Au Brésil, la percée évangélique stimule les catholiques
Aglaé de Chalus, correspondante à Nova Iguaçu , le 15/10/2017 à 7h09
Mis à jour le 15/10/2017 à 9h48 Envoyer par email
Même le GPS peine à localiser la Casa do Menor ! Le quartier de Miguel Couto, où elle est située, est pourtant un des plus grands de Nova Iguaçu, une ville voisine de Rio de Janeiro dans la Baixada Fluminense, cet ensemble de villes périphériques qui bordent Rio par le nord et dont le nom est systématiquement assimilé au trafic de drogue et à la violence. Il y a près de 100 000 habitants à Miguel Couto, mais ce quartier semble oublié par l’État, par la société. Et même par les GPS.
Les églises évangéliques « nées sur le vide laissé par l’Église catholique »
« Ici, c’est la périphérie de la périphérie », confirme le père Renato Chiera, missionnaire italien qui a fondé la Casa do Menor en 1986. Quand il est arrivé ici comme prêtre, l’Église catholique était quasiment inexistante : « Il n’y avait qu’une église. Le prêtre n’habitait même pas le quartier. » À la place, des centaines de petites églises évangéliques avaient déjà fleuri partout. « Alliance de la vie de Dieu », « Nouvelle vie », « Assemblée de Dieu », « Église universelle »… Le nombre de dénominations est impossible à quantifier.
Le mouvement évangélique et néopentecôtiste, qui a déboulé au Brésil dans les années 1970, représente déjà plus de 22 % de la population ; dans certaines grandes villes ou quartiers périphériques, ce pourcentage atteint même les 40 %. « Le problème, ce ne sont pas les églises évangéliques. Elles sont nées sur le vide que nous, Église catholique, avons laissé, déplore le père Renato. L’Église n’est pas suffisamment proche de ce peuple qui a pourtant soif de religion. »
REPORTAGE : Au Brésil, un diocèse face à la concurrence évangélique
« Des méthodes plus créatives d’évangéliser »
Recréer le lien, investir dans la proximité, c’est justement ce que le père Renato a entrepris depuis trente ans. En s’installant dans le quartier d’abord, puis en redonnant vie à la communauté catholique, « qui se sentait humiliée », explique-t-il.
Selon lui, l’action pastorale et l’évangélisation catholique ne répondent pas assez aux problèmes quotidiens, à la réalité sociale de ces quartiers. « Il faut inventer des méthodes plus créatives d’évangéliser », propose-t-il. En redonnant notamment une place importante aux laïcs qui « doivent devenir des missionnaires, comme l’ont compris les évangéliques ».
Construire un refuge pour les jeunes désœuvrés du quartier
À Miguel Couto, il a ainsi recréé des groupes de rencontre, a accueilli, dans la cour de la paroisse, les jeunes qui n’avaient nulle part où jouer, mais surtout s’est appuyé sur la communauté locale pour construire la Casa do Menor.
Le projet est né dans un climat d’ultraviolence à la fin des années 1980 : des milices surnommées les « escadrons de la mort » « nettoyaient » le secteur en assassinant les petits bandits et les drogués… Comme il peut, le père Renato offre alors un refuge aux jeunes désœuvrés du quartier, certains visés par ces rafles.
« Dès que nous étions face à un problème, il nous réunissait et on établissait ensemble les solutions », se souvient Lucia Inês Cardoso, originaire de l’endroit, qui accompagne le père Renato depuis son arrivée et préside la Casa do Menor au Brésil.
ANALYSE : Au Brésil, les inégalités continuent d’attiser la fronde sociale
Une institution catholique qui accueille les élèves évangéliques
Grâce à l’aide et à l’implication des paroissiens du quartier, il crée d’abord un foyer, puis un centre de formation gratuit, un centre culturel, organise des œuvres de charité pour venir en aide aux plus démunis… Aujourd’hui, la Casa do Menor accueille au total 150 enfants et adolescents abandonnés dans ses foyers à Miguel Couto, mais aussi dans l’État d’Alagoas, et dans la périphérie de Fortaleza, dans le nord-est du pays. Dix mille jeunes sont aussi passés par son centre de formation.
À la Casa do Menor, les élèves, dont plus de la moitié sont évangéliques, assure le père Renato, démarrent la journée par un « petit-déjeuner avec Jésus », une prière dans la chapelle, construite de façon très simple pour respecter toutes les confessions. De prime abord, cette obligation n’a pas plu à Thais, évangélique, qui étudie la coiffure à la Casa do Menor : « J’étais réticente, mais finalement ce n’est pas si différent de ce que l’on fait dans nos églises. J’aime bien commencer la journée comme ça. »
Une pédagogie basée sur la présence
L’institution tente de mettre en avant ce qui unit les religions, non ce qui les divise. « Nous sommes revenus à la proposition fondamentale de Jésus : le Dieu amour », explique le père Renato. Dans un environnement dominé par les églises évangéliques, il a établi ce constat : ce qui marche, ce n’est pas le prosélytisme, mais l’écoute et l’accueil.
« L’Église doit proposer une évangélisation incarnée, où les gestes parlent plus fort que les mots. Attirer sans prêcher », assure-t-il. C’est ce que l’institution met en place à travers sa pédagogie, baptisée « présence ». « Ces jeunes sont les fruits de l’absence : absence de l’État, de la famille, de la société, de l’Église catholique, constate Lucia Inês. Ils doivent se sentir aimés, sentir que leur existence est importante pour nous. »
Plus qu’un instructeur, presque un père
Dans un des ateliers de la Casa do Menor, Carlos Alberto enseigne à une vingtaine de jeunes les bases de la mécanique : « Je ne suis pas seulement un instructeur mais presque un père. Je me préoccupe de savoir comment ils vont, comment ça se passe à la maison. Ils ont souvent beaucoup de difficultés personnelles, j’essaie de voir comment les aider. »
Le père Renato veut que ces jeunes apprennent à « devenir des fils ». Les enfants qui le souhaitent peuvent demander à suivre le catéchisme, à se préparer aux sacrements, mais rien n’est imposé. Certains évangéliques ont déjà demandé à se convertir, mais « ce n’est pas ce que l’on recherche », assure aussi le père Renato.
EN CHIFFRES : Dans le monde, un chrétien sur quatre est évangélique
« Une expérience œcuménique unique »
Le prêtre est particulièrement fier des excellentes relations entretenues entre les différentes religions du quartier. Il est par exemple très proche des représentants des cultes afro-brésiliens. Nombre d’actions menées dans les rues sont réalisées conjointement avec des pasteurs évangéliques.
« Nous vivons une expérience œcuménique unique dans la Baixada », assure le père Renato, qui en trente ans a ouvert 19 églises dans le quartier. Avec humilité et réalisme, la Casa do Menor a réussi à réaffirmer la présence de l’Église catholique, selon Lucia Inês, et est même devenue un « point de référence » dans le quartier.
https://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/Au-Bresil-percee-evangelique-stimule-catholiques-2017-10-15-1200884326?from_univers=lacroix
Aglaé de Chalus, correspondante à Nova Iguaçu , le 15/10/2017 à 7h09
Mis à jour le 15/10/2017 à 9h48 Envoyer par email
Même le GPS peine à localiser la Casa do Menor ! Le quartier de Miguel Couto, où elle est située, est pourtant un des plus grands de Nova Iguaçu, une ville voisine de Rio de Janeiro dans la Baixada Fluminense, cet ensemble de villes périphériques qui bordent Rio par le nord et dont le nom est systématiquement assimilé au trafic de drogue et à la violence. Il y a près de 100 000 habitants à Miguel Couto, mais ce quartier semble oublié par l’État, par la société. Et même par les GPS.
Les églises évangéliques « nées sur le vide laissé par l’Église catholique »
« Ici, c’est la périphérie de la périphérie », confirme le père Renato Chiera, missionnaire italien qui a fondé la Casa do Menor en 1986. Quand il est arrivé ici comme prêtre, l’Église catholique était quasiment inexistante : « Il n’y avait qu’une église. Le prêtre n’habitait même pas le quartier. » À la place, des centaines de petites églises évangéliques avaient déjà fleuri partout. « Alliance de la vie de Dieu », « Nouvelle vie », « Assemblée de Dieu », « Église universelle »… Le nombre de dénominations est impossible à quantifier.
Le mouvement évangélique et néopentecôtiste, qui a déboulé au Brésil dans les années 1970, représente déjà plus de 22 % de la population ; dans certaines grandes villes ou quartiers périphériques, ce pourcentage atteint même les 40 %. « Le problème, ce ne sont pas les églises évangéliques. Elles sont nées sur le vide que nous, Église catholique, avons laissé, déplore le père Renato. L’Église n’est pas suffisamment proche de ce peuple qui a pourtant soif de religion. »
REPORTAGE : Au Brésil, un diocèse face à la concurrence évangélique
« Des méthodes plus créatives d’évangéliser »
Recréer le lien, investir dans la proximité, c’est justement ce que le père Renato a entrepris depuis trente ans. En s’installant dans le quartier d’abord, puis en redonnant vie à la communauté catholique, « qui se sentait humiliée », explique-t-il.
Selon lui, l’action pastorale et l’évangélisation catholique ne répondent pas assez aux problèmes quotidiens, à la réalité sociale de ces quartiers. « Il faut inventer des méthodes plus créatives d’évangéliser », propose-t-il. En redonnant notamment une place importante aux laïcs qui « doivent devenir des missionnaires, comme l’ont compris les évangéliques ».
Construire un refuge pour les jeunes désœuvrés du quartier
À Miguel Couto, il a ainsi recréé des groupes de rencontre, a accueilli, dans la cour de la paroisse, les jeunes qui n’avaient nulle part où jouer, mais surtout s’est appuyé sur la communauté locale pour construire la Casa do Menor.
Le projet est né dans un climat d’ultraviolence à la fin des années 1980 : des milices surnommées les « escadrons de la mort » « nettoyaient » le secteur en assassinant les petits bandits et les drogués… Comme il peut, le père Renato offre alors un refuge aux jeunes désœuvrés du quartier, certains visés par ces rafles.
« Dès que nous étions face à un problème, il nous réunissait et on établissait ensemble les solutions », se souvient Lucia Inês Cardoso, originaire de l’endroit, qui accompagne le père Renato depuis son arrivée et préside la Casa do Menor au Brésil.
ANALYSE : Au Brésil, les inégalités continuent d’attiser la fronde sociale
Une institution catholique qui accueille les élèves évangéliques
Grâce à l’aide et à l’implication des paroissiens du quartier, il crée d’abord un foyer, puis un centre de formation gratuit, un centre culturel, organise des œuvres de charité pour venir en aide aux plus démunis… Aujourd’hui, la Casa do Menor accueille au total 150 enfants et adolescents abandonnés dans ses foyers à Miguel Couto, mais aussi dans l’État d’Alagoas, et dans la périphérie de Fortaleza, dans le nord-est du pays. Dix mille jeunes sont aussi passés par son centre de formation.
À la Casa do Menor, les élèves, dont plus de la moitié sont évangéliques, assure le père Renato, démarrent la journée par un « petit-déjeuner avec Jésus », une prière dans la chapelle, construite de façon très simple pour respecter toutes les confessions. De prime abord, cette obligation n’a pas plu à Thais, évangélique, qui étudie la coiffure à la Casa do Menor : « J’étais réticente, mais finalement ce n’est pas si différent de ce que l’on fait dans nos églises. J’aime bien commencer la journée comme ça. »
Une pédagogie basée sur la présence
L’institution tente de mettre en avant ce qui unit les religions, non ce qui les divise. « Nous sommes revenus à la proposition fondamentale de Jésus : le Dieu amour », explique le père Renato. Dans un environnement dominé par les églises évangéliques, il a établi ce constat : ce qui marche, ce n’est pas le prosélytisme, mais l’écoute et l’accueil.
« L’Église doit proposer une évangélisation incarnée, où les gestes parlent plus fort que les mots. Attirer sans prêcher », assure-t-il. C’est ce que l’institution met en place à travers sa pédagogie, baptisée « présence ». « Ces jeunes sont les fruits de l’absence : absence de l’État, de la famille, de la société, de l’Église catholique, constate Lucia Inês. Ils doivent se sentir aimés, sentir que leur existence est importante pour nous. »
Plus qu’un instructeur, presque un père
Dans un des ateliers de la Casa do Menor, Carlos Alberto enseigne à une vingtaine de jeunes les bases de la mécanique : « Je ne suis pas seulement un instructeur mais presque un père. Je me préoccupe de savoir comment ils vont, comment ça se passe à la maison. Ils ont souvent beaucoup de difficultés personnelles, j’essaie de voir comment les aider. »
Le père Renato veut que ces jeunes apprennent à « devenir des fils ». Les enfants qui le souhaitent peuvent demander à suivre le catéchisme, à se préparer aux sacrements, mais rien n’est imposé. Certains évangéliques ont déjà demandé à se convertir, mais « ce n’est pas ce que l’on recherche », assure aussi le père Renato.
EN CHIFFRES : Dans le monde, un chrétien sur quatre est évangélique
« Une expérience œcuménique unique »
Le prêtre est particulièrement fier des excellentes relations entretenues entre les différentes religions du quartier. Il est par exemple très proche des représentants des cultes afro-brésiliens. Nombre d’actions menées dans les rues sont réalisées conjointement avec des pasteurs évangéliques.
« Nous vivons une expérience œcuménique unique dans la Baixada », assure le père Renato, qui en trente ans a ouvert 19 églises dans le quartier. Avec humilité et réalisme, la Casa do Menor a réussi à réaffirmer la présence de l’Église catholique, selon Lucia Inês, et est même devenue un « point de référence » dans le quartier.
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