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« Sans agnosticisme, la croyance est impossible »

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Josué

Josué
Administrateur

L'agnosticisme, “credo de la laïcité“ ? Réponse à l'incorrigible Raphaël Enthoven
PAUL CLAVIER publié le 10/01/2017

« Sans agnosticisme, la croyance est impossible », a soutenu durant une chronique radiophonique Raphaël Enthoven. Paul Clavier, philosophe, professeur à l'École normale supérieure et à Sciences Po, lui répond sur cette question de la foi.
Au cours la matinale d’Europe 1 du mardi 10 janvier, Raphaël Enthoven nous donnait sa « morale de l’info » : « L’agnosticisme, c’est le credo de la laïcité ». Enthoven rebondit ainsi sur une profession de foi agnostique d’Arnaud Montebourg. Puisqu’il a été mon élève (Raphaël, pas Arnaud), et que je ne le renie pas, je me sens un peu responsable de ses propos. Conscient des contraintes et des raccourcis qu’impose une prise de parole radiophonique, je proposerai à l’ancien élève, en guise de correction fraternelle, un amical corrigé.
D’abord, tu définis l’agnosticisme comme un « refus de savoir » si Dieu existe ou non. Étrange refus. Car si Dieu n’existe pas, autant en avoir le cœur net pour nous délivrer d’une fiction au nom de laquelle on s’entretue. Mais, diras-tu, si on ne peut pas savoir ? Si, comme tu le suggères, « il ne nous appartient pas de connaître la réponse à la question de l’existence de Dieu » ? Là, j’ai une objection : un Dieu cachottier au point d’effacer toute trace de son existence ne serait pas très malin. Car cela revient à encourager les paris en l’air ou les sauts dans le vide, à faire le lit de tous les fanatismes. Mais tu remarques, à juste titre, que Dieu n’est pas la conclusion d’un syllogisme ! Rien d’étonnant : un dieu qui s’imposerait par une démonstration contraignante ne ferait pas grand cas de l’autonomie et de la liberté humaine. Or, entre l’affirmation indiscutable et la négation définitive, il reste une (sacrée) marge. On peut avoir de bonnes raison d’affirmer l’existence de Dieu (car comment concevoir que l’univers existe de lui-même ?), ou des raisons d’affirmer que le ciel est vide (vu le cortège de souffrances). Ces raisons méritent d’être discutées philosophiquement, et non assenées dogmatiquement
Inutile donc de s’abriter comme tu le fais derrière le slogan pascalien (« Dieu sensible au cœur, non à la raison »). Tu proclames que « sans agnosticisme, c’est-à-dire sans doute, la croyance est impossible ». Ne devrais-tu pas faire la distinction entre « croire que… » (avoir des raisons, pas forcément contraignantes, de penser que Dieu existe ou n’existe pas) et « croire en … » (c’est-à-dire se mettre à faire confiance). Ce qui, pour le coup, est impossible, c’est de faire confiance à quelqu’un dont on n’a pas de raison d’affirmer qu’il existe : « Je sais en qui j’ai mis ma confiance », disait saint Paul. Bien sûr, cette confiance peut vaciller au gré des épreuves individuelles ou collectives. Mais ce n’est pas notre confiance ou notre méfiance qui suffit à faire exister Dieu ou à l’envoyer aux oubliettes.
Tu prônes l’agnosticisme, parce qu’il reste « ouvert », dis-tu, à la croyance et à l’incroyance, et favorise la sociabilité. Pas sûr : c’est un gros problème pour le vivre-ensemble que de s’en tenir à la maxime de Gorki : « Si tu crois en lui, il existe, si tu n’y crois pas, il n’existe pas » (Les Bas-Fonds, 1922). Car si nous faisons dépendre ce qui existe de nos croyances, on pourra faire apparaître et disparaître à son gré les génocides, les droits de l’homme, le dérèglement climatique.
La loyauté intellectuelle, et l’effort vers le partage de vérités qui ne tuent pas, seront de meilleurs garants de la laïcité qu’un credo agnostique qui enterre toute discussion.

(P.S. Le respect inconditionnel de la vie d’autrui et de ses opinions est bien mieux garanti dans l’hypothèse où « Tous les hommes sont créés égaux et dotés par leur créateur de certains droits inaliénables » (Jefferson), que dans l’hypothèse où l’univers a produit au hasard des animaux prétendant sans raison au respect, souvent d’ailleurs à sens unique.)

> Paul Clavier a notamment publié :
Dieu sans barbe (La Table ronde, 2002)

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