SCIENCES
Terre est-elle en train de perdre le nord?
Par Bertrand Beauté | Mis à jour à 12:00
Le champ magnétique terrestre s’affaiblit. Son inversion pourrait avoir des conséquences fâcheuses.
(Photo: G.Laplace7B.Beauté/Reuters/LeFigaro)Et si demain nos boussoles ne donnaient plus la bonne direction. Que leurs fines aiguilles pointent vers le sud plutôt que le nord ou, pire, qu’elles n’indiquent aucun sens. L’assertion a de quoi faire sourire, tant les explorateurs sont habitués à se fier au frêle cadran pour trouver leur chemin. Mais scientifiquement, cela n’a rien d’impossible.
En effet, la pointe aimantée des boussoles s’oriente en suivant les lignes du champ magnétique terrestre. Mais depuis l’époque des Romains – il y a trois mille ans – son intensité a diminué de près de 30%. Selon les premières observations des satellites Swarm, publiées par l’Agence spatiale européenne en juin dernier, la baisse actuelle s’élève à 5% par siècle. Résultat: certains se demandent si la magnétosphère ne va pas bientôt s’annuler ou s’inverser. «Si la chute d’intensité se poursuit au rythme actuel et qu’il n’y a pas de rebond, le champ pourrait s’effondrer d’ici cinq cents à mille ans», explique Nicolas Thouveny, directeur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE) et professeur à l’Université Aix-Marseille.
Mutations génétiques
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce phénomène – baptisé inversion de polarité – s’est déjà produit à maintes reprises au cours de l’histoire de notre planète. «Le champ s’annule, puis il regagne en intensité dans le sens inverse, résume Nicolas Thouveny. Le pôle Nord magnétique se retrouve alors au pôle Sud géographique et vice et versa.» La dernière inversion est survenue il y a 780 000 ans. «Mais parfois, le retournement peut avorter, poursuit Jean-Pierre Valet, de l’Institut du globe de Paris. On parle alors d’excursion. L’intensité du champ s’effondre, puis remonte dans sa direction initiale.»
Excursion ou inversion, l’événement ne serait pas sans conséquence pour l’humanité: «La magnétosphère protège la Terre contre les particules cosmiques, notamment celles émises par le Soleil, explique Nicolas Thouveny. Sa disparition perturberait les systèmes d’informations (satellites et terrestres), qui supportent mal les bombardements cosmiques. Au niveau biologique, on peut imaginer qu’il y aurait une augmentation du nombre de mutations génétiques.» Le géophysicien Jean-Pierre Valet émet ainsi l’hypothèse que la dernière excursion, survenue il y a 41 000 ans, serait responsable de la disparition de l’homme de Néandertal.
Dynamo artificielle
Afin de comprendre les variations de la magnétosphère, les scientifiques tentent de savoir comment la Terre produit cette barrière protectrice. «Dès 1919, le physicien Joseph Larmor émet l’hypothèse que des écoulements de liquides conducteurs pouvaient générer un champ magnétique, raconte François Pétrélis, physicien à l’Ecole normale supérieure. Comme la Terre possède un noyau liquide, l’idée que la source de son magnétisme vient de là s’est peu à peu imposée.»
Mais il fallut plus d’un siècle pour démontrer expérimentalement la validité de ce modèle. «Durant tout le XXe siècle, nous ne disposions pas du matériel adéquat pour éprouver le modèle de Larmor, poursuit François Pétrélis. Ce n’est qu’en 2001 que des équipes basées à Riga (Lettonie) et Karlsruhe (Allemagne) sont parvenues à relever le défi. Mais leur expérience était basée sur l’écoulement d’un liquide dans un tuyau, peu représentatif de ce qu’il se passe à l’intérieur de la Terre.»
Finalement, en 2006, des chercheurs du CEA-Saclay et des Ecoles normales supérieures de Lyon et Paris parviennent à recréer cet effet en laboratoire. «Il s’agit d’un cylindre à l’intérieur duquel un fluide conducteur de sodium liquide est emprisonné. Aux extrémités, deux rotors produisent des turbulences, à l’image de l’hélice d’un bateau dans l’eau, détaille François Pétrélis. Cette expérience a montré que, dans ces conditions, un champ magnétique apparaît spontanément, c’est l’effet dynamo. Par ailleurs, nous avons constaté que si les hélices ne tournent pas à la même vitesse, elles créent des perturbations dans le liquide et le champ s’inverse. A la surprise générale, ces renversements ressemblent étonnamment à ce qui est connu pour le champ magnétique terrestre.»
Des perturbations de l’écoulement dans le noyau de la Terre seraient donc à l’origine des inversions de polarité. Mais comment prévoir quand se produira la prochaine? Pour le savoir, les scientifiques étudient l’histoire de ces phénomènes. Comment? Grâce à l’analyse des sédiments et de la lave. «L’érosion des roches des continents détache de la magnétite, une espèce minérale principalement composée de fer. Ce composé se comporte comme une miniboussole. Il s’aligne sur le champ magnétique dominant. Lorsqu’il tombe au fond de la mer et qu’il est recouvert par d’autres dépôts, l’aiguille se bloque. En analysant des carottes de sédiments, il est donc possible de déterminer l’orientation du champ magnétique terrestre à un moment donné, explique Jean-Pierre Valet. Avec la lave, c’est un peu le même phénomène. En refroidissant, les roches volcaniques fixent un moment magnétique.»
Encore beaucoup d’inconnues
«Ces observations ont permis de retracer l’histoire des renversements sur plus de 200 millions d’années», poursuit Nicolas Thouveny. Première constatation: «La fréquence varie énormément. De quelques inversions par million d’années à aucune en 30 millions d’années. Elles semblent se produire de manière aléatoire, sans aucune forme de régularité.» Les excursions seraient plus fréquentes: une dizaine sur le dernier million d’années. Pour chaque événement, les chercheurs ont observé un comportement commun: l’intensité du champ baisse pendant 60 000 à 80 000 ans, puis s’annule avant d’augmenter rapidement.
«Le taux d’effondrement actuel se révèle très proche de ceux qui ont précédé les dernières inversions et excursions», poursuit Nicolas Thouveny. Est-ce à dire que la prochaine inversion est pour demain? «Personne ne le sait, répond Jean-Pierre Valet. A l’image de la météo nous ne pouvons faire de prévision à long terme. Peut-être que le champ va s’annuler. Peut-être qu’il y aura un rebond. C’est du 50-50.»
Terre est-elle en train de perdre le nord?
Par Bertrand Beauté | Mis à jour à 12:00
Le champ magnétique terrestre s’affaiblit. Son inversion pourrait avoir des conséquences fâcheuses.
(Photo: G.Laplace7B.Beauté/Reuters/LeFigaro)
En effet, la pointe aimantée des boussoles s’oriente en suivant les lignes du champ magnétique terrestre. Mais depuis l’époque des Romains – il y a trois mille ans – son intensité a diminué de près de 30%. Selon les premières observations des satellites Swarm, publiées par l’Agence spatiale européenne en juin dernier, la baisse actuelle s’élève à 5% par siècle. Résultat: certains se demandent si la magnétosphère ne va pas bientôt s’annuler ou s’inverser. «Si la chute d’intensité se poursuit au rythme actuel et qu’il n’y a pas de rebond, le champ pourrait s’effondrer d’ici cinq cents à mille ans», explique Nicolas Thouveny, directeur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE) et professeur à l’Université Aix-Marseille.
Mutations génétiques
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce phénomène – baptisé inversion de polarité – s’est déjà produit à maintes reprises au cours de l’histoire de notre planète. «Le champ s’annule, puis il regagne en intensité dans le sens inverse, résume Nicolas Thouveny. Le pôle Nord magnétique se retrouve alors au pôle Sud géographique et vice et versa.» La dernière inversion est survenue il y a 780 000 ans. «Mais parfois, le retournement peut avorter, poursuit Jean-Pierre Valet, de l’Institut du globe de Paris. On parle alors d’excursion. L’intensité du champ s’effondre, puis remonte dans sa direction initiale.»
Excursion ou inversion, l’événement ne serait pas sans conséquence pour l’humanité: «La magnétosphère protège la Terre contre les particules cosmiques, notamment celles émises par le Soleil, explique Nicolas Thouveny. Sa disparition perturberait les systèmes d’informations (satellites et terrestres), qui supportent mal les bombardements cosmiques. Au niveau biologique, on peut imaginer qu’il y aurait une augmentation du nombre de mutations génétiques.» Le géophysicien Jean-Pierre Valet émet ainsi l’hypothèse que la dernière excursion, survenue il y a 41 000 ans, serait responsable de la disparition de l’homme de Néandertal.
Dynamo artificielle
Afin de comprendre les variations de la magnétosphère, les scientifiques tentent de savoir comment la Terre produit cette barrière protectrice. «Dès 1919, le physicien Joseph Larmor émet l’hypothèse que des écoulements de liquides conducteurs pouvaient générer un champ magnétique, raconte François Pétrélis, physicien à l’Ecole normale supérieure. Comme la Terre possède un noyau liquide, l’idée que la source de son magnétisme vient de là s’est peu à peu imposée.»
Mais il fallut plus d’un siècle pour démontrer expérimentalement la validité de ce modèle. «Durant tout le XXe siècle, nous ne disposions pas du matériel adéquat pour éprouver le modèle de Larmor, poursuit François Pétrélis. Ce n’est qu’en 2001 que des équipes basées à Riga (Lettonie) et Karlsruhe (Allemagne) sont parvenues à relever le défi. Mais leur expérience était basée sur l’écoulement d’un liquide dans un tuyau, peu représentatif de ce qu’il se passe à l’intérieur de la Terre.»
Finalement, en 2006, des chercheurs du CEA-Saclay et des Ecoles normales supérieures de Lyon et Paris parviennent à recréer cet effet en laboratoire. «Il s’agit d’un cylindre à l’intérieur duquel un fluide conducteur de sodium liquide est emprisonné. Aux extrémités, deux rotors produisent des turbulences, à l’image de l’hélice d’un bateau dans l’eau, détaille François Pétrélis. Cette expérience a montré que, dans ces conditions, un champ magnétique apparaît spontanément, c’est l’effet dynamo. Par ailleurs, nous avons constaté que si les hélices ne tournent pas à la même vitesse, elles créent des perturbations dans le liquide et le champ s’inverse. A la surprise générale, ces renversements ressemblent étonnamment à ce qui est connu pour le champ magnétique terrestre.»
Des perturbations de l’écoulement dans le noyau de la Terre seraient donc à l’origine des inversions de polarité. Mais comment prévoir quand se produira la prochaine? Pour le savoir, les scientifiques étudient l’histoire de ces phénomènes. Comment? Grâce à l’analyse des sédiments et de la lave. «L’érosion des roches des continents détache de la magnétite, une espèce minérale principalement composée de fer. Ce composé se comporte comme une miniboussole. Il s’aligne sur le champ magnétique dominant. Lorsqu’il tombe au fond de la mer et qu’il est recouvert par d’autres dépôts, l’aiguille se bloque. En analysant des carottes de sédiments, il est donc possible de déterminer l’orientation du champ magnétique terrestre à un moment donné, explique Jean-Pierre Valet. Avec la lave, c’est un peu le même phénomène. En refroidissant, les roches volcaniques fixent un moment magnétique.»
Encore beaucoup d’inconnues
«Ces observations ont permis de retracer l’histoire des renversements sur plus de 200 millions d’années», poursuit Nicolas Thouveny. Première constatation: «La fréquence varie énormément. De quelques inversions par million d’années à aucune en 30 millions d’années. Elles semblent se produire de manière aléatoire, sans aucune forme de régularité.» Les excursions seraient plus fréquentes: une dizaine sur le dernier million d’années. Pour chaque événement, les chercheurs ont observé un comportement commun: l’intensité du champ baisse pendant 60 000 à 80 000 ans, puis s’annule avant d’augmenter rapidement.
«Le taux d’effondrement actuel se révèle très proche de ceux qui ont précédé les dernières inversions et excursions», poursuit Nicolas Thouveny. Est-ce à dire que la prochaine inversion est pour demain? «Personne ne le sait, répond Jean-Pierre Valet. A l’image de la météo nous ne pouvons faire de prévision à long terme. Peut-être que le champ va s’annuler. Peut-être qu’il y aura un rebond. C’est du 50-50.»
(Tribune de Genève)