[size=38]Fin de vie : comment des musulmans se mobilisent[/size]
Analyse
Si le culte musulman s’est exprimé officiellement dans le débat sur la fin de vie par la voix de la Grande Mosquée de Paris, les fidèles ne semblent se mobiliser fortement. Plusieurs acteurs se sont toutefois saisis du sujet pour faire entendre leur opposition à l’« aide à mourir » et sensibiliser leurs coreligionnaires à l’éthique de l’islam sur la fin de vie.
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, et Sadek Beloucif, membre du Forif, le 13 novembre 2023 à l’Elysée. Plusieurs acteurs musulmans ont dit leur oppositin au projet de loi sur la fin de vie.THOMAS PADILLA / MAXPPP
« Qu’est-ce qu’il se passe ? On n’est pas concernés par la mort ou quoi ? » Quand Azzedine Gaci, président du Conseil théologique des imams du Rhône, s’est aperçu qu’aucun représentant musulman n’était présent, le 8 février, au dîner sur la fin de vie qu’Emmanuel Macron a organisé avec les responsables des cultes, il est resté sans voix. La place dévolue au recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, qui avait eu un empêchement, était restée vide, comme un symptôme des difficultés de représentativité de l’islam de France.
« Même s’il était venu, qu’aurait-il dit ? », s’est ensuite demandé Azzedine Gaci, qui est aussi recteur de la mosquée de Villeurbanne. « La question de la fin de vie n’a jamais été posée dans les instances musulmanes », déplore cet acteur historique de l’islam de France.
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Depuis le début du débat, c’est l’Église catholique qui a sans doute été la plus active, les évêques multipliant les interventions pour dire leur opposition au projet de loi légalisant l’« aide à mourir » . Le culte musulman s’est certes manifesté fermement contre l’euthanasie et le suicide assisté par la voix de la Grande Mosquée de Paris. Mais, le sujet a, semble-t-il, peu mobilisé encore dans les associations locales et parmi les fidèles, en comparaison avec d’autres sujets d’actualité comme la guerre à Gaza.
Certains acteurs publics du culte ont toutefois pris la plume ou la parole pour dire leur opposition au nom de la tradition islamique. Et dans les hôpitaux, la réflexion semble d’autant plus nécessaire que des éclairages théologiques sur le sujet de la fin de vie peuvent être demandés par les patients musulmans.
Malgré l’absence d’instance représentative officielle, des éclairages ont tout de même été apportés par quelques acteurs déterminés qui n’hésitent pas à se prononcer sur ce grand débat de société. En avril, Sadek Beloucif, chef de service en anesthésie-réanimation, a été auditionné par l’Assemblée nationale. Ce médecin redoute que la loi « mène vers une culture de permissivité de la mort, notamment vis-à-vis des pauvres et des plus démunis. »« Je crains que mes coreligionnaires ressentent cela du débat actuel », confie-t-il.
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Ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, Sadek Beloucif a publié une tribune fin 2022 dans le journal Le Monde avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris. Les deux hommes ont aussi contribué à un ouvrage collectif sur les cultes et la fin de vie. Le Conseil français du culte musulman – qui n’est plus reconnu comme représentatif par les pouvoirs publics – a aussi manifesté son opposition à l’« aide à mourir » sur le site d’information musulman Saphirnews.
Mais au-delà, « les citoyens musulmans se tiennent relativement à l’écart des questions bioéthiques », constate Azzedine Gaci. En cause, selon lui, le manque de structuration du culte et donc, d’élaboration d’une réflexion commune. « Les autres cultes ont des réponses parce qu’ils ont des comités d’éthique au niveau national », observe-t-il. « Nous, nous n’avons pas fait ce travail, aucune instance officielle réfléchit à ce sujet, publie, et interpelle les imams et les mosquées ».
Pourtant, selon son analyse et celle des musulmans interrogés, l’éthique musulmane est claire : l’euthanasie ou le suicide assisté ne sont pas autorisés, au nom de la préservation de la vie, l’un des objectifs supérieurs de la religion. Dans un de ses prêches sur le sujet, Azzedine Gaci insiste sur la sacralité de la vie, appuyée par le verset 32 sourate 5 du Coran : « Qui tue une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes, et quiconque sauve une vie, c’est comme s’il avait sauvé toute l’humanité. »
À lire aussi« Aide à mourir » : les responsables des cultes expriment leur inquiétude face au projet de loi
Il invoque également le fait que le corps de l’homme ne lui appartient pas : c’est un « dépôt » dont il doit prendre soin et qu’il a l’obligation de soigner. Il insiste enfin sur le fait qu’aucune atteinte à la vie et au corps de l’être humain ne peut être commise puisque « c’est Dieu qui donne la vie et la mort. » (s10 v56).
Depuis quelques mois, Azzedine Gaci s’est donné pour mission de sensibiliser ses coreligionnaires, et constate que le sujet intéresse quand il est abordé. En témoignent les 160 personnes venues à une conférence-débat de plus de quatre heures organisée dans la mosquée de Villeurbanne dont il est le recteur, samedi 1er juin.
À lire aussiMgr de Moulins-Beaufort : « Appeler “loi de fraternité” un texte qui ouvre le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie »
La réflexion semble d’autant plus nécessaire que des avis théologiques éclairés sont parfois sollicités par les patients, raconte Mohammed El Mahdi Krabch, aumônier musulman, référent des hôpitaux de l’Hérault (Occitanie). « Nous recevons des questions de patients qui veulent savoir ce que dit l’éthique musulmane par rapport à l’euthanasie, mais aussi en quoi consiste cette pratique », témoigne-t-il, évoquant les patients qu’il a accompagnés : une famille dont plusieurs des enfants avaient la maladie de Charcot, ou une patiente qui souffrait de manière aiguë et à qui on a proposé la sédation profonde et continue jusqu’à son décès.
« La dimension théologique est convoquée quand on est devant cette épreuve », développe-t-il. Dans ce métier qui demande « beaucoup d’humilité », lui tente « d’accompagner », sans « se placer dans une posture directive. »
Analyse
Si le culte musulman s’est exprimé officiellement dans le débat sur la fin de vie par la voix de la Grande Mosquée de Paris, les fidèles ne semblent se mobiliser fortement. Plusieurs acteurs se sont toutefois saisis du sujet pour faire entendre leur opposition à l’« aide à mourir » et sensibiliser leurs coreligionnaires à l’éthique de l’islam sur la fin de vie.
- Marguerite de Lasa,
- le 08/06/2024 à 14:22
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, et Sadek Beloucif, membre du Forif, le 13 novembre 2023 à l’Elysée. Plusieurs acteurs musulmans ont dit leur oppositin au projet de loi sur la fin de vie.THOMAS PADILLA / MAXPPP
« Qu’est-ce qu’il se passe ? On n’est pas concernés par la mort ou quoi ? » Quand Azzedine Gaci, président du Conseil théologique des imams du Rhône, s’est aperçu qu’aucun représentant musulman n’était présent, le 8 février, au dîner sur la fin de vie qu’Emmanuel Macron a organisé avec les responsables des cultes, il est resté sans voix. La place dévolue au recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, qui avait eu un empêchement, était restée vide, comme un symptôme des difficultés de représentativité de l’islam de France.
« Même s’il était venu, qu’aurait-il dit ? », s’est ensuite demandé Azzedine Gaci, qui est aussi recteur de la mosquée de Villeurbanne. « La question de la fin de vie n’a jamais été posée dans les instances musulmanes », déplore cet acteur historique de l’islam de France.
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Depuis le début du débat, c’est l’Église catholique qui a sans doute été la plus active, les évêques multipliant les interventions pour dire leur opposition au projet de loi légalisant l’« aide à mourir » . Le culte musulman s’est certes manifesté fermement contre l’euthanasie et le suicide assisté par la voix de la Grande Mosquée de Paris. Mais, le sujet a, semble-t-il, peu mobilisé encore dans les associations locales et parmi les fidèles, en comparaison avec d’autres sujets d’actualité comme la guerre à Gaza.
Des éclairages apportés par des acteurs déterminés
Certains acteurs publics du culte ont toutefois pris la plume ou la parole pour dire leur opposition au nom de la tradition islamique. Et dans les hôpitaux, la réflexion semble d’autant plus nécessaire que des éclairages théologiques sur le sujet de la fin de vie peuvent être demandés par les patients musulmans.
Malgré l’absence d’instance représentative officielle, des éclairages ont tout de même été apportés par quelques acteurs déterminés qui n’hésitent pas à se prononcer sur ce grand débat de société. En avril, Sadek Beloucif, chef de service en anesthésie-réanimation, a été auditionné par l’Assemblée nationale. Ce médecin redoute que la loi « mène vers une culture de permissivité de la mort, notamment vis-à-vis des pauvres et des plus démunis. »« Je crains que mes coreligionnaires ressentent cela du débat actuel », confie-t-il.
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Ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, Sadek Beloucif a publié une tribune fin 2022 dans le journal Le Monde avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris. Les deux hommes ont aussi contribué à un ouvrage collectif sur les cultes et la fin de vie. Le Conseil français du culte musulman – qui n’est plus reconnu comme représentatif par les pouvoirs publics – a aussi manifesté son opposition à l’« aide à mourir » sur le site d’information musulman Saphirnews.
Mais au-delà, « les citoyens musulmans se tiennent relativement à l’écart des questions bioéthiques », constate Azzedine Gaci. En cause, selon lui, le manque de structuration du culte et donc, d’élaboration d’une réflexion commune. « Les autres cultes ont des réponses parce qu’ils ont des comités d’éthique au niveau national », observe-t-il. « Nous, nous n’avons pas fait ce travail, aucune instance officielle réfléchit à ce sujet, publie, et interpelle les imams et les mosquées ».
Une éthique musulmane claire sur le sujet
Pourtant, selon son analyse et celle des musulmans interrogés, l’éthique musulmane est claire : l’euthanasie ou le suicide assisté ne sont pas autorisés, au nom de la préservation de la vie, l’un des objectifs supérieurs de la religion. Dans un de ses prêches sur le sujet, Azzedine Gaci insiste sur la sacralité de la vie, appuyée par le verset 32 sourate 5 du Coran : « Qui tue une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes, et quiconque sauve une vie, c’est comme s’il avait sauvé toute l’humanité. »
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Il invoque également le fait que le corps de l’homme ne lui appartient pas : c’est un « dépôt » dont il doit prendre soin et qu’il a l’obligation de soigner. Il insiste enfin sur le fait qu’aucune atteinte à la vie et au corps de l’être humain ne peut être commise puisque « c’est Dieu qui donne la vie et la mort. » (s10 v56).
Depuis quelques mois, Azzedine Gaci s’est donné pour mission de sensibiliser ses coreligionnaires, et constate que le sujet intéresse quand il est abordé. En témoignent les 160 personnes venues à une conférence-débat de plus de quatre heures organisée dans la mosquée de Villeurbanne dont il est le recteur, samedi 1er juin.
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La réflexion semble d’autant plus nécessaire que des avis théologiques éclairés sont parfois sollicités par les patients, raconte Mohammed El Mahdi Krabch, aumônier musulman, référent des hôpitaux de l’Hérault (Occitanie). « Nous recevons des questions de patients qui veulent savoir ce que dit l’éthique musulmane par rapport à l’euthanasie, mais aussi en quoi consiste cette pratique », témoigne-t-il, évoquant les patients qu’il a accompagnés : une famille dont plusieurs des enfants avaient la maladie de Charcot, ou une patiente qui souffrait de manière aiguë et à qui on a proposé la sédation profonde et continue jusqu’à son décès.
« La dimension théologique est convoquée quand on est devant cette épreuve », développe-t-il. Dans ce métier qui demande « beaucoup d’humilité », lui tente « d’accompagner », sans « se placer dans une posture directive. »