Quoi de neuf sur la Bible ? la Vulgate !
MAHAUT HERRMANN publié le 07/10/2016
La Vulgate, fameuse traduction latine de la Bible par saint Jérôme, peut-elle encore intéresser le chrétien du XXIe siècle ? Oui, répond l'exégète Christophe Rico dans son dernier livre, Le traducteur de Bethléem. Le génie interprétatif de saint Jérôme à l’aune de la linguistique (Cerf).
Depuis la fin du XIXe siècle et le développement de l’exégèse et de la critique textuelle de la Bible, il est de bon ton de considérer la Vulgate comme datée et remplie d’erreurs. L’exemple le plus connu étant est sans doute celui des cornes de Moïse (Ex 34, 35), qui ont eu une grande postérité artistique. Christophe Rico, professeur à l’École biblique de Jérusalem, s’attaque à ces préjugés dans son dernier ouvrage.
La tâche pouvait sembler périlleuse. Pour montrer la qualité de la traduction hiéronymienne, Christophe Rico commence par replacer l’œuvre de Jérôme dans son contexte historique. Comment traduisait-on dans l’Antiquité ? Privilégiait-on la fidélité au sens ou à la lettre ? Traduisait-on de la même manière les textes païens et les textes chrétiens ? L’auteur analyse aussi les principes de traduction de saint Jérôme. Les problèmes auxquels le traducteur dalmate a été confrontés sont les mêmes que ceux des traducteurs modernes : comment traduire les sémitismes, rendre les figures de style, les répétitions lexicales ? Que faire des noms propres quand ceux-ci sont porteurs de sens ? Comment rendre les références intertextuelles ? La grande force de ce livre – qui synthétise une série d’articles de l'auteur sur la Vulgate – est de ne rien affirmer gratuitement. Christophe Rico analyse de nombreux choix de traductions de saint Jérôme en décortiquant les difficultés de l’hébreu ou du grec auxquelles ce dernier a été confronté.
De tout cela, il ressort que saint Jérôme était plus fin connaisseur de l’hébreu biblique, de ses subtilités et de ses jeux, que ce qu’on a longtemps affirmé, et que sa traduction ne méconnaît rien des débats d’interprétation de la Bible dans la tradition juive. En ce qui concerne le Nouveau Testament, la thèse de Christophe Rico est radicale : aujourd’hui encore, la voie d’accès privilégiée à son sens est la Vulgate. La traduction de Jérôme est en effet contemporaine de la fixation définitive du canon biblique, et elle est très proche dans le temps de l’époque où était parlé le grec du Nouveau Testament.
Face aux principes de traduction de Jérôme, de nombreuses traductions contemporaines pèchent, selon Christophe Rico, par orgueil. Ainsi, la Néo-Vulgate, texte latin de référence de la liturgie catholique établi dans le sillage de Vatican II, était censée corriger les erreurs de compréhension des textes hébreux et grecs de saint Jérôme ou adapter la traduction aux progrès de la critique textuelle. Mais, ce faisant, elle ouvre la voie à des incohérences entre le lectionnaire et le missel, quand la correction d’une traduction de Jérôme dans le lectionnaire efface la référence hiéronymienne à laquelle une prière du missel a recours. Pis, Christophe Rico relève même des contresens dans la Néo-Vulgate dus à l’oubli des spécificités du grec parlé en Palestine au Ier siècle de notre ère. C’est un exemple d’un reproche plus large fait par l’auteur aux traductions bibliques modernes : l’oubli des réceptions et interprétations de la Bible dans l’Antiquité.
Malgré sa grande technicité, qui aurait mérité plus de notes à destination des non-spécialistes, ce livre n’est pas un énième épisode d’une controverse entre biblistes. Le travail érudit de Christophe Rico, qui reconnaît volontiers l’imperfection de la Vulgate, ouvre des pistes à tous ceux qui veulent redécouvrir le contexte culturel et linguistique dans lequel les textes bibliques ont été rédigés, traduits, reçus, commentés dans l’Antiquité. Et, donc, toujours mieux les comprendre.
http://www.lavie.fr/debats/idees/quoi-de-neuf-sur-la-bible-la-vulgate-07-10-2016-76784_679.php
MAHAUT HERRMANN publié le 07/10/2016
La Vulgate, fameuse traduction latine de la Bible par saint Jérôme, peut-elle encore intéresser le chrétien du XXIe siècle ? Oui, répond l'exégète Christophe Rico dans son dernier livre, Le traducteur de Bethléem. Le génie interprétatif de saint Jérôme à l’aune de la linguistique (Cerf).
Depuis la fin du XIXe siècle et le développement de l’exégèse et de la critique textuelle de la Bible, il est de bon ton de considérer la Vulgate comme datée et remplie d’erreurs. L’exemple le plus connu étant est sans doute celui des cornes de Moïse (Ex 34, 35), qui ont eu une grande postérité artistique. Christophe Rico, professeur à l’École biblique de Jérusalem, s’attaque à ces préjugés dans son dernier ouvrage.
La tâche pouvait sembler périlleuse. Pour montrer la qualité de la traduction hiéronymienne, Christophe Rico commence par replacer l’œuvre de Jérôme dans son contexte historique. Comment traduisait-on dans l’Antiquité ? Privilégiait-on la fidélité au sens ou à la lettre ? Traduisait-on de la même manière les textes païens et les textes chrétiens ? L’auteur analyse aussi les principes de traduction de saint Jérôme. Les problèmes auxquels le traducteur dalmate a été confrontés sont les mêmes que ceux des traducteurs modernes : comment traduire les sémitismes, rendre les figures de style, les répétitions lexicales ? Que faire des noms propres quand ceux-ci sont porteurs de sens ? Comment rendre les références intertextuelles ? La grande force de ce livre – qui synthétise une série d’articles de l'auteur sur la Vulgate – est de ne rien affirmer gratuitement. Christophe Rico analyse de nombreux choix de traductions de saint Jérôme en décortiquant les difficultés de l’hébreu ou du grec auxquelles ce dernier a été confronté.
De tout cela, il ressort que saint Jérôme était plus fin connaisseur de l’hébreu biblique, de ses subtilités et de ses jeux, que ce qu’on a longtemps affirmé, et que sa traduction ne méconnaît rien des débats d’interprétation de la Bible dans la tradition juive. En ce qui concerne le Nouveau Testament, la thèse de Christophe Rico est radicale : aujourd’hui encore, la voie d’accès privilégiée à son sens est la Vulgate. La traduction de Jérôme est en effet contemporaine de la fixation définitive du canon biblique, et elle est très proche dans le temps de l’époque où était parlé le grec du Nouveau Testament.
Face aux principes de traduction de Jérôme, de nombreuses traductions contemporaines pèchent, selon Christophe Rico, par orgueil. Ainsi, la Néo-Vulgate, texte latin de référence de la liturgie catholique établi dans le sillage de Vatican II, était censée corriger les erreurs de compréhension des textes hébreux et grecs de saint Jérôme ou adapter la traduction aux progrès de la critique textuelle. Mais, ce faisant, elle ouvre la voie à des incohérences entre le lectionnaire et le missel, quand la correction d’une traduction de Jérôme dans le lectionnaire efface la référence hiéronymienne à laquelle une prière du missel a recours. Pis, Christophe Rico relève même des contresens dans la Néo-Vulgate dus à l’oubli des spécificités du grec parlé en Palestine au Ier siècle de notre ère. C’est un exemple d’un reproche plus large fait par l’auteur aux traductions bibliques modernes : l’oubli des réceptions et interprétations de la Bible dans l’Antiquité.
Malgré sa grande technicité, qui aurait mérité plus de notes à destination des non-spécialistes, ce livre n’est pas un énième épisode d’une controverse entre biblistes. Le travail érudit de Christophe Rico, qui reconnaît volontiers l’imperfection de la Vulgate, ouvre des pistes à tous ceux qui veulent redécouvrir le contexte culturel et linguistique dans lequel les textes bibliques ont été rédigés, traduits, reçus, commentés dans l’Antiquité. Et, donc, toujours mieux les comprendre.
http://www.lavie.fr/debats/idees/quoi-de-neuf-sur-la-bible-la-vulgate-07-10-2016-76784_679.php