Enquête sur le Jésus historique – De nouvelles découvertes sur Jésus de Nazareth confirment les récits des Évangiles, de Robert J. Hutchinson (Salvator, 2017), est une traduction du populaire Searching for Jesus paru en 2015. Contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, il ne s’agit pas d’un énième ouvrage anecdotique sur un sujet beaucoup débattu. J’avoue qu’au premier abord, j’ai haussé les épaules, et songé à ce fatras d’ouvrages fantaisistes ou plus ou moins érudits qui abordent depuis tant de siècles l’historicité de Jésus. Entre ceux qui pensent, et tentent médiocrement de prouver, que Jésus n’a jamais existé et n’est qu’un mythe, ceux qui qualifient les évangiles de fraude intellectuelle et réduisent l’historicité de Jésus au strict minimum et ceux qui abordent les évangiles de manière fondamentaliste, il y a un monde.
Tout est-il dit et vient-on trop tard ? Avec scrupule, méthode et science, les universitaires ont-il déjà bon ordre dans cette affaire-là ? En fait, pas du tout. Le « Jésus historique » est plus que jamais un sujet d’actualité et de recherche. Sans cesse paraissent des études, les unes à caractère sensationnaliste (Jésus n’est pas mort sur la croix, il a eu une descendance, on a trouvé son tombeau…), les autres à caractère révisionniste pour ne pas dire négationniste (Jésus est une pure invention, ou Rien de ce que disent les évangiles n’est authentique et Jésus est à jamais méconnaissable, ou encore Jésus est une « figure de papier » à caractère plus littéraire et exégétique que réel – cf. Charbonnel/Römer (préf.) 2017). Il y a de quoi en perdre son latin. Mais ce qui semble certain, c’est qu’il ne faut pas prendre pour parole d’évangile justement tout ce qui se dit et s’écrit, y compris sous des plumes universitaires et autorisées, car le constat est sans appel : la plupart des études se contredisent les unes les autres, et si l’on est pas au fait des arguments, de l’actualité, de l’archéologie, et d’un grand nombre de disciplines connexes, il est difficile de suivre, de comprendre et de trancher…
Heureusement certains ouvrages proposent parfois d’effectuer un état des lieux, et c’est le cas de l’ouvrage de Hutchinson. Il n’est pas tant question de « nouvelles découvertes », mais plutôt de ces innombrables découvertes qui jalonnent les dernières décennies, et tancent les minimalistes. Au menu, onze chapitres sous forme de questions : 1. Les Évangiles contiennent-ils des déclarations de témoins oculaires ? 2. Menteur, fou… ou figure de légende ? 3. Les Évangiles sont-il des faux ? 4. Les archéologues ont-il découvert la maison de Jésus ? 5. L’Eglise a-t-elle inventé l’idée d’un messie souffrant ? 6. Dans quelle mesure Jésus était-il casher ? 7. Jésus avait-il un message secret ? 8. Jésus était-il un révolutionnaire zélote ? 9. Jésus a-t-il planifié sa propre mort ? 10. Avons-nous des preuves de la résurrection ? 11. Jésus, Dieu et homme. Chaque rubrique se termine par un encart « Pour des lectures approfondies » (anglophones généralement) sélectif et bien à jour.
Le style est simple, direct, non pédant, et le propos bien documenté. Hutchinson soulève chaque fois un point controversé, et livre les différentes théories plus ou moins récentes sur le sujet. Puis il relève les contradictions, ou montre que des vues extrêmes qui avaient cours (Nazareth n’a jamais existé, Pilate non plus…) sont désormais totalement abandonnées. Et les déconvenues ne sont pas rares ! On comprend ainsi, à la revue d’un grand nombres d’exemples, combien il est sage d’accueillir avec la plus extrême suspicion les théories révolutionnaires qui contrediraient les évangiles. Jésus n’a pas existé ? Et pourtant les témoignages sont clairs, et bien plus nombreux que pour bien des figures historiques. Les évangélistes, des affabulateurs ? Et pourtant, leurs propos historiques, géographiques, ou culturels ne cessent d’être confirmés. La Bible en général, et les évangiles en particulier, sont-ils textuellement corrompus ? Et pourtant, la critique textuelle du NT bénéficie d’une abondance telle de manuscrits qu’il est garanti que le texte que nous possédons est absolument fiable dans son ensemble.
La méthode de Hutchinson est authentiquement historique. A la manière d’un Hérodote, il mène son enquête. Pour éviter une averse de contestations et protestations (il n’est pas un expert du sérail, bien que ses études supérieures l’aient largement qualifié pour y voir assez clair), il ne fournit jamais ses propres analyses : il fait plutôt état des vues des uns et des autres, puis déniche une étude plus récente encore, qui conteste ou contredit les vues précédemment exposées. Se faisant il illustre avec brio combien les données évoluent, parfois rapidement, et surtout à quel point, pour l’essentiel selon lui, les évangiles sont des récits authentiques et fiables de la vie et de l’enseignement de Jésus.
Un des aspects les plus original de l’ouvrage concerne la partie consacrée à l’attente messianique en Palestine au Ier siècle. Sujet ô combien délicat et difficile… Il s’agit de déterminer si les juifs attendaient bien un messie à cette époque, et quel messie. Un messie conquérant et glorieux, qui supprimerait l’oppresseur romain ? Ou un messie souffrant, voire rédempteur ? Pour bon nombre d’universitaires le sujet est clos est la réponse pourrait se formuler ainsi : Jésus était un prophète, voire un fanatique, annonçant la fin des temps, qui n’est pas arrivée. Il se trompait et ce scandale a été contourné, déguisé, et maquillé a posteriori : après sa mort, on a creusé les Écritures et tenté de trouver des textes compatibles avec ce qui s’était passé. Autrement dit, on a bricolé les textes, car personne n’attendait de messie souffrant. A ce stade, il fait un certain écho au travail de Boyarin sur le sujet, par ex. p.163 :
La notion selon laquelle les disciples de Jésus l’ont déclaré post factum messie souffrant est toujours répétée de nos jours avec une certitude dogmatique dans nombre d’universités et de séminaires. Et pourtant, comme nous venons de le dire, elle est totalement fausse, selon Boyarin.
Evidemment, ce genre de sujet mériterait une analyse plus étendue que celle livrée par Hutchinson en quelques pages, mais en la matière la référence au travail de Boyarin est un début. J’ai évoqué (ici) ce travail de Boyarin, lequel m’agaçait un tantinet en s’estimant vox clamans in deserto, mais disons qu’effectivement il y a lieu de contester l’idée que le concept n’existait pas. De surcroît, même une réinterprétation de la vie de Jésus ex eventu n’a rien d’hétérodoxe : les disciples ont pu ne pas comprendre les événements, puis les interpréter ou les réinterpréter. Comme je l’ai signalé dans ma review de Boyarin, ils le confessent parfois. Il est donc inutile de surexploiter les textes : ce qui est certain, c’est que beaucoup attendaient le messie à une époque voire à une date très précise, et ce tout simplement en raison de données bibliques chronologiques. Quant à savoir le genrede messie attendu, cela a pu varier d’un individu à l’autre.
Ici Hutchinson livre un argument étonnant, et passablement douteux : la Révélation de Gabriel (cf. p. 152 sq.).
Il s’agit d’une tablette assez unique écrite en hébreu ancien, à l’encre, qui date du Ier s. ap. J.-C. (d’autres datent du Ier s. av. J.-C.) et qu’on a appelé « le manuscrit de la mer Morte sur pierre ». Sa particularité est de faire mention d’un homme que les Romains auraient tué, et qui aurait ressuscité au bout de trois jours… Je ne connaissais pas du tout ce document, et je constate sans étonnement que la traduction est débattue. A mon avis, l’argument est un peu tiré par les cheveux, et c’est le seul point vraiment douteux et marginal que je relève chez Hutchinson.
Comme il le signale en introduction, Hutchinson écrit pour deux types de public : d’un côté « des chrétiens engagés de nombreuses confession ayant un large éventail d’idées et de croyances sur la question de savoir si, et à quel degré, la Bible est inspirée et même si elle ne comporte pas d’erreurs », de l’autre « des lecteurs intéressés par Jésus de Nazareth et les débuts du christianisme, mais qui ne sont pas a priori convaincus que la Bible repose sur des événements réels » (p.22). Pour ménager ces deux publics, Hutchinson tente de trouver un équilibre entre « [respect] de l’orthodoxie chrétienne et scepticisme séculier » (ibid.) A mon avis le pari est réussi car, même si par la nature et l’ordre des sujets et arguments avancés, on voit clairement où il entend mener les lecteurs, sa méthode est saine : exposition des thèses plus ou moins récentes, et mise en perspective avec les dernières données disponibles.
C’est donc un travail intéressant, qui par la variété des thématiques abordées saura certainement susciter bon nombre de questions chez le lecteur. Si tous ne se passionnent pas nécessairement pour l’archéologie, l’histoire ou la critique textuelle, il est difficile de ne pas trouver son compte parmi les sujets essentiels que Hutchinson aborde : Jésus a-t-il existé ? Son message est-il préservé dans le Nouveau Testament ? Correspond-il au profil du messie que l’on attendait ? Est-il vraiment mort sur la croix, ou a-t-il trouvé un subterfuge ? Et s’il est mort, est-il bien ressuscité d’entre les morts, ou peut-on penser à bon droit que les évangiles affabulent ?