La Russie retrouve le christianisme
JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD, JOURNALISTE, ÉCRIVAIN ET ESSAYISTE publié le 24/07/2017
Serions-nous aveuglés par une lumière trop forte ? Il arrive qu’un événement survienne dont la portée est tellement « énorme » que nous oublions de le voir. C’est le cas de la Russie depuis l’effondrement (en 1991) de l’URSS. Je reviens d’un périple de 1600 kilomètres dans ce pays-continent (le plus vaste du monde) avec mon confrère Alain Frachon et l’historien Nicolas Werth, spécialiste de l’ex-URSS et du bolchevisme. Nous y avons accompagné une centaine de lecteurs du Monde, de La Vie, de L’Obs, et de Télérama. Onze jours de navigation sur la Volga, de Moscou à Saint-Pétersbourg. L’itinéraire – y compris un détour plus au nord, par la Carélie –, fut semé d’escales dans des bourgades et villages de la « Russie profonde ».
Comme un arbre cache la forêt, Poutine nous cache la Russie.
Tout cela nous a troublés, au-delà de ce que nous imaginions. Nos débats incessants sur Poutine, légitimes, nous font oublier l’essentiel. Comme un arbre cache la forêt, Poutine nous cache la Russie. Je veux dire que, tout à nos querelles à son sujet, nous oublions de prendre en compte l’effervescence sociétale, culturelle, littéraire, spirituelle qui anime ce pays. Et quel pays ! La Russie (17 millions de km2) est deux fois plus grande que les États-Unis (9,6 millions de km2) alors qu’elle est deux fois moins peuplée (146 millions d’habitants contre 323 millions aux État-Unis).
Comment ne pas être frappé par le spectacle de cet immense « retour » du christianisme orthodoxe, que trois quarts de siècle de bolchevisme avaient détruit. Des centaines de milliers de popes assassinés, des millions d’églises transformées en étables ou en granges à foin, des centaines de monastères démolis. Depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, les Russes ont entrepris de rebâtir tout cela. Quand on parle chez nous de cette rechristianisation accélérée de la Russie, on veut n’y voir qu’une manœuvre de Vladimir Poutine. Sur place, on voit bien qu’il est irréfléchi de raisonner ainsi.
Certes Poutine instrumentalise à son profit la renaissance du christianisme orthodoxe. Il encourage même la lecture des penseurs et théologiens chrétiens comme Nicolas Berdiaev ou Ivan Iline, contraints jadis à l’émigration. Mais ce n’est pas lui ni ses affidés du Kremlin qui poussent les gens vers les milliers d’églises reconstruites dans tout le pays. De fait, dans chaque petite ville ou village où nous faisions halte, il n’était question que de reconstruction, restauration, consécration.
Chez nous, la religion catholique a longtemps été puissante et dominatrice. En Russie, ce fut l’inverse : le christianisme orthodoxe a été durement persécuté.
Ce fut le cas à Ouglitch ou Goritzy et, plus spectaculaire encore, dans l’immense monastère de Saint-Cyril-du-Lac-Blanc fondé au XIVe siècle. Un peu partout, ici, on s’active à relever ces ruines monumentales. Les trois jours passés à Saint-Pétersbourg (l’ancienne Leningrad) nous ont permis de voir que la plupart des églises et cathédrales ont été « réouvertes au culte » au milieu des années 1990, quelques années à peine après la fin de l’URSS.
À négliger cette réalité, on se condamne à ne pas comprendre ce qui nous distingue aujourd’hui des Russes. Chez nous, la religion catholique a longtemps été puissante et dominatrice. En Russie, ce fut l’inverse : le christianisme orthodoxe a été durement persécuté. Il ressuscite aujourd’hui. Faut-il s’en plaindre ?
http://www.lavie.fr/debats/bloc-notes/la-russie-retrouve-le-christianisme-24-07-2017-83801_442.php
JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD, JOURNALISTE, ÉCRIVAIN ET ESSAYISTE publié le 24/07/2017
Serions-nous aveuglés par une lumière trop forte ? Il arrive qu’un événement survienne dont la portée est tellement « énorme » que nous oublions de le voir. C’est le cas de la Russie depuis l’effondrement (en 1991) de l’URSS. Je reviens d’un périple de 1600 kilomètres dans ce pays-continent (le plus vaste du monde) avec mon confrère Alain Frachon et l’historien Nicolas Werth, spécialiste de l’ex-URSS et du bolchevisme. Nous y avons accompagné une centaine de lecteurs du Monde, de La Vie, de L’Obs, et de Télérama. Onze jours de navigation sur la Volga, de Moscou à Saint-Pétersbourg. L’itinéraire – y compris un détour plus au nord, par la Carélie –, fut semé d’escales dans des bourgades et villages de la « Russie profonde ».
Comme un arbre cache la forêt, Poutine nous cache la Russie.
Tout cela nous a troublés, au-delà de ce que nous imaginions. Nos débats incessants sur Poutine, légitimes, nous font oublier l’essentiel. Comme un arbre cache la forêt, Poutine nous cache la Russie. Je veux dire que, tout à nos querelles à son sujet, nous oublions de prendre en compte l’effervescence sociétale, culturelle, littéraire, spirituelle qui anime ce pays. Et quel pays ! La Russie (17 millions de km2) est deux fois plus grande que les États-Unis (9,6 millions de km2) alors qu’elle est deux fois moins peuplée (146 millions d’habitants contre 323 millions aux État-Unis).
Comment ne pas être frappé par le spectacle de cet immense « retour » du christianisme orthodoxe, que trois quarts de siècle de bolchevisme avaient détruit. Des centaines de milliers de popes assassinés, des millions d’églises transformées en étables ou en granges à foin, des centaines de monastères démolis. Depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, les Russes ont entrepris de rebâtir tout cela. Quand on parle chez nous de cette rechristianisation accélérée de la Russie, on veut n’y voir qu’une manœuvre de Vladimir Poutine. Sur place, on voit bien qu’il est irréfléchi de raisonner ainsi.
Certes Poutine instrumentalise à son profit la renaissance du christianisme orthodoxe. Il encourage même la lecture des penseurs et théologiens chrétiens comme Nicolas Berdiaev ou Ivan Iline, contraints jadis à l’émigration. Mais ce n’est pas lui ni ses affidés du Kremlin qui poussent les gens vers les milliers d’églises reconstruites dans tout le pays. De fait, dans chaque petite ville ou village où nous faisions halte, il n’était question que de reconstruction, restauration, consécration.
Chez nous, la religion catholique a longtemps été puissante et dominatrice. En Russie, ce fut l’inverse : le christianisme orthodoxe a été durement persécuté.
Ce fut le cas à Ouglitch ou Goritzy et, plus spectaculaire encore, dans l’immense monastère de Saint-Cyril-du-Lac-Blanc fondé au XIVe siècle. Un peu partout, ici, on s’active à relever ces ruines monumentales. Les trois jours passés à Saint-Pétersbourg (l’ancienne Leningrad) nous ont permis de voir que la plupart des églises et cathédrales ont été « réouvertes au culte » au milieu des années 1990, quelques années à peine après la fin de l’URSS.
À négliger cette réalité, on se condamne à ne pas comprendre ce qui nous distingue aujourd’hui des Russes. Chez nous, la religion catholique a longtemps été puissante et dominatrice. En Russie, ce fut l’inverse : le christianisme orthodoxe a été durement persécuté. Il ressuscite aujourd’hui. Faut-il s’en plaindre ?
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