"Le populisme, une religion rituelle sans spiritualité"
Matthieu Mégevand - publié le 21/04/2011
En Hongrie, une nouvelle constitution qui fait référence à Dieu et au christianisme; en France, le "passé chrétien" qui ressurgit. Et partout en Europe, des partis plus ou moins populistes font revivre la référence religieuse comme vecteur identitaire. Interview de Dominique Reynié, politologue, professeur à Science-Po et spécialiste des populismes en Europe.
Y a-t-il un lien entre la montée du populisme en Europe et le retour à de plus en plus de références religieuses, notamment aux sources chrétiennes?
Tout d’abord, le populisme qui triomphe aujourd’hui en Europe est un populisme que je qualifie de patrimonial. Le patrimoine en question possède deux dimensions : une dimension matérielle, c’est-à-dire des groupes sociaux qui considèrent que leurs intérêts sont remis en cause par la mondialisation, la globalisation. Par exemple, les classes populaires qui constatent que leur pouvoir d’achat stagne ou recule.
Et puis, il y a la dimension du patrimoine immatériel, dans lequel on trouve les traditions, les habitudes, les paysages architecturaux que l’on veut préserver, accompagné d’un malaise identitaire des Européens qui comprennent soudainement qu’ils sont en train de changer profondément de société. Ces changements, ils ne les ont pas vu venir, et les politiques ne les leur ont pas expliqués.
Ils se réveillent soudainement avec la peur de se retrouver, dans quelques années, dans une société radicalement différente. Dans cette société familière qui est train de disparaître, il y a la religion chrétienne. Ce qui est paradoxal, c’est que ce sont les mêmes qui ne vont plus à la messe qui regrettent le déclin de la religion chrétienne en Europe.
Le désengagement que l’on constate un peu partout en Europe en ce qui concerne la religion chrétienne, avec parallèlement une recomposition ethnoculturelle due à l’immigration qui fait émerger une autre religion, l’islam, fait réapparaître la question religieuse. "Que sommes-nous devenus ?", se demande-t-on en Europe. Plus précisément, l'on se dit : "La religion n’a pas disparu, c’est notre religion qui décline." Cela nourrit, plutôt qu’un enrichissement culturel, l’idée d’un conflit ethnoculturel que l’on retrouve dans tous les populismes. Et un certain retour du religieux.
Comment qualifiez-vous ce retour au référent religieux?
Il s’agit d’abord et avant tout d’un retour à la religion comme patrimoine, et pas comme une spiritualité. Cela concerne des objets concrets, comme les églises. C’est d’ailleurs une question européenne importante qui consiste à savoir ce que nous allons faire de tous ces bâtiments, qui sont pour la plupart vides. Sommes-nous prêts à dépenser beaucoup d’argent pour les entretenir, ou acceptons-nous de les voir transformés en autre chose (supermarchés, librairie)?
Cette vision d’un patrimoine religieux matériel va être une question lancinante et permanente des prochaines années, car nous allons observer, village par village, quartier par quartier, le déclin de ce patrimoine architectural. C’est en quelque sorte la preuve matérielle du déclin de la religion en Europe.
D’autre part, je crois que l’on s’attache à ce côté matériel parce que le côté spirituel paraît trop hors de portée. Les Européens se sont trop profondément convertis au matérialisme, au confort de cette vie consumériste, et ils ne se sentent pas suffisamment forts ou concernés pour revenir à l’exigence spirituelle de la religion. La religion semble trop contraignante, trop en porte-à-faux par rapport à la société consumériste dans laquelle l’Europe a triomphé. C’est pour cette raison que le patrimoine religieux matériel possède une telle importance.
Y a-t-il des différences entre les populismes, certains font-ils plus référence à la religion que d’autres?
Le populisme qui intègre la religion est un populisme de droite, très clairement, c’est d’ailleurs le populisme qui marche le mieux. Il existe une sorte de tension, car certains populismes de droite ont quitté la référence religieuse au profit de la laïcité, comme la France ou les Pays-Bas. D’autres populismes de droite par contre investissent dans le référent religieux, comme en Autriche ou en Suisse.
Mais il s’agit d’une religion rituelle, presque sans spiritualité. Je crois que ces partis populistes de droite ont compris que s’ils ne parlent pas de ce malaise religieux, ils perdent une ressource politique majeure. Mais cela ne peut se faire avec un bénéfice que si c’est un religieux non spirituel, c’est-à-dire un religieux traditionnel et rituel. Parce que si l’on propose un religieux spirituel, cela n’a aucun succès.
On le constate en France avec Christine Boutin par exemple, car cela heurte le choix des Européens d’une existence consumériste. C’est un positionnement très cynique, très pragmatique de la part de ces partis, qui disent en substance : "Vous n’avez pas besoin d’aller à la messe pour que la religion soit défendue comme institution patrimoniale." Ils jouent sur une angoisse identitaire, entre le déclin d’une religion et la montée d’une autre, l’islam, sans demander de revenir à la religion, parce que cela n’aurait aucun succès.
Ce retour au religieux se fait-il en réaction à la montée de la religion musulmane en Europe?
L’islam accélère et cristallise. Mais il existe des causes plus profondes. Premièrement, la situation démographique de l’Europe. Nous sommes sur un continent très âgé, qui ne sera plus jamais jeune. Dès 2015, il y aura en Europe plus de décès que de naissance. Et donc un nouveau rapport au monde, ne serait-ce parce que les gens âgés vivent différemment les changements en cours et à venir.
Deuxièmement, le monde est en train de changer profondément. L’Europe n’est plus le cœur battant de l’Occident, et l’Occident n’est plus le centre du monde. Troisièmement, il y a toutes les questions qui sont liées aux limites naturelles à notre expansion, qu’elle soit technique ou économique, et le problème écologique.
En d’autres termes, il y a le sentiment que peut être remis en cause tout le modèle matérialiste sur lequel nous avons construit des sociétés heureuses et prospères. Tout cela représente des facteurs indépendants de la montée de l’islam. Le retour au référent religieux existerait donc de toute façon, mais l’islam l’accélère et touche encore plus les sociétés européennes.
Pour aller plus loin
Dominique Reynié, Populismes, la pente fatale, Plon, 280 p., 19,50 €.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/le-populisme-une-religion-rituelle-sans-spiritualite-21-04-2011-1460_118.php
Matthieu Mégevand - publié le 21/04/2011
En Hongrie, une nouvelle constitution qui fait référence à Dieu et au christianisme; en France, le "passé chrétien" qui ressurgit. Et partout en Europe, des partis plus ou moins populistes font revivre la référence religieuse comme vecteur identitaire. Interview de Dominique Reynié, politologue, professeur à Science-Po et spécialiste des populismes en Europe.
Y a-t-il un lien entre la montée du populisme en Europe et le retour à de plus en plus de références religieuses, notamment aux sources chrétiennes?
Tout d’abord, le populisme qui triomphe aujourd’hui en Europe est un populisme que je qualifie de patrimonial. Le patrimoine en question possède deux dimensions : une dimension matérielle, c’est-à-dire des groupes sociaux qui considèrent que leurs intérêts sont remis en cause par la mondialisation, la globalisation. Par exemple, les classes populaires qui constatent que leur pouvoir d’achat stagne ou recule.
Et puis, il y a la dimension du patrimoine immatériel, dans lequel on trouve les traditions, les habitudes, les paysages architecturaux que l’on veut préserver, accompagné d’un malaise identitaire des Européens qui comprennent soudainement qu’ils sont en train de changer profondément de société. Ces changements, ils ne les ont pas vu venir, et les politiques ne les leur ont pas expliqués.
Ils se réveillent soudainement avec la peur de se retrouver, dans quelques années, dans une société radicalement différente. Dans cette société familière qui est train de disparaître, il y a la religion chrétienne. Ce qui est paradoxal, c’est que ce sont les mêmes qui ne vont plus à la messe qui regrettent le déclin de la religion chrétienne en Europe.
Le désengagement que l’on constate un peu partout en Europe en ce qui concerne la religion chrétienne, avec parallèlement une recomposition ethnoculturelle due à l’immigration qui fait émerger une autre religion, l’islam, fait réapparaître la question religieuse. "Que sommes-nous devenus ?", se demande-t-on en Europe. Plus précisément, l'on se dit : "La religion n’a pas disparu, c’est notre religion qui décline." Cela nourrit, plutôt qu’un enrichissement culturel, l’idée d’un conflit ethnoculturel que l’on retrouve dans tous les populismes. Et un certain retour du religieux.
Comment qualifiez-vous ce retour au référent religieux?
Il s’agit d’abord et avant tout d’un retour à la religion comme patrimoine, et pas comme une spiritualité. Cela concerne des objets concrets, comme les églises. C’est d’ailleurs une question européenne importante qui consiste à savoir ce que nous allons faire de tous ces bâtiments, qui sont pour la plupart vides. Sommes-nous prêts à dépenser beaucoup d’argent pour les entretenir, ou acceptons-nous de les voir transformés en autre chose (supermarchés, librairie)?
Cette vision d’un patrimoine religieux matériel va être une question lancinante et permanente des prochaines années, car nous allons observer, village par village, quartier par quartier, le déclin de ce patrimoine architectural. C’est en quelque sorte la preuve matérielle du déclin de la religion en Europe.
D’autre part, je crois que l’on s’attache à ce côté matériel parce que le côté spirituel paraît trop hors de portée. Les Européens se sont trop profondément convertis au matérialisme, au confort de cette vie consumériste, et ils ne se sentent pas suffisamment forts ou concernés pour revenir à l’exigence spirituelle de la religion. La religion semble trop contraignante, trop en porte-à-faux par rapport à la société consumériste dans laquelle l’Europe a triomphé. C’est pour cette raison que le patrimoine religieux matériel possède une telle importance.
Y a-t-il des différences entre les populismes, certains font-ils plus référence à la religion que d’autres?
Le populisme qui intègre la religion est un populisme de droite, très clairement, c’est d’ailleurs le populisme qui marche le mieux. Il existe une sorte de tension, car certains populismes de droite ont quitté la référence religieuse au profit de la laïcité, comme la France ou les Pays-Bas. D’autres populismes de droite par contre investissent dans le référent religieux, comme en Autriche ou en Suisse.
Mais il s’agit d’une religion rituelle, presque sans spiritualité. Je crois que ces partis populistes de droite ont compris que s’ils ne parlent pas de ce malaise religieux, ils perdent une ressource politique majeure. Mais cela ne peut se faire avec un bénéfice que si c’est un religieux non spirituel, c’est-à-dire un religieux traditionnel et rituel. Parce que si l’on propose un religieux spirituel, cela n’a aucun succès.
On le constate en France avec Christine Boutin par exemple, car cela heurte le choix des Européens d’une existence consumériste. C’est un positionnement très cynique, très pragmatique de la part de ces partis, qui disent en substance : "Vous n’avez pas besoin d’aller à la messe pour que la religion soit défendue comme institution patrimoniale." Ils jouent sur une angoisse identitaire, entre le déclin d’une religion et la montée d’une autre, l’islam, sans demander de revenir à la religion, parce que cela n’aurait aucun succès.
Ce retour au religieux se fait-il en réaction à la montée de la religion musulmane en Europe?
L’islam accélère et cristallise. Mais il existe des causes plus profondes. Premièrement, la situation démographique de l’Europe. Nous sommes sur un continent très âgé, qui ne sera plus jamais jeune. Dès 2015, il y aura en Europe plus de décès que de naissance. Et donc un nouveau rapport au monde, ne serait-ce parce que les gens âgés vivent différemment les changements en cours et à venir.
Deuxièmement, le monde est en train de changer profondément. L’Europe n’est plus le cœur battant de l’Occident, et l’Occident n’est plus le centre du monde. Troisièmement, il y a toutes les questions qui sont liées aux limites naturelles à notre expansion, qu’elle soit technique ou économique, et le problème écologique.
En d’autres termes, il y a le sentiment que peut être remis en cause tout le modèle matérialiste sur lequel nous avons construit des sociétés heureuses et prospères. Tout cela représente des facteurs indépendants de la montée de l’islam. Le retour au référent religieux existerait donc de toute façon, mais l’islam l’accélère et touche encore plus les sociétés européennes.
Pour aller plus loin
Dominique Reynié, Populismes, la pente fatale, Plon, 280 p., 19,50 €.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/le-populisme-une-religion-rituelle-sans-spiritualite-21-04-2011-1460_118.php