Parcourir la Bible, avec cartes et balises
Il ne faut pas se laisser impressionner par les 1250 pages de l’ouvrage. On entre dans le texte comme dans une histoire romancée dont la séduction et la résolution d’innombrables énigmes tiennent le lecteur éveillé. La couverture invite au « voyage de la Genèse à l’Apocalypse ». Globalement la promesse est tenue, le vaisseau choisi tient la mer, y compris par temps fort.
La nef en question prend la forme d’un dialogue entre une jeune femme, Lucile, et son oncle, exégète qu’elle nomme « son scribe préféré ». Ensemble ils choisissent de sillonner la Bible (chrétienne) de la première à la dernière phrase et d’en discuter, parfois vivement, toujours sérieusement. Cette navigation commune connaît parfois le souffle heureux qu’apporte la poésie des textes (quelle belle traversée du Cantiques des Cantiques !) mais aussi les écueils des contradictions croisées, la tempête des versets scandaleux, sans oublier quelques traversées obscures comme, par exemple, la lecture du Lévitique (« A quoi servent toutes ces lois quand le temple n’est plus ? »). Ce voyage en eau profonde dure trois ans, durée dans laquelle s’inscrit le dialogue. Sa lecture, qu’on se rassure, prend nettement moins de temps.
Le capitaine de l’aventure est Jean-Marie Beaude, spécialiste reconnu du judaïsme et du christianisme anciens qu’il a enseigné notamment à l’université de Metz. On saisit au fil des pages sa vaste érudition qu’il égrène comme des balises tout au long des textes parcourus. Elles jalonnent l’avancée dans les versets comme autant de bouées qui empêchent la noyade du lecteur dans l’incompréhension. La lecture de la Bible n’est simple ! Mais si la navigation tient le cap, c’est aussi parce que celui qui mène la barque est également romancier, auteur d’une trentaine d’ouvrages pour la jeunesse, et un grand voyageur devant l’éternel. Son talent, par le style limpide et vif et par les évocations souvent contemporaines, permet au lecteur de suivre l’équipage sans se lasser et de se reconnaître souvent en une Lucile qui questionne et confronte le texte à son monde, tout comme le ferait n’importe quel lecteur anonyme du XXIe siècle.
Le dialogue n’est jamais condescendant entre celle qui interrogerait et celui qui saurait. Le pilote a juste les cartes géographiques et historiques en mains et fait régulièrement appel aux phares que sont Philon d’Alexandrie, le juif, Origène, le chrétien, les rabbis du Talmud et bien d’autres : exégètes, écrivains et artistes de tous temps. Bien sûr, on pourrait discuter ici ou là de quelques balises, comme à propos des cornes de Moïse, par exemple, que l’auteur renvoie à une erreur de traduction latine quand on a envie de croire avec Thomas Römer que ces cornes ne sont pas fortuites et qu’elles ont leur pleine signification.
Nous sommes nombreux à avoir ressenti le désir, un jour, de lire la Bible de bout en bout, au risque de s’y perdre. Avec cet ouvrage aussi magistral que didactique, une telle aventure non seulement devient accessible mais qui plus est séduisante, même au prix d’une véritable réflexion et aventure personnelle. Et l’écueil n’effraie plus quand on le perçoit comme une occasion de rebondir, de creuser plus profond pour en trouver le sens.
Benoit de Sagazan
- See more at: http://www.mondedelabible.com/bible-lucile/#sthash.8J1Raiq4.dpuf