La plupart des journalistes, en France, emploient de façon illégale le mot « secte », terme infamant et qui fait très peur à tous. Ainsi, dans sa dernière édition, Tribune de Lyon offre à ses lecteurs une « enquête sur les sectes les plus actives à Lyon ». Dans chapeau introductif, le journaliste écrit : « De l’Église de scientologie aux Témoins de Jéhovah (TJ), les principales organisations reconnues comme « sectes » par l’État sont bien présentes dans l’agglomération ».Tribune Lyon 2
Dans le corps de l’article, pour contredire le porte-parole des TJ à Lyon qui déclare que « l’appellation "secte" n’est plus valable, car nous sommes enregistrés sous le statut d’association », le journaliste n’oppose aucune dérive constatée, ni même aucun fait délictueux supposé. Non, il lui suffit de rétorquer, en lieu d’argument définitif : « Et pourtant, les Témoins sont toujours considérés comme une secte par l’État ». Et la messe est dite !
Pourtant, le mot « secte » ne devrait plus avoir cours, du moins pour qualifier en France tous ces mouvements pacifiques qui ont autant le droit d’exister que n’importe quel autre groupement de citoyens.
Atteinte à la liberté de croyance
Le terme « secte », en effet, n’a pas de définition légalement parlant. Il a même dû, par « sécurité juridique », être éliminé du vocabulaire administratif et politique : il portait en effet atteinte à la liberté de conscience, de croyance ou de religion.
Le signe le plus manifeste de cette évolution sémantique est visible au sommet de l’État (niveau du premier ministre) dans le changement de nom de l’organisme national chargé de la question « sectaire ». Ainsi la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils), créée en 1998, est devenue, en 2002, la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires » (Miviludes).
De même, si les trois premiers rapports parlementaires, depuis 1983, s’attaquaient aux « sectes », le dernier, qui s’interrogeait sur « l'influence des mouvements à caractère sectaire » (2013) porte la marque de ce nécessaire changement terminologique.
Les journalistes, apparemment, ne s’estiment pas tenus par une rigueur langagière qui leur compliquerait le travail. Car ils seraient obligés d’être précis et factuels et d’enquêter eux-mêmes sur le terrain, au lieu de se contenter de s’appuyer sur l’autorité de la parole publique, en fait sur la propagande des « antisectes » officiels ou autoproclamés.
« Reconnue comme secte »
Il faut dire que l’État s’accommode parfaitement de cette confusion car elle lui permet de bénéficier du soutien aveugle des médias et de continuer sa politique discriminatoire et arbitraire sans être l’objet d’une analyse trop scrupuleuse de son travail. Sur le site de la Miviludes, les anciens rapports sur les « sectes » sont toujours affichés et, à différents niveaux, le mot « secte » peut encore être vu.
Mais, nous l’avons avec la Tribune de Lyon (et elle n’est pas la seule !), les journalistes vont encore plus loin, n’hésitant pas, pour justifier leurs articles à charge, à claironner que tel ou tel mouvement est « reconnu comme secte » par l’État ou le gouvernement. Tout simplement parce que son nom figure dans le fameux rapport de 1995 qui comportait une liste de 173 mouvements qualifiés de « sectes ».
Or cet argument est irrecevable.
Régulièrement, notamment dans les réponses aux questions aux parlementaires, les ministres successifs sont obligés de rappeler que la République ne reconnaît ni religion ni secte et que seuls doivent être considérés les troubles à l’ordre public ou les atteintes effectives aux personnes ou aux biens.
« Rapport dépourvu de valeur juridique »
Le 10 mars 1998, le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement publiait une circulaire précisant que « le rapport parlementaire de MM. Alain Gest et Guyard [1995] n’a pas d’effet juridique sur l’action administrative de l’État en matière de ce que le langage courant dénomme « sectes », celles-ci étant, comme toutes religions, simplement soumises au droit commun. » Et cette circulaire de préciser : « Aucun groupement n’a donc jamais été classé comme « secte » par la République ».
Le 27 mai 2005, M. Raffarin, alors premier ministre, publiait une circulaire « relative à la lutte contre les dérives sectaires ». Il y précisait : « Aussi a-t-il été décidé, plutôt que de mettre certains groupements à l'index, d’exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres ». Et il terminait en disant que « le recours à des listes de groupements sera évité au profit de l'utilisation de faisceaux de critères ».
De même, la « liste noire » de 1995 a fait l’objet de décisions de justice, notamment celle du tribunal administratif de Caen qui, en 2005, a conclu dans une affaire concernant les TJ, que [l’accusé, un hôpital en l’occurrence] ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir d’un rapport établi par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale classant les Témoins de Jehovah parmi les "sectes", un tel rapport étant dépourvu de valeur juridique »[1].