Sale temps pour les menteurs
JÉRÔME ANCIBERRO
CRÉÉ LE 14/10/2015 / MODIFIÉ LE 15/10/2015 À 09H37
Dans tous les domaines : politique, sport, industrie, religion... les salades ne font plus recette. Retour sur quelques scandales qui ont défrayé la chronique.
« Tu ne feras pas de faux témoignage. » Inutile de tergiverser : non, le huitième commandement ne concerne pas que les affaires de police. Il traite bien du mensonge en général. Vous pouvez vérifier dans votre catéchisme... De Platon aux fact checkers (« vérificateurs de faits ») du Web 3.0, en passant par saint Augustin, Kant ou les moralistes contemporains les plus échevelés, la question du mensonge demeure l'une des moins controversées qui soient. Tout le monde est à peu près d'accord : mentir, c'est mal. Les exceptions qu'on relève ici ou là - notre préférée étant l'immortelle « Il ne faut pas désespérer Billancourt », de Jean-Paul Sartre - relèvent, tout bien pesé, de l'hommage du vice à la vertu : on ne consent à mentir que pour mieux servir la vérité.
Le rythme trépidant avec lequel, ces derniers temps, les mensonges publics les plus énormes sont dévoilés – compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, moteurs polluants de Volkswagen... – devrait donc au fond nous rassurer sur l'état d'un monde qu'on a tendance à nous présenter comme de plus en plus chaotique. On connaît la citation, attribuée à Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. » Avec le développement phénoménal des technologies numériques et la puissance des réseaux sociaux, tout se passe comme si ces distinctions avaient perdu de leur pertinence. En des temps record, une information réservée à quelques privilégiés peut désormais être diffusée de manière virale, analysée et commentée sans qu'il soit possible techniquement de stopper la vague. La CIA et la NSA sont encore sonnées par l'affaire Snowden, dont les révélations sur l'entreprise de surveillance généralisée du public par les services secrets américains ont déclenché une prise de conscience planétaire.
Le secret existe donc encore, mais tout se passe comme s'il était destiné à mourir de plus en plus vite. Si les quelques exemples contemporains rassemblés ici par la rédaction de La Vie ne relèvent pas tous de ce fascinant mouvement de dévoilement accéléré de la vérité, ils montrent tous que les menteurs ont décidément la vie de moins en moins facile, que ce soit pour dissimuler leurs mensonges, ou pour en assumer les suites une fois qu'ils sont révélés. Gérer l'après-mensonge pourrait bien devenir un vrai problème de société dans les années qui viennent. Avis aux psychologues, spécialistes en gestion de crise et autres consultants...
Est-ce à dire que les jours du mensonge sont comptés ? Loin de nous cette idée. Il a encore l'avenir devant lui. « La condamnation morale du mensonge empêche d'en apprécier la complexité », assure, taquin, le philosophe François Noudelmann dans son dernier livre où il étudie le phénomène de ces penseurs qui ont vécu le contraire des théories qu'ils professaient (le Génie du mensonge, Max Milo). Et de nous rappeler que les mensonges les plus fréquents sont aussi ceux que nous nous faisons à nous-mêmes...
Et si jamais l'idée de vivre dans un monde de plus en plus transparent où la vérité nue s'imposerait à tous nous inquiétait encore, une observation attentive de notre environnement devrait nous tranquilliser. Comme le fait remarquer un autre philosophe, l'Américain Harry G. Frankfurt, dans ce monde surinformé, la question qui se pose n'est peut-être plus tant celle du mensonge que celle du bullshit, mot que l'on traduira selon ses goûts par « baratin » ou « conneries ». Qu'on se le dise : « les conneries sont peut-être un plus grand ennemi de la vérité que ne le sont les mensonges » (De l'art de dire des conneries, 10-18).
JÉRÔME ANCIBERRO
CRÉÉ LE 14/10/2015 / MODIFIÉ LE 15/10/2015 À 09H37
Dans tous les domaines : politique, sport, industrie, religion... les salades ne font plus recette. Retour sur quelques scandales qui ont défrayé la chronique.
« Tu ne feras pas de faux témoignage. » Inutile de tergiverser : non, le huitième commandement ne concerne pas que les affaires de police. Il traite bien du mensonge en général. Vous pouvez vérifier dans votre catéchisme... De Platon aux fact checkers (« vérificateurs de faits ») du Web 3.0, en passant par saint Augustin, Kant ou les moralistes contemporains les plus échevelés, la question du mensonge demeure l'une des moins controversées qui soient. Tout le monde est à peu près d'accord : mentir, c'est mal. Les exceptions qu'on relève ici ou là - notre préférée étant l'immortelle « Il ne faut pas désespérer Billancourt », de Jean-Paul Sartre - relèvent, tout bien pesé, de l'hommage du vice à la vertu : on ne consent à mentir que pour mieux servir la vérité.
Le rythme trépidant avec lequel, ces derniers temps, les mensonges publics les plus énormes sont dévoilés – compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, moteurs polluants de Volkswagen... – devrait donc au fond nous rassurer sur l'état d'un monde qu'on a tendance à nous présenter comme de plus en plus chaotique. On connaît la citation, attribuée à Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. » Avec le développement phénoménal des technologies numériques et la puissance des réseaux sociaux, tout se passe comme si ces distinctions avaient perdu de leur pertinence. En des temps record, une information réservée à quelques privilégiés peut désormais être diffusée de manière virale, analysée et commentée sans qu'il soit possible techniquement de stopper la vague. La CIA et la NSA sont encore sonnées par l'affaire Snowden, dont les révélations sur l'entreprise de surveillance généralisée du public par les services secrets américains ont déclenché une prise de conscience planétaire.
Le secret existe donc encore, mais tout se passe comme s'il était destiné à mourir de plus en plus vite. Si les quelques exemples contemporains rassemblés ici par la rédaction de La Vie ne relèvent pas tous de ce fascinant mouvement de dévoilement accéléré de la vérité, ils montrent tous que les menteurs ont décidément la vie de moins en moins facile, que ce soit pour dissimuler leurs mensonges, ou pour en assumer les suites une fois qu'ils sont révélés. Gérer l'après-mensonge pourrait bien devenir un vrai problème de société dans les années qui viennent. Avis aux psychologues, spécialistes en gestion de crise et autres consultants...
Est-ce à dire que les jours du mensonge sont comptés ? Loin de nous cette idée. Il a encore l'avenir devant lui. « La condamnation morale du mensonge empêche d'en apprécier la complexité », assure, taquin, le philosophe François Noudelmann dans son dernier livre où il étudie le phénomène de ces penseurs qui ont vécu le contraire des théories qu'ils professaient (le Génie du mensonge, Max Milo). Et de nous rappeler que les mensonges les plus fréquents sont aussi ceux que nous nous faisons à nous-mêmes...
Et si jamais l'idée de vivre dans un monde de plus en plus transparent où la vérité nue s'imposerait à tous nous inquiétait encore, une observation attentive de notre environnement devrait nous tranquilliser. Comme le fait remarquer un autre philosophe, l'Américain Harry G. Frankfurt, dans ce monde surinformé, la question qui se pose n'est peut-être plus tant celle du mensonge que celle du bullshit, mot que l'on traduira selon ses goûts par « baratin » ou « conneries ». Qu'on se le dise : « les conneries sont peut-être un plus grand ennemi de la vérité que ne le sont les mensonges » (De l'art de dire des conneries, 10-18).