[size=33]Complotisme et fake news : mode d'emploi[/size]
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA BRETEAU
Modifié le 05/02/2018 à 12:57 - Publié le 17/01/2018 à 17:49 | Le Point.fr
Attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001 à New York
Selon une étude menée par Conspiracy Watch, l'Ifop et la fondation Jean Jaurès, huit Français sur dix adhèrent au moins à une théorie du complot. Thomas Huchon, journaliste pour le site média Spicee a coréalisé en 2015 un faux documentaire alimentant une théorie conspirationniste montée de toutes pièces : le sida aurait été inventé par la CIA comme une arme bactériologique pour justifier le blocus de Cuba, et un vaccin aurait été découvert par les autorités sanitaires cubaines, ce qui explique le rapprochement récent entre les deux pays.
Intitulé Cuba/Sida, la vérité sous blocus, ce film a été accompagné par un documentaire pédagogique révélant le faux et initiant les internautes à reconnaître les théories du complot qui pullulent sur la Toile. Cible privilégiée de ces vidéos qui font florès sur la Toile : les jeunes dont l'esprit critique n'est pas encore formé. Thomas Huchon intervient donc régulièrement dans les collèges et les lycées afin de les aider à démêler le vrai du faux. Quels réflexes sont à adopter pour reconnaître une théorie conspirationniste ? Des explications valables aussi pour les moins jeunes...
Le Point : Comment vous est venue l'idée de ce documentaire, monté de toutes pièces et nourri de fake news ?
Thomas Huchon : En novembre 2014, nous avons décidé de lancer Conspi Hunter et les débats qui ont suivi, notamment après les attentats contre Charlie Hebdo, nous ont encouragés dans notre démarche. L'idée est de débusquer les théories complotistes. Les attentats de janvier 2015 ont enregistré un énorme pic dans la diffusion de théories du complot, de fausses informations. Elles reposaient sur des supports et des documents divers et variés : des photos interprétées, des vidéos détournées, des rapports historiques erronés, etc. À travers plusieurs prises de paroles très différentes, nous avons vu se mettre en place une musique sur les réseaux. Cela nous a permis de mieux comprendre le phénomène.
Le film s'est fait en deux temps : d'abord ce faux film, qui dure environ 8 minutes, et ensuite un documentaire explicatif et pédagogique sorti en décembre 2015. C'est le premier projet dont je me suis occupé à Spicee, ce site média qui était en train de se lancer. Nous avions d'abord l'idée de regarder qui étaient nos voisins sur Internet. Ces sites qui faisaient « l'info », mais que l'on ne connaissait pas très bien. Comme je travaillais sur la question des fake news, des théories conspirationnistes, j'ai voulu faire de cette question un phénomène de société qu'il fallait suivre.
Comment définir le complot ?
Le complot est l'action d'un petit groupe de personnes secrètes afin de nuire au plus grand nombre. C'est une définition simple qui marche assez bien auprès des jeunes. Mais je rappelle qu'il existe de vrais complots ! Pour comprendre le mécanisme de création d'une théorie conspirationniste, je leur fais faire un exercice. Je dis, sans m'appuyer sur aucun fait tangible, que le premier rang monte un complot contre le dernier rang. Ainsi, le dernier rang commence à critiquer et insulter le premier rang. Et à la fin, ce dernier rang va toujours inventer une histoire absolument démente sur le premier rang, responsable de tous ses maux. Ils ont beau savoir que c'est un exercice, à un moment la frontière se brouille, c'est imparable. Le film monté il y a deux ans est aussi très utile pour éveiller leur esprit critique. On leur projette d'abord le faux film : ils se font tous avoir. Puis nous entamons une discussion, on leur donne des outils pour distinguer une vraie d'une fausse information.
Comment reconnaître une fausse information sur Internet ? Quels sont les premiers réflexes à adopter ?
Plusieurs éléments concrets et « tout bêtes » sont à vérifier. Ce sont des réflexes très basiques, mais que les gens ont finalement très peu. L'article est-il signé ? Les informations sont-elles datées ? Créditées ? Les sources sont-elles précises ? Les preuves que l'on peut nous montrer dans une vidéo par exemple, a-t-on le temps de les lire ? Qui gère le site qui diffuse cette information ? Il est par exemple facile de savoir à qui l'on a affaire sur un site, en regardant simplement l'onglet « qui sommes-nous ? » ou les mentions légales. Pour avoir une publication ou un site de publication en France, il faut un numéro officiel, une domiciliation en France, des mentions légales, etc. Ainsi, lorsqu'il ne figure pas sur le site des mentions légales et que l'onglet « qui sommes-nous ? » est soit inexistant, soit relatif à la volonté de « faire éclater la vérité par un groupe de citoyens éclairés », on doit se méfier. Lorsqu'on est face à une photo, il faut faire une recherche de photo en inversé par exemple, dans Google Images : on entre le fichier de la photo et on remonte jusqu'à celui qui l'a posté. Ensuite, on remonte jusqu'à la source, le profil de la source, etc. Ce sont des gestes très simples, mais, dans l'instantanéité de l'info et des moyens de communication, peu de gens prennent le temps de faire ces manipulations. Il faut sans cesse rappeler cela aux jeunes : la liberté d'expression est un droit, mais aussi un devoir ! Donc une parole, un propos doivent être identifiables, sans quoi il nous manque un élément fondamental pour les croire.
Comment marche la désinformation ? Peut-on toujours remonter à la source d'une fake news ?
Oui, c'est toujours possible, surtout avec le numérique. Sur Internet, sur Twitter, nous pouvons assez facilement retrouver le compte qui a émis la fausse information. C'est d'ailleurs daté. En revanche, si l'info provient d'un site obscur, sans mentions légales, il devient plus compliqué de remonter à la source. La désinformation passe aussi par une croyance en une personne qui n'est absolument pas légitime à parler d'un sujet, comme Thierry Meyssan qui va critiquer les États-Unis sans jamais y avoir mis les pieds, depuis Damas. Ce n'est pas un savoir, mais une croyance qu'il délivre.
Comment différencier une croyance d'un savoir sur un site « d'infos » ?
La croyance est une opinion qui a à voir avec l'émotionnel, qui ne repose pas sur des critères objectifs. Le savoir est l'établissement par des recherches d'un fait, d'un fait objectif. Dans les classes, j'entends souvent : « Monsieur, on veut nous imposer la vérité. » Mais non, soit la vérité s'impose à nous parce que les faits ou l'enquête réalisés vont dans ce sens, soit ce n'est pas prouvé et alors ça ne marche pas. L'établissement d'un fait est toujours le fruit d'une enquête, d'un travail recoupé, critiqué (et critiquable aussi !), fait par plusieurs personnes. Le problème, c'est qu'Internet a cassé cette frontière entre la croyance et le savoir. Aujourd'hui, quand vous posez une question sur le savoir, ce sont des croyants qui vont répondre sur la Toile. Un phénomène qui peut se comprendre ainsi : si vous savez que la terre est ronde, comme tout le monde l'admet scientifiquement, vous n'allez pas vous lancer dans une croisade pour prouver que la terre est ronde, c'est un fait établi. En revanche, si vous pensez qu'elle est plate et qu'il y a un complot pour empêcher les gens de découvrir la vérité, vous allez enclencher une véritable propagande pour faire éclater cette « vérité », poster des messages, partager des « preuves » venant étayer votre thèse, commenter, etc. Et, si vous en parlez tout le temps, vous allez monter dans les algorithmes Google et vous allez avoir plus de visibilité. Des algorithmes qui répondent à 47 critères, dont on ne connaît ni la nature ni la façon dont ils interagissent entre eux. C'est un vrai problème.
Lire aussi Post vérité : les platistes contre la Nasa
Thomas Huchon, auteur d'un faux documentaire conspirationniste, nous livre les réflexes à adopter pour démêler le vrai du faux sur la Toile. Entretien.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA BRETEAU
Modifié le 05/02/2018 à 12:57 - Publié le 17/01/2018 à 17:49 | Le Point.fr
Attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001 à New York
Selon une étude menée par Conspiracy Watch, l'Ifop et la fondation Jean Jaurès, huit Français sur dix adhèrent au moins à une théorie du complot. Thomas Huchon, journaliste pour le site média Spicee a coréalisé en 2015 un faux documentaire alimentant une théorie conspirationniste montée de toutes pièces : le sida aurait été inventé par la CIA comme une arme bactériologique pour justifier le blocus de Cuba, et un vaccin aurait été découvert par les autorités sanitaires cubaines, ce qui explique le rapprochement récent entre les deux pays.
Intitulé Cuba/Sida, la vérité sous blocus, ce film a été accompagné par un documentaire pédagogique révélant le faux et initiant les internautes à reconnaître les théories du complot qui pullulent sur la Toile. Cible privilégiée de ces vidéos qui font florès sur la Toile : les jeunes dont l'esprit critique n'est pas encore formé. Thomas Huchon intervient donc régulièrement dans les collèges et les lycées afin de les aider à démêler le vrai du faux. Quels réflexes sont à adopter pour reconnaître une théorie conspirationniste ? Des explications valables aussi pour les moins jeunes...
Le Point : Comment vous est venue l'idée de ce documentaire, monté de toutes pièces et nourri de fake news ?
Thomas Huchon : En novembre 2014, nous avons décidé de lancer Conspi Hunter et les débats qui ont suivi, notamment après les attentats contre Charlie Hebdo, nous ont encouragés dans notre démarche. L'idée est de débusquer les théories complotistes. Les attentats de janvier 2015 ont enregistré un énorme pic dans la diffusion de théories du complot, de fausses informations. Elles reposaient sur des supports et des documents divers et variés : des photos interprétées, des vidéos détournées, des rapports historiques erronés, etc. À travers plusieurs prises de paroles très différentes, nous avons vu se mettre en place une musique sur les réseaux. Cela nous a permis de mieux comprendre le phénomène.
Le film s'est fait en deux temps : d'abord ce faux film, qui dure environ 8 minutes, et ensuite un documentaire explicatif et pédagogique sorti en décembre 2015. C'est le premier projet dont je me suis occupé à Spicee, ce site média qui était en train de se lancer. Nous avions d'abord l'idée de regarder qui étaient nos voisins sur Internet. Ces sites qui faisaient « l'info », mais que l'on ne connaissait pas très bien. Comme je travaillais sur la question des fake news, des théories conspirationnistes, j'ai voulu faire de cette question un phénomène de société qu'il fallait suivre.
Comment définir le complot ?
Le complot est l'action d'un petit groupe de personnes secrètes afin de nuire au plus grand nombre. C'est une définition simple qui marche assez bien auprès des jeunes. Mais je rappelle qu'il existe de vrais complots ! Pour comprendre le mécanisme de création d'une théorie conspirationniste, je leur fais faire un exercice. Je dis, sans m'appuyer sur aucun fait tangible, que le premier rang monte un complot contre le dernier rang. Ainsi, le dernier rang commence à critiquer et insulter le premier rang. Et à la fin, ce dernier rang va toujours inventer une histoire absolument démente sur le premier rang, responsable de tous ses maux. Ils ont beau savoir que c'est un exercice, à un moment la frontière se brouille, c'est imparable. Le film monté il y a deux ans est aussi très utile pour éveiller leur esprit critique. On leur projette d'abord le faux film : ils se font tous avoir. Puis nous entamons une discussion, on leur donne des outils pour distinguer une vraie d'une fausse information.
[size=33]L'établissement d'un fait est toujours le fruit d'une enquête, d'un travail recoupé, critiqué (et critiquable aussi !), fait par plusieurs personnes
[/size]
Comment reconnaître une fausse information sur Internet ? Quels sont les premiers réflexes à adopter ?
Plusieurs éléments concrets et « tout bêtes » sont à vérifier. Ce sont des réflexes très basiques, mais que les gens ont finalement très peu. L'article est-il signé ? Les informations sont-elles datées ? Créditées ? Les sources sont-elles précises ? Les preuves que l'on peut nous montrer dans une vidéo par exemple, a-t-on le temps de les lire ? Qui gère le site qui diffuse cette information ? Il est par exemple facile de savoir à qui l'on a affaire sur un site, en regardant simplement l'onglet « qui sommes-nous ? » ou les mentions légales. Pour avoir une publication ou un site de publication en France, il faut un numéro officiel, une domiciliation en France, des mentions légales, etc. Ainsi, lorsqu'il ne figure pas sur le site des mentions légales et que l'onglet « qui sommes-nous ? » est soit inexistant, soit relatif à la volonté de « faire éclater la vérité par un groupe de citoyens éclairés », on doit se méfier. Lorsqu'on est face à une photo, il faut faire une recherche de photo en inversé par exemple, dans Google Images : on entre le fichier de la photo et on remonte jusqu'à celui qui l'a posté. Ensuite, on remonte jusqu'à la source, le profil de la source, etc. Ce sont des gestes très simples, mais, dans l'instantanéité de l'info et des moyens de communication, peu de gens prennent le temps de faire ces manipulations. Il faut sans cesse rappeler cela aux jeunes : la liberté d'expression est un droit, mais aussi un devoir ! Donc une parole, un propos doivent être identifiables, sans quoi il nous manque un élément fondamental pour les croire.
Comment marche la désinformation ? Peut-on toujours remonter à la source d'une fake news ?
Oui, c'est toujours possible, surtout avec le numérique. Sur Internet, sur Twitter, nous pouvons assez facilement retrouver le compte qui a émis la fausse information. C'est d'ailleurs daté. En revanche, si l'info provient d'un site obscur, sans mentions légales, il devient plus compliqué de remonter à la source. La désinformation passe aussi par une croyance en une personne qui n'est absolument pas légitime à parler d'un sujet, comme Thierry Meyssan qui va critiquer les États-Unis sans jamais y avoir mis les pieds, depuis Damas. Ce n'est pas un savoir, mais une croyance qu'il délivre.
Comment différencier une croyance d'un savoir sur un site « d'infos » ?
La croyance est une opinion qui a à voir avec l'émotionnel, qui ne repose pas sur des critères objectifs. Le savoir est l'établissement par des recherches d'un fait, d'un fait objectif. Dans les classes, j'entends souvent : « Monsieur, on veut nous imposer la vérité. » Mais non, soit la vérité s'impose à nous parce que les faits ou l'enquête réalisés vont dans ce sens, soit ce n'est pas prouvé et alors ça ne marche pas. L'établissement d'un fait est toujours le fruit d'une enquête, d'un travail recoupé, critiqué (et critiquable aussi !), fait par plusieurs personnes. Le problème, c'est qu'Internet a cassé cette frontière entre la croyance et le savoir. Aujourd'hui, quand vous posez une question sur le savoir, ce sont des croyants qui vont répondre sur la Toile. Un phénomène qui peut se comprendre ainsi : si vous savez que la terre est ronde, comme tout le monde l'admet scientifiquement, vous n'allez pas vous lancer dans une croisade pour prouver que la terre est ronde, c'est un fait établi. En revanche, si vous pensez qu'elle est plate et qu'il y a un complot pour empêcher les gens de découvrir la vérité, vous allez enclencher une véritable propagande pour faire éclater cette « vérité », poster des messages, partager des « preuves » venant étayer votre thèse, commenter, etc. Et, si vous en parlez tout le temps, vous allez monter dans les algorithmes Google et vous allez avoir plus de visibilité. Des algorithmes qui répondent à 47 critères, dont on ne connaît ni la nature ni la façon dont ils interagissent entre eux. C'est un vrai problème.
Lire aussi Post vérité : les platistes contre la Nasa