[size=47]L'Écosse pourrait gracier près de 3000 «sorcières» exécutées entre le XVIe et le XVIIIe siècle[/size]
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Jonathan NACKSTRAND / AFP Un crâne trépané exposé en octobre 2020 au musée HEX, à Ribe (Danemark), consacré à l'histoire de la chasse aux sorcières au cours des XVI e -XVII e siècles.
Il y avait le feu. Près de trois siècles après la mort de la dernière «sorcière» au Royaume-Uni, le Parlement écossais pourrait gracier cet été les quelque 2600 personnes, en très grande majorité des femmes, condamnées à la peine capitale pour sorcellerie entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Le projet de loi, soutenue depuis décembre par l'administration de la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, viendrait reconnaître de manière officielle le rôle des autorités publiques dans la répression des forces supposées occulte. Un rôle historiquement encadré par le Scotland's Witchcraft Act, une loi écossaise anti-sorcellerie en vigueur entre 1563 et 1736.
«Il serait juste de corriger cette injustice», a déclaré, dans un joli truisme, en décembre, la députée au Parlement écossais Natalie Don (SNP), en rappelant la part importante de femmes parmi les victimes de ces «chasses aux sorcières» passées à la postérité. Une forme de féminicide institutionnalisé. «Ce sujet reste pertinent de nos jours, a-t-elle souligné. Réparer ces injustices du passé peut avoir un impact sur la remise en question des comportements sexistes et patriarcaux dont souffre encore aujourd'hui la société.»
[size=36]Violences historiques faites aux femmes[/size]
D'après les archives judiciaires du pays, 3.873 personnes ont fait l'objet d'un procès en sorcellerie en Écosse. Selon les chiffres avancés par la presse britannique, 84% de ces procès concerneraient des femmes. Et près des deux tiers des accusés ont été condamnés à mort, par combustion au bûcher, de préférence. Un choix qui n'avait rien d'arbitraire. Il s'agissait «de réduire le corps en cendres et de rendre impossible la résurrection des corps», expliquait l'automne dernier l'historienne Martine Ostorero, de l'université de Lausanne, pour Les cahiers de Science & Vie.
«Par habitant, et pour la période qui va du XVIe au XVIIIe siècle, nous avons exécuté cinq fois plus de personnes qu'ailleurs en Europe, a pointé l'avocate Claire Mitchell, interrogée par The Times. Pour mettre cela en perspective, à Salem, seules 19 personnes ont été exécutées sur les 300 accusées.» Présidente de l'association Witches of Scotland, et coproductrice du podcast du même nom que lui a inspiré le mouvement #MeeToo, Claire Mitchell assume le féminisme de cette lutte pour la reconnaissance des victimes de procès en sorcellerie. «Nous étions passés maîtres dans l'art de trouver des femmes à brûler en Écosse», a-t-elle remarqué avec amertume dans le quotidien britannique.
Condamnée depuis l'Antiquité puis le Moyen Âge, la sorcellerie n'a fait l'objet d'une sévère répression dans l'ensemble de l'Europe qu'à partir de la Renaissance. L'entrée dans l'époque moderne s'accompagne d'une institutionnalisation du combat contre la sorcellerie, du développement d'outils pratiques et de structures organisées. L'Inquisition espagnole est ainsi formée en 1478, tandis que le Malleus Maleficarum, le «best-seller» des traités théologique sur la «chasse aux sorcières», est édité pour la première fois en 1486. Et contrairement à l'idée courante sur l'époque médiévale, les deux plus importantes vagues de persécutions et de condamnations ont pu être observées bien plus tard, autour des années 1560 et 1620.
[size=36]Un sujet d'actualité[/size]
Le passage prochain de la proposition de loi au Parlement écossais couronne ainsi une campagne menée depuis mars 2020 par l'association Witches of Scotland. Le groupe, à l'origine d'une pétition officielle déposée l'an passé au Parlement, demande non seulement une grâce pour les victimes des procès en sorcellerie, mais également l'édification d'un lieu de mémoire national. Ainsi que des excuses publiques, par exemple lors d'une prise de parole de la première ministre écossaise lors de la prochaine journée internationale du droit des femmes, le 8 mars.
«Ce n'est pas différent de la façon dont l'Écosse doit aussi assumer son rôle dans la traite atlantique», a précisé Claire Mitchell pour le Wall Street Journal, dans une saillie intersectionnelle. Interrogé par la BBC, Leo Igwe, militant nigérian des droits humains rappelle par ailleurs qu'une clarification officielle permettrait d'envoyer un signal fort aux pays africains qui, comme le Nigeria, répriment et pénalisent toujours la sorcellerie : «Ce qui s'est passé en Écosse il y a des centaines d'années, continue de se produire encore aujourd'hui.»
Pour l'historien écossais Tom Devine, en revanche, ces revendications militantes sont à tempérer. «Je ne suis pas convaincu du bien-fondé des excuses publiques, pour la simple et bonne raison que ce qui est arrivé à ces pauvres gens n'est en aucun cas la responsabilité des Écossais de 2022», a-t-il fait part à la BBC. Non sans préciser que la grâce lui paraissait plus sensée, quoique problématique du point de vue du droit, la plupart des accusés étant passés aux aveux. Des confessions récoltées sous la torture, certes. «Il existe cependant un précédent juridique pour une grâce, a concédé l'historien. Les personnes exécutées après le tristement célèbre procès des sorcières de Salem, aux États-Unis, ont été déclarées innocentes en vertu d'une loi de l'État du Massachusetts en 2001.»
En France, la décriminalisation de la sorcellerie date de 1682. Aucune grâce ni aucune excuse officielle ne semblent avoir été prononcées depuis, même si l'image des sorcières continue cependant de faire florès dans l'imaginaire collectif. Et jusque dans l'arène politique. «Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR», avait ainsi déclaré l'été dernier Sandrine Rousseau, alors candidate à la primaire d'Europe Écologie-Les Verts. Une sortie abracadabrante pour une grande partie de la classe politique.