Les jeunes et la musique: quels dangers auditifs ?
Mots clés : audition, adolescents, Presbyacousie, surdité, Avis d'expert
Par figaro iconBruno Frachet - le 13/10/2015
AVIS D'EXPERTS - Le professeur Bruno Frachet, président d'Agir pour l'audition et le docteur Waël Khazen, chef de projet de recherche clinique à l'hôpital Rotschild, alertent sur les dangers sur l'audition de l'écoute massive de la musique , notamment à l'aide de casque.
L'audition de demain, c'est celle des seniors des années 2050. Dans ce futur proche pour eux, les 18-25 ans d'aujourd'hui seront devenus les seniors de demain. La science aura fait des progrès immenses, ce sera sans doute la correction médicale des mauvais gènes, mais ces seniors de demain entendront-ils mieux que leurs aînés? Malheureusement, les dernières études dont nous disposons et notre expérience - expérience clinique et expérience de terrain des tournées de l'association Agir pour l'audition - nous poussent à en douter. Les 18-25 ans d'aujourd'hui courent un risque qu'on ne doit pas minimiser: celui d'être la première «génération sacrifiée», ayant perdu une partie de son audition sur l'autel de la musique.
De nombreuses études ont, ces dernières années, confirmé ce que le bon sens suggère: les habitudes d'écoute musicale à risque des jeunes créent des traumatismes auditifs dont les effets à court terme sont d'ores et déjà sensibles (acouphènes, hyperacousie…), et qui laissent présager des effets à long terme plus graves que la simple presbyacousie «naturelle», la baisse d'audition à partir de 65 ans. Concerts et sorties trop riches en décibels, écoute au casque à un volume trop élevé, sur des périodes trop longues… Selon l'OMS, en 2015, 1,1 milliard de jeunes dans le monde risqueraient une déficience auditive liée à l'exposition à la musique. Et, bien plus près de nous, ce printemps, Agir pour l'audition a testé l'audition de 1 618 jeunes de 17-28 ans en universités parisiennes. Le résultat: sept sur dix avaient ou avaient eu des acouphènes mais la plupart d'entre eux n'avaient rien fait, ignorant cet avertissement et les effets potentiels à long terme, pensant que «ça allait passer».
Comportements à risque
Pourquoi ces nouveaux comportements à risque? Le délicat arbitrage plaisir-danger est une constante de la jeunesse, qu'il s'agisse du rock, de la cigarette, de la moto… Et le Walkman a été commercialisé dès 1979. La différence vient peut-être bien de l'omniprésence du son digital. Le «cool factor» du casque (le rappeur Dr. Dre a fait fortune en vendant à Apple sa marque de casques), le niveau sonore contrôlé uniquement par l'auditeur, la facilité à avoir une musique «partout, tout le temps» en streaming augmentent à la fois le volume et la durée d'exposition. Les volumes d'écoute au casque flirtent souvent avec les seuils de danger - 90 à 100 dB (c'est plus qu'un marteau-piqueur!) -, les temps d'exposition s'étirent à l'infini (on s'endort souvent «au casque» ). C'est cette combinaison durée-intensité qui détruit irréversiblement les cellules ciliées - cellules de l'oreille interne, qui convertissent les vibrations sonores en impulsions électriques traitées par le cerveau.
La durée prolongée d'écoute fatigue l'oreille en épuisant les réserves énergétiques des cellules. Il faut les reposer dans le silence, éviter les «after» prolongeant la fête sonore. Plus violent est le traumatisme sonore, véritable fracture des cils de la cochlée… Et rien ne se répare dans l'oreille, en tout cas pas de nos jours - espérons que cela change dans l'avenir à moyen terme.
Il est temps d'agir pour l'audition
Comme pour l'exposition au soleil - qui a elle aussi produit une génération sacrifiée dans les années 1970, les années «graisse à traire» -, s'exposer trop longtemps, aux heures trop intenses, sans protection, sous les tropiques, poussé par la pression sociale et le «cool», c'est prendre un risque majeur.
Toutes ces données montrent l'urgence croissante du problème, paradoxalement peut-être plus grande chez les jeunes que chez les seniors: si le taux d'appareillage des seniors, encore insuffisant, a progressé depuis une décennie, aidant à contrôler les dommages cognitifs de la presbyacousie, en revanche, les pratiques d'écoute des jeunes ont empiré. L'audition de la population française de demain s'altère dès ce soir dans un concert, dès ce matin dans le métro. Et il est si facile de se protéger pour éviter la galère des acouphènes et la mauvaise compréhension en groupe et dans le bruit.
Il est temps d'agir pour l'audition: dépister, sensibiliser par des campagnes de «marketing d'idées» auprès des jeunes - comme l'on fait avec foi et efficacité les courants écologistes et altermondialistes -, agir avec les leaders d'opinion qu'ils respectent. Un combat comparable et encore plus difficile, celui du tabagisme passif, est en train d'être gagné ; il nous faut en faire autant pour l'audition. Ne laissons pas les jeunes perdre aujourd'hui leurs plaisirs auditifs de demain. «De la disparition du passé, on se console facilement ; c'est de la disparition de l'avenir qu'on ne se remet pas» (Amin Maalouf).
Mots clés : audition, adolescents, Presbyacousie, surdité, Avis d'expert
Par figaro iconBruno Frachet - le 13/10/2015
AVIS D'EXPERTS - Le professeur Bruno Frachet, président d'Agir pour l'audition et le docteur Waël Khazen, chef de projet de recherche clinique à l'hôpital Rotschild, alertent sur les dangers sur l'audition de l'écoute massive de la musique , notamment à l'aide de casque.
L'audition de demain, c'est celle des seniors des années 2050. Dans ce futur proche pour eux, les 18-25 ans d'aujourd'hui seront devenus les seniors de demain. La science aura fait des progrès immenses, ce sera sans doute la correction médicale des mauvais gènes, mais ces seniors de demain entendront-ils mieux que leurs aînés? Malheureusement, les dernières études dont nous disposons et notre expérience - expérience clinique et expérience de terrain des tournées de l'association Agir pour l'audition - nous poussent à en douter. Les 18-25 ans d'aujourd'hui courent un risque qu'on ne doit pas minimiser: celui d'être la première «génération sacrifiée», ayant perdu une partie de son audition sur l'autel de la musique.
De nombreuses études ont, ces dernières années, confirmé ce que le bon sens suggère: les habitudes d'écoute musicale à risque des jeunes créent des traumatismes auditifs dont les effets à court terme sont d'ores et déjà sensibles (acouphènes, hyperacousie…), et qui laissent présager des effets à long terme plus graves que la simple presbyacousie «naturelle», la baisse d'audition à partir de 65 ans. Concerts et sorties trop riches en décibels, écoute au casque à un volume trop élevé, sur des périodes trop longues… Selon l'OMS, en 2015, 1,1 milliard de jeunes dans le monde risqueraient une déficience auditive liée à l'exposition à la musique. Et, bien plus près de nous, ce printemps, Agir pour l'audition a testé l'audition de 1 618 jeunes de 17-28 ans en universités parisiennes. Le résultat: sept sur dix avaient ou avaient eu des acouphènes mais la plupart d'entre eux n'avaient rien fait, ignorant cet avertissement et les effets potentiels à long terme, pensant que «ça allait passer».
Comportements à risque
Pourquoi ces nouveaux comportements à risque? Le délicat arbitrage plaisir-danger est une constante de la jeunesse, qu'il s'agisse du rock, de la cigarette, de la moto… Et le Walkman a été commercialisé dès 1979. La différence vient peut-être bien de l'omniprésence du son digital. Le «cool factor» du casque (le rappeur Dr. Dre a fait fortune en vendant à Apple sa marque de casques), le niveau sonore contrôlé uniquement par l'auditeur, la facilité à avoir une musique «partout, tout le temps» en streaming augmentent à la fois le volume et la durée d'exposition. Les volumes d'écoute au casque flirtent souvent avec les seuils de danger - 90 à 100 dB (c'est plus qu'un marteau-piqueur!) -, les temps d'exposition s'étirent à l'infini (on s'endort souvent «au casque» ). C'est cette combinaison durée-intensité qui détruit irréversiblement les cellules ciliées - cellules de l'oreille interne, qui convertissent les vibrations sonores en impulsions électriques traitées par le cerveau.
La durée prolongée d'écoute fatigue l'oreille en épuisant les réserves énergétiques des cellules. Il faut les reposer dans le silence, éviter les «after» prolongeant la fête sonore. Plus violent est le traumatisme sonore, véritable fracture des cils de la cochlée… Et rien ne se répare dans l'oreille, en tout cas pas de nos jours - espérons que cela change dans l'avenir à moyen terme.
Il est temps d'agir pour l'audition
Comme pour l'exposition au soleil - qui a elle aussi produit une génération sacrifiée dans les années 1970, les années «graisse à traire» -, s'exposer trop longtemps, aux heures trop intenses, sans protection, sous les tropiques, poussé par la pression sociale et le «cool», c'est prendre un risque majeur.
Toutes ces données montrent l'urgence croissante du problème, paradoxalement peut-être plus grande chez les jeunes que chez les seniors: si le taux d'appareillage des seniors, encore insuffisant, a progressé depuis une décennie, aidant à contrôler les dommages cognitifs de la presbyacousie, en revanche, les pratiques d'écoute des jeunes ont empiré. L'audition de la population française de demain s'altère dès ce soir dans un concert, dès ce matin dans le métro. Et il est si facile de se protéger pour éviter la galère des acouphènes et la mauvaise compréhension en groupe et dans le bruit.
Il est temps d'agir pour l'audition: dépister, sensibiliser par des campagnes de «marketing d'idées» auprès des jeunes - comme l'on fait avec foi et efficacité les courants écologistes et altermondialistes -, agir avec les leaders d'opinion qu'ils respectent. Un combat comparable et encore plus difficile, celui du tabagisme passif, est en train d'être gagné ; il nous faut en faire autant pour l'audition. Ne laissons pas les jeunes perdre aujourd'hui leurs plaisirs auditifs de demain. «De la disparition du passé, on se console facilement ; c'est de la disparition de l'avenir qu'on ne se remet pas» (Amin Maalouf).