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Penser connaître l’islam en ouvrant le Coran est illusoire

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Josué

Josué
Administrateur

Adrien Candiard : « Penser connaître l’islam en ouvrant le Coran est illusoire »
Propos recueillis par Matthieu Stricot - publié le 07/07/2016

La religion musulmane est-elle dangereuse ou pacifique? Dans Comprendre l’islam, ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien, Adrien Candiard, membre de l’Institut dominicain d’études orientales, au Caire, rappelle la réalité complexe de l’islam.
Sharia, islamisme, djihad... Pour aborder l’islam, les médias répètent ces mots angoissants à longueur de temps sans jamais donner d’explication claire. Adrien Candiard est membre de l’Institut dominicain d’études orientales, au Caire. Dans Comprendre l’islam, ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien (Champs Flammarion, 2016), il rappelle à quel point le Coran peut donner lieu à des interprétations très différentes.

En France, l’islam est omniprésent dans le débat public. Alors que certains experts parlent d’une religion de paix, d’autres insistent sur sa brutalité. Le public ne se perd-il pas dans ce flot d’analyses contradictoires ?

La multitude d’interventions sur l’islam n’apporte pas de réponses aux questions que se posent la plupart des gens, la première étant: « Faut-il avoir peur de l’islam ? » Les différentes prises de position reposent sur le même présupposé : il y aurait une essence de l’islam qui permettrait de tout expliquer. Une autre question concerne la distinction entre islam et islamisme. Cette comparaison a le mérite de reposer sur de bons sentiments, de rappeler que la plupart des musulmans ne sont pas du tout des terroristes. Mais l’islamisme est une réalité construite à partir de ce que l’on n’aime pas dans l’islam. Appeler les poseurs de bombes islamistes, d’accord. Mais quand une femme porte le voile, est-ce islamiste ou islamique ? Difficile de répondre. Cette construction ne correspond pas aux distinctions que posent les musulmans eux-mêmes. Il faut accepter que l’islam soit une réalité complexe.

Entre les différents groupes chiites, les écoles sunnites ou l’opposition soufisme-wahhabisme, la religion musulmane est d’une diversité impressionnante. Finalement, quel socle partage l’ensemble des musulmans ?

Il existe un socle commun : la révélation coranique, la référence au Prophète Mahomet, ainsi qu’un monothéisme vigoureux, un attachement central à l’unicité divine. Après cela, la diversité culturelle, théologique et spirituelle est très grande. Au cours de l’histoire, l’islam a su construire des outils de contrôle de cette diversité. Aujourd’hui, cette régulation fonctionne moins bien, voire dysfonctionne assez gravement.

Si le Coran est la source de toutes les traditions, peut-il être pour autant considéré comme le « vrai visage » de l’islam ?

La référence à la révélation coranique est classique, mais penser connaître l’islam en ouvrant le Coran est tout à fait illusoire. On peut le lire et l’interpréter de manières très différentes. Ce livre saint est polysémique. On ne connaît pas le sens de tous les mots anciens avec certitude. Quelqu’un doit nous en donner la clé. La tradition musulmane, via ses différentes écoles, compose diverses clés. En tant que non-musulmans, nous ne pouvons pas définir qui a raison. Il serait tentant de considérer que l’approche historico-critique est la vraie interprétation, car c’est le sens que l’Occident veut lui donner. Mais cela ne nous concerne pas. Son sens apparemment littéral n’est pas nécessairement son sens véritable.

Dans l’interprétation du Coran, quelle place occupe le raisonnement logique face au texte révélé ?

En regardant l’histoire de l’interprétation coranique, on s’aperçoit que tout est possible. Le chiisme a ses propres règles et, au sein du sunnisme, on retrouve une grande diversité. La plupart des musulmans s’attachent aux interprétations de la Tradition, avec une vraie diversité en son sein. On a pu donner des interprétations spirituelles de certains versets très juridiques. Mais aujourd’hui, une approche plus littéraliste a le vent en poupe. Elle interprète les versets sans raisonnement, essentiellement à partir de la tradition prophétique. Pour aborder la question de la rationalité en islam, il faut néanmoins différencier l’approche occidentale – marquée par les Lumières et une affirmation rationaliste comme sortie possible de la religion – de la civilisation islamique où le rationalisme n’apparaît pas toujours comme la voie vers la tolérance. Ainsi, au IXe siècle, des mouvements rationalistes ont pu être violents. Le calife abbasside Al-Mamun a décidé de faire de la théologie mutazilite – une version rationnelle du credo musulman – la forme officielle de la religion. Malgré une tentative d’imposition par la force à l’aide de la Mihna, l’inquisition musulmane, il n’y est pas parvenu. Encore aujourd’hui, la raison est très souvent affirmée par certains fondamentalistes comme fondement de leurs certitudes.

Vous affirmez que, si le Coran est la théorie, la pratique de l’islam découle plutôt des hadiths, les propos du Prophète.

À côté du Coran, un vaste corpus de textes racontant les paroles et actes du Prophète a été rassemblé à partir d’une tradition orale, deux siècles après la mort de Mahomet. Objets de nombreuses discussions sur leur authenticité, ces hadiths ont une importance considérable. Il s’agit de chercher la source du droit concret. Si le Coran affirme qu’il faut prier, il ne dit pas comment. Ce sont les hadiths qui racontent comment le Prophète priait, et enjoignent les musulmans de l’imiter. La vie du Prophète sert ainsi d’interprétation du Coran.

En Occident, le terme de sharia fait peur et est souvent associé à un corpus juridique. Cette expression, qui désigne « la voie de Dieu », est-elle un véritable ensemble législatif ?

La sharia, c’est la voie que Dieu trace pour nous, ce qu’il nous demande. Difficile pour un musulman de se prononcer contre la sharia : cela signifierait qu’il est contre la volonté de Dieu. En général, ce terme est employé pour parler de l’Arabie Saoudite, sharia devenant synonyme d’arriération totale et de barbarie. En réalité, ce pays applique des règles traditionnelles de l’école hanbalite, particulièrement rigoriste. Mais cette application n’est qu’une manière d’envisager la sharia. D’autres écoles traditionnelles de droit proposent des règles différentes. Parfois, ces applications ne sont pas forcément juridiques : pour certains groupes soufis, la volonté de Dieu est d’abord du niveau de la spiritualité. Enfin, les juristes rédigeant aujourd’hui les codes civils dans les pays musulmans n’ont pas l’impression de s’éloigner de la volonté de Dieu.

Depuis sa création, l’islam est une religion politique. Faut-il en conclure que l’islam est incompatible avec la démocratie, comme l’affirment certains ?

En un sens, toute religion est politique parce qu’elle a à voir avec la vie humaine et sociale. L’islam naît dans un contexte politique, avec la création de la cité-État de Médine par le Prophète. Faut-il en conclure que l’islam doit toujours ressembler à ce moment originel ? Si certains musulmans le pensent, d’autres, comme le théologien égyptien Ali Abderraziq (1888-1966), cheikh de l’université d’Al-Azhar, affirment que l’époque du Prophète est liée à un contexte particulier, que personne ne peut refaire ce que Mahomet a réalisé. Une autonomie de la sphère politique peut donc être envisagée. La distinction entre politique et religion a quasiment toujours existé : le sultanat, forme habituelle de gouvernement dans l’histoire de l’islam, n’est qu’une fonction politique gouvernant à côté d’un corps religieux, celui des oulémas. En revanche, si le pouvoir politique peut être autonome, il ne peut pas changer la loi divine. L’enjeu n’est alors pas d’élire les représentants, mais que ces derniers puissent édicter des lois sans être contraints par la loi religieuse. Dans ce cadre, notre conception de la démocratie ne peut pas fonctionner. Mais l’expérience du monde musulman, au XXe siècle, démontre qu’il est possible d’avoir des parlements votant des lois autonomes fondées sur la souveraineté populaire.

Alors que sunnites et chiites ne sont plus aussi éloignés qu’aux premiers siècles de l’islam sur le plan théologique, comment expliquer l’explosion du conflit entre ces deux courants depuis la seconde moitié du XXe siècle ?

Cette division très ancienne a entraîné des oppositions théologiques et spirituelles très dures. Beaucoup de chiites considéraient que le Coran dans son état actuel n’était pas le vrai Coran. On n’en est plus là. Aujourd’hui, chiites et sunnites s’accordent sur de nombreux points. L’opposition n’est pas tant religieuse qu’identitaire et politique, exacerbée par la concurrence géopolitique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Mais, si le monde chiite est relativement ordonné et régulé par le clergé iranien, le monde sunnite est pour sa part extrêmement divisé. Le monde des oulémas, autorités régulant traditionnellement le monde sunnite, est entré en crise. Ce clergé traditionnel est remis en question par des courants plus récents comme le salafisme, qui nient toute possibilité de régulation de la foi musulmane sunnite. Les deux camps luttent pour définir qui peut affirmer ce qu’est le véritable islam.

Alors que le salafisme se réclame de l’islam des ancêtres, vous affirmez qu’il est le contraire de la tradition.

Né à la fin du XIXe siècle, le salafisme est un mouvement moderne dans sa conception du monde. Il constitue une réaction devant les échecs des instances traditionnelles n’ayant pas su faire de l’islam une force capable de résister à la domination militaire, technique et intellectuelle de l’Occident. Aux yeux des salafistes, l’erreur a été d’abandonner l’islam des origines, capable selon eux de vaincre les plus grands empires. Ils ne veulent donc pas maintenir ce qui existe et a été reçu des parents et des grands-parents, mais faire un bond fantasmé de plusieurs siècles en arrière. Ce n’est pas un islam de tradition, mais un islam reconstruit. En général, les salafistes sont tout à fait pacifistes et ne remettent pas en cause l’ordre établi. Mais le fait est que tout le djihadisme contemporain est né sur ce terreau salafiste. D’autres mouvances d’islam politique, comme les Frères musulmans, ont pu mener des expériences discutables voire désastreuses, mais n’ont jamais entraîné des gens dans l’aventure djihadiste et la recherche de la destruction de l’Occident.

Le recours à la théologie est-il nécessaire dans le combat contre les idéologies religieuses destructrices ?

En France, on est particulièrement analphabètes en matière religieuse. Ces dernières années, on a timidement commencé à se dire qu’il fallait introduire le fait religieux à l’école. Dans la religion, il n’y a pas que le folklore et les fêtes. Il y a aussi une pensée religieuse, parfois intéressante, parfois inintéressante, parfois sérieuse, parfois inepte. Si on n’est pas formé à appréhender cette pensée-là, on peut être le jouet de n’importe quel charlatan. Être éduqué en matière religieuse est certainement le meilleur antidote que l’on puisse espérer contre les dérives religieuses.
http://www.lemondedesreligions.fr/une/adrien-candiard-penser-connaitre-l-islam-en-ouvrant-le-coran-est-illusoire-07-07-2016-5648_115.php

chico.

chico.

Même les musulmans ne connaissent pas la Coran,il le récite par cœur mais n'apprennent pas vraiment la signification du texte.

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