« Certains veulent empêcher les juifs de vivre leur religion en France »
Par Steve Nadjar et Laurent Cohen-Coudar Le 28/09/2017 à 17h00 Rubrique Judaïsme
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Crédit : Erez Lichtfeld
Haïm Korsia évoque à son propos une « tradition ». Rendez-vous emblématique institué par le fondateur d’Actualité Juive, Serge Benattar (Zal), le p’tit déj’ avec le grand rabbin de France, demeure l’un des moments forts de la rentrée. Cette année, la conversation, respectueuse mais sans tabou, a balayé une actualité communautaire, nationale et israélienne féconde mais parfois douloureuse. Pour les Juifs et pour la France, le grand rabbin Haïm Korsia entend porter un message d’espérance.
Le grand rabbin et le président
Actualité Juive: La France a connu un grand épisode de renouvellement du personnel politique avec l’élection d’Emmanuel Macron suivie par la victoire de son mouvement la République en marche, lors des législatives. Comment en tant que grand rabbin de France et citoyen avez-vous vécu cette période électorale ?
Haïm Korsia : La course présidentielle est passée par des hauts et des bas. Il existait un risque d’être confronté, au second tour, à un duel entre les extrêmes qui portent tous deux mais différemment, la haine et le repli. Ce second tour n’a pas eu lieu ; ce fut un soulagement relatif. Mais très vite, l’inquiétude est montée d’un cran, au vu des premiers jours de campagne du second tour, favorables à Marine Le Pen. Finalement, la candidate du FN a été battue. Comme le dit l’Exode (II ; 14), après que Moïse eut tué un Egyptien s’en prenant à un Juif, puis séparé deux Juifs se disputant :
« A’hen noda hadavar », « certainement la chose est connue ». Nombreux sont ceux qui disaient de Marine Le Pen qu’elle était incompétente, obsédée, obstinée, mais ils n’étaient pas ou peu écoutés. Ce n’est qu’après le débat, que la majorité de la population française, et pire sans doute pour elle, l’ensemble de son parti, a pris conscience de ses fragilités et du risque que comportait, pour la France, son éventuelle élection.
Le renouvellement politique, dont nous sommes les témoins, rejoint le besoin de « yetsiat misraïm », de sortie d’Egypte, de l’enfermement produit par l’affrontement binaire droite-gauche. Avec le « en même temps » d’Emmanuel Macron, se présente aux Français un nouveau possible.
A.J.: Anne Fulda rapporte dans la biographie qu’elle consacre à Emmanuel Macron («Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait», Plon, 2017) votre avis sur le nouveau président. « Je pense qu’il a quelque chose de spirituel », lui expliquez-vous. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette réflexion sur un homme que vous comparez, toujours dans le livre, à Bonaparte ?
Haïm Korsia : Je l’ai comparé à Bonaparte qui est arrivé au pouvoir après la Révolution et la disparition de nombreuses figures de la scène politique d’alors. A mon sens, il en va de même pour Emmanuel Macron aujourd’hui. Les Français ont choisi en conscience d’éliminer tour à tour, François Hollande, Manuel Valls, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon de la course à la présidentielle.
A l’époque, Bonaparte ouvre un temps nouveau avec les conquêtes, s’entoure de scientifiques et d’ingénieurs, crée une nouvelle noblesse bâtie sur l’engagement au sein de l’armée. L’âge aussi entre en ligne de compte dans cette comparaison, comme la perception similaire de voir le monde sans être éreinté par les désillusions de la vie. Le grand rabbin Sitruk m’avait enseigné qu’on ne peut changer le monde que dans sa jeunesse, car c’est encore le temps où l’on peut se changer soi-même. Le Président de la République a 39 ans et apporte un vent nouveau dans l’administration et les cabinets ministériels.
Spirituel ensuite, parce qu’il me semble qu’il n’est pas de question sur laquelle Emmanuel Macron n’ait d’éclairage philosophique. On a eu plusieurs occasions de se rencontrer, notamment au moment du débat sur le travail du dimanche, alors qu’il était ministre de l’Économie. Notre échange avait notamment porté sur le chabbat, ce temps vécu non pas comme une obligation sanitaire du repos, mais comme le temps partagé d’arrêt de production. Il ne s’agit pas là tant de s’arrêter ponctuellement de travailler, mais de le faire en même temps que les autres. Emmanuel Macron a su poser cette réflexion avec philosophie, pas seulement du point de vue de la rentabilité. Il tend à rechercher l’idée sous-jacente à une pratique : que dit-elle de notre société ?
A.J.: L’un des temps forts du début de mandat d’Emmanuel Macron est son discours au Vel d’Hiv. « C’est bien la France qui organisa la rafle » y déclarait le chef de l’Etat, raillant les « accommodements et les subtilités de ceux qui disent que Vichy n’était pas la France ». Un discours historique, selon vous ?
Haïm Korsia : Avec ce discours, Emmanuel Macron a fait, si vous me permettez l’expression, une ‘hazaka, c’est-à-dire un usage, qui par sa répétitivité, prend force de loi. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient posé ces dernières années les bases de cette reconnaissance.
Mais le président Macron a été encore plus loin en affirmant que cela a continué après la guerre, certains ayant continué à nier les faits en voulant à tout prix réécrire l’Histoire. Il est sidérant que le collaborationniste antisémite Darquier ait eu le loisir de déclarer, en 1978, à la Une de L’Express : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». Ces forces sont toujours à l’œuvre aujourd’hui, comme l’a notamment montré, de manière plus feutrée, Paul Thibaud [philosophe et ancien président de l’Amitié judéo-chrétienne de France], dans une récente tribune au Figaro, le 19 juillet, à laquelle je me devais de répondre. Emmanuel Macron a eu raison d’affirmer qu’il était ridicule de parler de deux France, celle de Londres et celle de Vichy. C’était la même France, c’était un tout ! Sans doute, ce mythe inventé par le général de Gaulle, était nécessaire après la guerre. Aujourd’hui, il faut rétablir la vérité historique.
Propos recueillis par Steve Nadjar et Laurent Cohen-Coudar
Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable du restaurant « Le Charkoal », 164 rue de Paris,94220 Charenton-le-Pont. Tél. : 01 56 29 18 18.
La suite de l’entretien est à lire dans la version papier de notre dernier numéro.
http://www.actuj.com/2017-09/judaisme/5692-certains-veulent-empecher-les-juifs-de-vivre-leur-religion-en-france#
Par Steve Nadjar et Laurent Cohen-Coudar Le 28/09/2017 à 17h00 Rubrique Judaïsme
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Crédit : Erez Lichtfeld
Haïm Korsia évoque à son propos une « tradition ». Rendez-vous emblématique institué par le fondateur d’Actualité Juive, Serge Benattar (Zal), le p’tit déj’ avec le grand rabbin de France, demeure l’un des moments forts de la rentrée. Cette année, la conversation, respectueuse mais sans tabou, a balayé une actualité communautaire, nationale et israélienne féconde mais parfois douloureuse. Pour les Juifs et pour la France, le grand rabbin Haïm Korsia entend porter un message d’espérance.
Le grand rabbin et le président
Actualité Juive: La France a connu un grand épisode de renouvellement du personnel politique avec l’élection d’Emmanuel Macron suivie par la victoire de son mouvement la République en marche, lors des législatives. Comment en tant que grand rabbin de France et citoyen avez-vous vécu cette période électorale ?
Haïm Korsia : La course présidentielle est passée par des hauts et des bas. Il existait un risque d’être confronté, au second tour, à un duel entre les extrêmes qui portent tous deux mais différemment, la haine et le repli. Ce second tour n’a pas eu lieu ; ce fut un soulagement relatif. Mais très vite, l’inquiétude est montée d’un cran, au vu des premiers jours de campagne du second tour, favorables à Marine Le Pen. Finalement, la candidate du FN a été battue. Comme le dit l’Exode (II ; 14), après que Moïse eut tué un Egyptien s’en prenant à un Juif, puis séparé deux Juifs se disputant :
« A’hen noda hadavar », « certainement la chose est connue ». Nombreux sont ceux qui disaient de Marine Le Pen qu’elle était incompétente, obsédée, obstinée, mais ils n’étaient pas ou peu écoutés. Ce n’est qu’après le débat, que la majorité de la population française, et pire sans doute pour elle, l’ensemble de son parti, a pris conscience de ses fragilités et du risque que comportait, pour la France, son éventuelle élection.
Le renouvellement politique, dont nous sommes les témoins, rejoint le besoin de « yetsiat misraïm », de sortie d’Egypte, de l’enfermement produit par l’affrontement binaire droite-gauche. Avec le « en même temps » d’Emmanuel Macron, se présente aux Français un nouveau possible.
A.J.: Anne Fulda rapporte dans la biographie qu’elle consacre à Emmanuel Macron («Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait», Plon, 2017) votre avis sur le nouveau président. « Je pense qu’il a quelque chose de spirituel », lui expliquez-vous. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette réflexion sur un homme que vous comparez, toujours dans le livre, à Bonaparte ?
Haïm Korsia : Je l’ai comparé à Bonaparte qui est arrivé au pouvoir après la Révolution et la disparition de nombreuses figures de la scène politique d’alors. A mon sens, il en va de même pour Emmanuel Macron aujourd’hui. Les Français ont choisi en conscience d’éliminer tour à tour, François Hollande, Manuel Valls, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon de la course à la présidentielle.
A l’époque, Bonaparte ouvre un temps nouveau avec les conquêtes, s’entoure de scientifiques et d’ingénieurs, crée une nouvelle noblesse bâtie sur l’engagement au sein de l’armée. L’âge aussi entre en ligne de compte dans cette comparaison, comme la perception similaire de voir le monde sans être éreinté par les désillusions de la vie. Le grand rabbin Sitruk m’avait enseigné qu’on ne peut changer le monde que dans sa jeunesse, car c’est encore le temps où l’on peut se changer soi-même. Le Président de la République a 39 ans et apporte un vent nouveau dans l’administration et les cabinets ministériels.
Spirituel ensuite, parce qu’il me semble qu’il n’est pas de question sur laquelle Emmanuel Macron n’ait d’éclairage philosophique. On a eu plusieurs occasions de se rencontrer, notamment au moment du débat sur le travail du dimanche, alors qu’il était ministre de l’Économie. Notre échange avait notamment porté sur le chabbat, ce temps vécu non pas comme une obligation sanitaire du repos, mais comme le temps partagé d’arrêt de production. Il ne s’agit pas là tant de s’arrêter ponctuellement de travailler, mais de le faire en même temps que les autres. Emmanuel Macron a su poser cette réflexion avec philosophie, pas seulement du point de vue de la rentabilité. Il tend à rechercher l’idée sous-jacente à une pratique : que dit-elle de notre société ?
A.J.: L’un des temps forts du début de mandat d’Emmanuel Macron est son discours au Vel d’Hiv. « C’est bien la France qui organisa la rafle » y déclarait le chef de l’Etat, raillant les « accommodements et les subtilités de ceux qui disent que Vichy n’était pas la France ». Un discours historique, selon vous ?
Haïm Korsia : Avec ce discours, Emmanuel Macron a fait, si vous me permettez l’expression, une ‘hazaka, c’est-à-dire un usage, qui par sa répétitivité, prend force de loi. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient posé ces dernières années les bases de cette reconnaissance.
Mais le président Macron a été encore plus loin en affirmant que cela a continué après la guerre, certains ayant continué à nier les faits en voulant à tout prix réécrire l’Histoire. Il est sidérant que le collaborationniste antisémite Darquier ait eu le loisir de déclarer, en 1978, à la Une de L’Express : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». Ces forces sont toujours à l’œuvre aujourd’hui, comme l’a notamment montré, de manière plus feutrée, Paul Thibaud [philosophe et ancien président de l’Amitié judéo-chrétienne de France], dans une récente tribune au Figaro, le 19 juillet, à laquelle je me devais de répondre. Emmanuel Macron a eu raison d’affirmer qu’il était ridicule de parler de deux France, celle de Londres et celle de Vichy. C’était la même France, c’était un tout ! Sans doute, ce mythe inventé par le général de Gaulle, était nécessaire après la guerre. Aujourd’hui, il faut rétablir la vérité historique.
Propos recueillis par Steve Nadjar et Laurent Cohen-Coudar
Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable du restaurant « Le Charkoal », 164 rue de Paris,94220 Charenton-le-Pont. Tél. : 01 56 29 18 18.
La suite de l’entretien est à lire dans la version papier de notre dernier numéro.
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