#Dieu en 140 caractères : les réseaux sociaux transforment les pratiques
Marc Bonomelli - publié le 19/09/2014
Twitter, Facebook, Instagram… Autant de nouveaux moyens d’expression des croyances confessionnelles auquels les autorités religieuses portent un grand intérêt. À commencer par le pape François lui-même.
À l’instar du pape François, dirigeant le plus retweeté de la planète, de plus en plus de fidèles et de chefs religieux engagent leur foi sur l’autoroute des réseaux sociaux. En mars dernier, aux États-Unis principalement, une myriade de jeunes et d’adultes, de prêtres et de religieuses postaient des selfies – autoportraits photographiques – sur lesquels il se montraient le front enduit de cendre en l’honneur du mercredi des Cendres, fête catholique amorçant le Carême. Ces publications, marquées du mot-clef #AshTag – « ash » signifiant « cendre » –, ont atteint 2400 tweets par heure et près de 14 millions de visites.
Bien sûr, le phénomène ne se borne pas aux seuls chrétiens. Twitter, Facebook, Google +, mais aussi Instagram, Vine et Pinterest, pour ne citer que les plus connus, sont un nouveau moyen d’expression des croyances religieuses, toutes confessions confondues. Pendant le mois de Ramadan, rapporte la BBC, les conversations de musulmans connectés à propos du jeûne sont légion – et ne se prennent d’ailleurs pas toujours au sérieux.
Les autorités religieuses, loin d’appeler au boycott des technologies sociales, voient souvent d’un bon œil ces nouvelles pratiques. Dans son message pour la 47e Journée mondiale des communications sociales, le pape émérite Benoît XVI invitait les fidèles à témoigner authentiquement de leur foi sur les réseaux numériques, vus alors comme de nouveaux espaces d’évangélisation et de partage de l’expérience religieuse.
Une vision à tendance prosélyte tout à fait compatible avec les enseignements des autres obédiences monothéistes. Nombre de musulmans véhiculent les paroles du Prophète, via des pages Facebook ou des profils Twitter. L’auteur du compte Ramadan Mubarak, qui a préféré garder l’anonymat, cite le Coran pour justifier cette activité : « Et rappelle, car le rappel profite aux croyants (s. 51, v. 55 ici.). »
Quant à Marty, jeune juive d’origine israélienne vivant à Palerme, elle publie régulièrement, sur Facebook et Instagram, des photographies de cérémonies, des chansons religieuses, ainsi que des prières de sa composition. « Je suis très croyante, confie-t-elle, et je veux partager avec les autres cette identité, dire à quel point c’est beau. »
Frilosités
Néanmoins, beaucoup de croyants montrent des réticences à exposer leur appartenance religieuse sur Internet. Les critiques classiques faites aux réseaux sociaux – à savoir le fait qu’ils favorisent l’étalage de la vie privée et la mise en scène de soi – ont la vie dure.
Frédéric a 37 ans. En 2013, il a manifesté son appartenance à la religion catholique lors du débat sur le mariage pour tous, en créant le hashtag #CatholiquesPour. Néanmoins, autant, il n’est pas partisan de l’affichage religieux sur les réseaux : « Je veux que ma foi s’incarne dans mes actes de tous les jours, par la charité, la compassion, l’intérêt à l’autre. Je suis catholique et pratiquant, mais je refuse que cela devienne un étendard, une définition, une porte d’entrée sur moi. Ma foi n’est pas identitaire. »
Une étude de l’université de Graz (Autriche) indique par ailleurs que si 69% des catholiques « aiment » ou adhèrent à des groupes ou pages à caractère religieux sur Facebook, deux tiers d’entre eux sont — comme Frédéric — inactifs.
Côté musulman, on met aussi en garde contre d’éventuels abus d’ostentation. Saïd Branine, président de Oumma.com, site de débat et d’information musulman de référence, rappelle qu’un aspect majeur de l’islam est la lutte contre l’ego. C’est pourquoi les réseaux sociaux utilisés par le fidèle à des fins narcissiques seraient incompatibles avec le Coran. Cyrille, jeune converti postant anonymement des messages à caractère religieux sur Twitter, fustige les dérives : « Les personnes qui tweetent “Bon allez je vais prier” , “Direction la Mosquée”, “Hier j'ai donné 20 euros à une association”, tout ce qui est ostentatoire pour moi ne devrait pas être dit. Ça reste entre le croyant et Dieu. »
Construction identitaire
De fait, les questions d’identité sont indissociables de ces nouvelles pratiques. Auteure de Dieu en Ligne (Bayard, 2013), la sociologue Isabelle Jonveaux affirme que les réseaux sociaux peuvent renforcer le sentiment d’appartenance religieuse, tout en le rendant plus visible. Tweets et statuts partagés, photos de profils, liens postés, pages et groupes auxquels on adhère sont autant de pierres apportées à l’édifice de son identité en ligne. En somme, un moyen de marquer son affiliation à une communauté.
En outre, la chercheuse remarque que, dans un pays laïc tel que la France, où l’affichage religieux n’est pas en odeur de sainteté, « Internet peut alors devenir le lieu d’une visibilité religieuse plus discrète, car il ne se trouve pas directement dans l’espace public ». Une visibilité paradoxalement plus étendue, car les messages partagés s’adressent généralement à un public plus large que lors d’une conversation hors ligne.
« Globalement, les chercheurs ont montré que les groupes religieux minoritaires, y compris à l’intérieur des grandes religions, sont beaucoup plus dynamiques dans l’utilisation des réseaux sociaux et dans le fait de montrer leur appartenance, pour une visibilité qu’ils n’ont pas forcément dans la réalité », poursuit Isabelle Jonveaux. Et de constater que durant les manifestations autour du mariage pour tous en 2013, les musulmans opposés à la loi se manifestaient largement en ligne, quand les catholiques étaient majoritaires dans la rue.
Connexion h24 avec Dieu
Citée par le Deseret News, Heidi Campbell, professeure de communication à l’université de Texas A&M, est persuadée que les médias sociaux sont en train de transformer radicalement la face de la religion. Où se situe cette révolution ? « Ces nouveaux médias permettent d’avoir une expérience religieuse 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et non plus exclusivement le week-end », explique l’Américaine.
Les experts du Network for New Media, Religion and Digital Culture abondent en ce sens : si, pour certains croyants, il n’est question que d’extension des pratiques religieuses non numériques, d’autres au contraire embrassent la spiritualité en ligne au détriment des pratiques classiques.
Geoff Bradford, pasteur dans la ville américaine de Raleigh (Caroline du Nord) – dont l’Eglise compte 13 pages Facebook, 9 comptes Twitter et 3 pages Instagram – s’inquiète de cette tendance. Selon lui, cela revient à dématérialiser l’Église et ses espaces sacrés. Il appelle notamment les fidèles à se rassembler après la messe le dimanche au lieu de poster des photos du culte. « C’est un autre niveau d’engagement », ajoute t-il.
Foi créative
Pourtant, les réseaux sociaux ne riment pas nécessairement avec une foi moins intense. De nombreux profils témoignent d’un réel engagement religieux sur la toile. C’est le cas de Joshua7, un disciple de Jésus — follower of Jesus Christ. Il croit, sans le biais d’un dogme, dans les enseignements du Christ et reconnaît en Lui le fils de Dieu.
Cet Australien de 23 ans partage sur son compte Instagram – plate-forme populaire de partage de photos depuis un smartphone – de nombreux contenus religieux. Parfois jusqu’à cinq fois par jour, il entend faire preuve de créativité et investit du temps dans les prières, les photographies et images, les sermons des pasteurs de sa paroisse, et les passages des Écritures qu’il poste.
« Je le fais pour rendre hommage au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Mais beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux afin de remplir leurs vies avec les “like” et les compliments d’autres personnes », déclare-t-il. Une de ses grandes joies ? « Certaines personnes m’ont dit qu’ils avaient trouvé une nouvelle foi grâce à mes posts sur les médias sociaux. »
Marc Bonomelli - publié le 19/09/2014
Twitter, Facebook, Instagram… Autant de nouveaux moyens d’expression des croyances confessionnelles auquels les autorités religieuses portent un grand intérêt. À commencer par le pape François lui-même.
À l’instar du pape François, dirigeant le plus retweeté de la planète, de plus en plus de fidèles et de chefs religieux engagent leur foi sur l’autoroute des réseaux sociaux. En mars dernier, aux États-Unis principalement, une myriade de jeunes et d’adultes, de prêtres et de religieuses postaient des selfies – autoportraits photographiques – sur lesquels il se montraient le front enduit de cendre en l’honneur du mercredi des Cendres, fête catholique amorçant le Carême. Ces publications, marquées du mot-clef #AshTag – « ash » signifiant « cendre » –, ont atteint 2400 tweets par heure et près de 14 millions de visites.
Bien sûr, le phénomène ne se borne pas aux seuls chrétiens. Twitter, Facebook, Google +, mais aussi Instagram, Vine et Pinterest, pour ne citer que les plus connus, sont un nouveau moyen d’expression des croyances religieuses, toutes confessions confondues. Pendant le mois de Ramadan, rapporte la BBC, les conversations de musulmans connectés à propos du jeûne sont légion – et ne se prennent d’ailleurs pas toujours au sérieux.
Les autorités religieuses, loin d’appeler au boycott des technologies sociales, voient souvent d’un bon œil ces nouvelles pratiques. Dans son message pour la 47e Journée mondiale des communications sociales, le pape émérite Benoît XVI invitait les fidèles à témoigner authentiquement de leur foi sur les réseaux numériques, vus alors comme de nouveaux espaces d’évangélisation et de partage de l’expérience religieuse.
Une vision à tendance prosélyte tout à fait compatible avec les enseignements des autres obédiences monothéistes. Nombre de musulmans véhiculent les paroles du Prophète, via des pages Facebook ou des profils Twitter. L’auteur du compte Ramadan Mubarak, qui a préféré garder l’anonymat, cite le Coran pour justifier cette activité : « Et rappelle, car le rappel profite aux croyants (s. 51, v. 55 ici.). »
Quant à Marty, jeune juive d’origine israélienne vivant à Palerme, elle publie régulièrement, sur Facebook et Instagram, des photographies de cérémonies, des chansons religieuses, ainsi que des prières de sa composition. « Je suis très croyante, confie-t-elle, et je veux partager avec les autres cette identité, dire à quel point c’est beau. »
Frilosités
Néanmoins, beaucoup de croyants montrent des réticences à exposer leur appartenance religieuse sur Internet. Les critiques classiques faites aux réseaux sociaux – à savoir le fait qu’ils favorisent l’étalage de la vie privée et la mise en scène de soi – ont la vie dure.
Frédéric a 37 ans. En 2013, il a manifesté son appartenance à la religion catholique lors du débat sur le mariage pour tous, en créant le hashtag #CatholiquesPour. Néanmoins, autant, il n’est pas partisan de l’affichage religieux sur les réseaux : « Je veux que ma foi s’incarne dans mes actes de tous les jours, par la charité, la compassion, l’intérêt à l’autre. Je suis catholique et pratiquant, mais je refuse que cela devienne un étendard, une définition, une porte d’entrée sur moi. Ma foi n’est pas identitaire. »
Une étude de l’université de Graz (Autriche) indique par ailleurs que si 69% des catholiques « aiment » ou adhèrent à des groupes ou pages à caractère religieux sur Facebook, deux tiers d’entre eux sont — comme Frédéric — inactifs.
Côté musulman, on met aussi en garde contre d’éventuels abus d’ostentation. Saïd Branine, président de Oumma.com, site de débat et d’information musulman de référence, rappelle qu’un aspect majeur de l’islam est la lutte contre l’ego. C’est pourquoi les réseaux sociaux utilisés par le fidèle à des fins narcissiques seraient incompatibles avec le Coran. Cyrille, jeune converti postant anonymement des messages à caractère religieux sur Twitter, fustige les dérives : « Les personnes qui tweetent “Bon allez je vais prier” , “Direction la Mosquée”, “Hier j'ai donné 20 euros à une association”, tout ce qui est ostentatoire pour moi ne devrait pas être dit. Ça reste entre le croyant et Dieu. »
Construction identitaire
De fait, les questions d’identité sont indissociables de ces nouvelles pratiques. Auteure de Dieu en Ligne (Bayard, 2013), la sociologue Isabelle Jonveaux affirme que les réseaux sociaux peuvent renforcer le sentiment d’appartenance religieuse, tout en le rendant plus visible. Tweets et statuts partagés, photos de profils, liens postés, pages et groupes auxquels on adhère sont autant de pierres apportées à l’édifice de son identité en ligne. En somme, un moyen de marquer son affiliation à une communauté.
En outre, la chercheuse remarque que, dans un pays laïc tel que la France, où l’affichage religieux n’est pas en odeur de sainteté, « Internet peut alors devenir le lieu d’une visibilité religieuse plus discrète, car il ne se trouve pas directement dans l’espace public ». Une visibilité paradoxalement plus étendue, car les messages partagés s’adressent généralement à un public plus large que lors d’une conversation hors ligne.
« Globalement, les chercheurs ont montré que les groupes religieux minoritaires, y compris à l’intérieur des grandes religions, sont beaucoup plus dynamiques dans l’utilisation des réseaux sociaux et dans le fait de montrer leur appartenance, pour une visibilité qu’ils n’ont pas forcément dans la réalité », poursuit Isabelle Jonveaux. Et de constater que durant les manifestations autour du mariage pour tous en 2013, les musulmans opposés à la loi se manifestaient largement en ligne, quand les catholiques étaient majoritaires dans la rue.
Connexion h24 avec Dieu
Citée par le Deseret News, Heidi Campbell, professeure de communication à l’université de Texas A&M, est persuadée que les médias sociaux sont en train de transformer radicalement la face de la religion. Où se situe cette révolution ? « Ces nouveaux médias permettent d’avoir une expérience religieuse 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et non plus exclusivement le week-end », explique l’Américaine.
Les experts du Network for New Media, Religion and Digital Culture abondent en ce sens : si, pour certains croyants, il n’est question que d’extension des pratiques religieuses non numériques, d’autres au contraire embrassent la spiritualité en ligne au détriment des pratiques classiques.
Geoff Bradford, pasteur dans la ville américaine de Raleigh (Caroline du Nord) – dont l’Eglise compte 13 pages Facebook, 9 comptes Twitter et 3 pages Instagram – s’inquiète de cette tendance. Selon lui, cela revient à dématérialiser l’Église et ses espaces sacrés. Il appelle notamment les fidèles à se rassembler après la messe le dimanche au lieu de poster des photos du culte. « C’est un autre niveau d’engagement », ajoute t-il.
Foi créative
Pourtant, les réseaux sociaux ne riment pas nécessairement avec une foi moins intense. De nombreux profils témoignent d’un réel engagement religieux sur la toile. C’est le cas de Joshua7, un disciple de Jésus — follower of Jesus Christ. Il croit, sans le biais d’un dogme, dans les enseignements du Christ et reconnaît en Lui le fils de Dieu.
Cet Australien de 23 ans partage sur son compte Instagram – plate-forme populaire de partage de photos depuis un smartphone – de nombreux contenus religieux. Parfois jusqu’à cinq fois par jour, il entend faire preuve de créativité et investit du temps dans les prières, les photographies et images, les sermons des pasteurs de sa paroisse, et les passages des Écritures qu’il poste.
« Je le fais pour rendre hommage au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Mais beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux afin de remplir leurs vies avec les “like” et les compliments d’autres personnes », déclare-t-il. Une de ses grandes joies ? « Certaines personnes m’ont dit qu’ils avaient trouvé une nouvelle foi grâce à mes posts sur les médias sociaux. »