pouvoir, est quant à elle presque complètement laissée de côté. Sur la question de la femme, Le roi a déjà été relativement actif, avec notamment la nomination pour la première fois d’une femme au poste de vice-ministre de l’éducation. Aujourd’hui, les femmes peuvent accéder à des conseils municipaux et au "Conseil de la choura" qui paradoxalement n’ont quasiment aucun pouvoir. Ce ne sont que des instances consultatives qui ne pèsent absolument pas dans les prises de décisions, et qui ne sont en aucun cas démocratiques. D’ailleurs, lorsqu’on parle de ces conseils municipaux aux Saoudiens, personne ou presque ne sait à quoi ceux-ci servent vraiment.
Est-ce une réelle avancée pour le droit des femmes en Arabie saoudite ou n’est-ce qu’un simple effet d’annonce pour satisfaire l’Occident ?
Cette décision est d’abord en cohérence avec la ligne politique du roi Abdallah, qui est sincèrement convaincu de l’importance de ces questions sociétales et qui souhaite faire avancer les choses, comme on le voit depuis le début de son règne. Cela s’inscrit également dans le contexte des mobilisations de mai-juin 2011, lorsque des mouvements de femmes ont milité pour le droit à conduire seules. C’est enfin le souci d’un Royaume parfaitement conscient de son besoin de renvoyer une bonne image à l’Occident, et qui sait que ce genre de mesure symbolique va être perçu comme une avancée majeure aux yeux des Occidentaux – alors même que la réforme politique est en perte de vitesse. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle cette annonce du droit de vote accordé aux femmes avec un autre événement, les élections municipales elles-mêmes, qui doivent avoir lieu ce jeudi. Ce sont les deuxièmes élections municipales du Royaume, et celles-ci ne suscitent absolument aucun enthousiasme. Les votants (qui doivent s’enregistrer avant l’élection) sont beaucoup moins nombreux que lors des premières élections, les journaux, les blogs, personne n’en parle, et dans le même temps, trois jours avant des élections qui ne suscitent donc aucun intérêt, on annonce que les femmes pourront participer à l’édition suivante dans plus de quatre ans. Cela illustre bien le désengagement du pouvoir pour des réformes politiques d’un côté, et la mise en avant des questions sociétales de l’autre.
La société saoudienne approuve-t-elle ce droit de vote accordé aux femmes ?
Sur toutes ces questions, on sait que la société saoudienne est assez clivée, avec environ une moitié plutôt pour et l’autre moitié plutôt contre. Ce qui a probablement changé est l’opposition des conservateurs, qui est moins forte qu’il y a quelques années. Car les conservateurs eux-mêmes vivent dans un monde globalisé qui les fait sortir peu à peu de la mentalité insulaire. Des questions comme celle de donner le droit aux femmes de s’exprimer peut leur paraître aujourd’hui plus acceptable qu’il y a quelques décennies. Toutefois, on constate que le roi Abdallah est resté très prudent dans son annonce et qu’il a insisté sur le fait que les normes de la Charia seraient respectées. En d’autres termes, cela signifie que le principe de non-mixité sera appliqué, et que femmes et hommes ne pourront en aucun cas siéger dans la même pièce.
Qu’est-ce que le "Conseil de la Choura" auquel les femmes ont désormais accès ?
Ce Conseil a été créé en 1993 après l’agitation politique liée à la Guerre du Golfe, et il est présenté comme un parlement saoudien. Toutefois, c’est une assemblée qui n’est pas élue mais nommée par le roi et qui compte 150 membres. On y retrouve des économistes, des hommes d’affaire mais aussi des chefs de tribus, qui sont nommés parce qu’ils représentent un groupe particulier ou parce qu’ils apportent une expertise particulière. Ils donnent des avis consultatifs mais n’ont aucun pouvoir, ils ne votent pas de loi mais proposent simplement des pistes que le pouvoir exécutif suit ou ne suit pas. Lors des prochaines nominations en 2013, des femmes seront donc choisies, encore une fois en respectant le principe de non-mixité qui exigera de faire siéger hommes et femmes dans des endroits séparés.
Est-ce le roi seul qui a décidé d’accorder plus de droits aux femmes ?
On sait que le roi Abdallah est entouré de conseillers d’orientation libérale, et c’est certainement l’un d’entre eux qui a soufflé cette idée. On imagine qu’il y a eu des réticences au sein de la famille royale, notamment de la part du prince Nayef - probable héritier du trône - plus conservateur sur ces sujets-là qu’Abdallah. Cela montre que le roi a réussi à faire passer au sein de la famille une décision pourtant impopulaire pour certains des membres. En même temps, c’est une décision qui a pu être acceptée parce qu’elle n’est pas coûteuse au niveau politique. C’est extrêmement bénéfique pour l’image du Royaume à l’étranger, et cela ne modifie absolument pas les équilibres de pouvoir dans le pays.
Cette décision annonce-t-elle d’autres réformes en faveur du droit des femmes en Arabie saoudite ?
Je pense que sur le droit des femmes à la conduite, il va se passer quelque chose dans les mois ou dans l’année à venir. Cela s’inscrirait dans la suite logique de ce qui se passe aujourd’hui, et on sent que, sur la question des femmes, le débat est lancé. Pour autant, des réformes sociétales plus profondes comme l’abandon du principe de non-mixité n’est pas à l’ordre du jour, et cela d’autant plus si le prince Nayef, plus conservateur, accède au pouvoir dans les années à venir.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/le-roi-abdallah-accorde-le-droit-de-vote-aux-femmes-26-09-2011-1863_118.php