"Le cancer n'est pas une punition pour avoir mal agi"
Propos recueillis par Cécile Casciano, publié le 10/06/2014 à 08:26
Même guéris, les patients atteints d'un cancer doivent affronter le regard de la société sur leur maladie, souligne une étude de l'INCa publiée ce mardi. L'éclairage de Patrick Peretti-Watel, sociologue et responsable scientifique de l'enquête "La vie deux ans après
A quoi ressemble la vie après la maladie? L'Institut national du cancer (INCa) et l'Inserm présentent ce mardi les résultats de l'enquête VICAN2, "La vie deux ans après un diagnostic de cancer - De l'annonce à l'après-cancer ". Accès aux soins, séquelles, impact professionnel, regard des autres... Le rapport explore les différentes facettes de la vie de 4349 personnes après l'annonce de la maladie. Entretien avec le sociologue Patrick Peretti-Watel, responsable scientifique de l'enquête.
Le rapport met en lumière le sentiment de discrimination ressenti par certains patients. La maladie est même qualifiée de "stigmate qui affecte les relations interpersonnelles quotidiennes". Pourquoi?
Patrick Peretti-Watel: Le cancer est considéré comme la maladie grave et mortelle par excellence, les premiers mots qui viennent à l'esprit appartiennent généralement au champ lexical de la mort. Cette maladie est aussi associée à un traitement lourd et délétère. Se confronter à un malade c'est se confronter à sa propre peur d'avoir un jour un cancer, d'autant plus que personne n'est à l'abri.
Le rapport souligne que les personnes atteintes du cancer font "fréquemment l'objet d'une mise en cause". Pourquoi?
Patrick Peretti-Watel: Les psychologues expliquent cela par la théorie du monde juste: il est rassurant de se dire "Si je ne fais rien de mal, il ne peut rien m'arriver de mal". En découle l'idée qu'une maladie grave atteint seulement quelqu'un qui a mal agi. Or, le cancer, lui, est associé à tout un cortège de comportements à risques. L'exemple le plus parlant est celui du traitement médiatique de l'épidémie de cancers du sein aux Etats-Unis dans les années 80. Cette hausse des cas a été associée dans les médias à la consommation d'alcool, au tabagisme, mais aussi au fait d'avoir une première grossesse tardive, de ne pas allaiter son enfant... En somme, des situations correspondant au mode de vie des femmes actives en milieu urbain. Mais en filigrane, le message délivré était le suivant: "si vous restez à la maison en vous consacrant à vos enfants, vous aurez moins de risque d'avoir un cancer".
Le sentiment d'être rejeté est-il fréquent chez les malades?
Patrick Peretti-Watel: 8,5% des personnes interrogées dans cette enquête ont déclaré avoir été l'objet, dans leur entourage, d'attitudes de rejet ou de discrimination liées directement à la maladie. Un chiffre probablement sous-estimé dans la mesure où les questions posées se limitent aux réactions de l'entourage proche. Les données excluent donc les personnes croisées dans la rue par exemple, alors que ces dernières peuvent elles aussi montrer une réaction de gêne face à une séquelle visible du cancer.
Qui éprouve le plus ce sentiment de discrimination?
Patrick Peretti-Watel: Les jeunes, les femmes et les personnes en situation précaire, avec un effet cumulatif. Par exemple, parmi les personnes ayant éprouvé un sentiment de discrimination, 24% sont des jeunes femmes. Cela pourrait s'expliquer par le fait que ces trois populations font le plus souvent l'objet de discrimination que les autres. Il est aussi possible qu'elles soient plus sensibles aux réactions de leur entourage, donc à même de percevoir des réactions de rejet. Quand aux jeunes, ils ont statistiquement plus d'interactions sociales que leur aînés, donc plus de risques de subir des discriminations.
Comment changer le regard de la société sur les malades du cancer?
Patrick Peretti-Watel: D'abord en menant plus régulièrement des actions de sensibilisation, comme celle lancée par l'INCa en 2011, qui martelait "Je suis une personne, pas un cancer".
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/le-cancer-n-est-pas-une-punition-pour-avoir-mal-agi_1549014.html?xtor=EPR-181-[20140610084015_24_nl_
Propos recueillis par Cécile Casciano, publié le 10/06/2014 à 08:26
Même guéris, les patients atteints d'un cancer doivent affronter le regard de la société sur leur maladie, souligne une étude de l'INCa publiée ce mardi. L'éclairage de Patrick Peretti-Watel, sociologue et responsable scientifique de l'enquête "La vie deux ans après
A quoi ressemble la vie après la maladie? L'Institut national du cancer (INCa) et l'Inserm présentent ce mardi les résultats de l'enquête VICAN2, "La vie deux ans après un diagnostic de cancer - De l'annonce à l'après-cancer ". Accès aux soins, séquelles, impact professionnel, regard des autres... Le rapport explore les différentes facettes de la vie de 4349 personnes après l'annonce de la maladie. Entretien avec le sociologue Patrick Peretti-Watel, responsable scientifique de l'enquête.
Le rapport met en lumière le sentiment de discrimination ressenti par certains patients. La maladie est même qualifiée de "stigmate qui affecte les relations interpersonnelles quotidiennes". Pourquoi?
Patrick Peretti-Watel: Le cancer est considéré comme la maladie grave et mortelle par excellence, les premiers mots qui viennent à l'esprit appartiennent généralement au champ lexical de la mort. Cette maladie est aussi associée à un traitement lourd et délétère. Se confronter à un malade c'est se confronter à sa propre peur d'avoir un jour un cancer, d'autant plus que personne n'est à l'abri.
Le rapport souligne que les personnes atteintes du cancer font "fréquemment l'objet d'une mise en cause". Pourquoi?
Patrick Peretti-Watel: Les psychologues expliquent cela par la théorie du monde juste: il est rassurant de se dire "Si je ne fais rien de mal, il ne peut rien m'arriver de mal". En découle l'idée qu'une maladie grave atteint seulement quelqu'un qui a mal agi. Or, le cancer, lui, est associé à tout un cortège de comportements à risques. L'exemple le plus parlant est celui du traitement médiatique de l'épidémie de cancers du sein aux Etats-Unis dans les années 80. Cette hausse des cas a été associée dans les médias à la consommation d'alcool, au tabagisme, mais aussi au fait d'avoir une première grossesse tardive, de ne pas allaiter son enfant... En somme, des situations correspondant au mode de vie des femmes actives en milieu urbain. Mais en filigrane, le message délivré était le suivant: "si vous restez à la maison en vous consacrant à vos enfants, vous aurez moins de risque d'avoir un cancer".
Le sentiment d'être rejeté est-il fréquent chez les malades?
Patrick Peretti-Watel: 8,5% des personnes interrogées dans cette enquête ont déclaré avoir été l'objet, dans leur entourage, d'attitudes de rejet ou de discrimination liées directement à la maladie. Un chiffre probablement sous-estimé dans la mesure où les questions posées se limitent aux réactions de l'entourage proche. Les données excluent donc les personnes croisées dans la rue par exemple, alors que ces dernières peuvent elles aussi montrer une réaction de gêne face à une séquelle visible du cancer.
Qui éprouve le plus ce sentiment de discrimination?
Patrick Peretti-Watel: Les jeunes, les femmes et les personnes en situation précaire, avec un effet cumulatif. Par exemple, parmi les personnes ayant éprouvé un sentiment de discrimination, 24% sont des jeunes femmes. Cela pourrait s'expliquer par le fait que ces trois populations font le plus souvent l'objet de discrimination que les autres. Il est aussi possible qu'elles soient plus sensibles aux réactions de leur entourage, donc à même de percevoir des réactions de rejet. Quand aux jeunes, ils ont statistiquement plus d'interactions sociales que leur aînés, donc plus de risques de subir des discriminations.
Comment changer le regard de la société sur les malades du cancer?
Patrick Peretti-Watel: D'abord en menant plus régulièrement des actions de sensibilisation, comme celle lancée par l'INCa en 2011, qui martelait "Je suis une personne, pas un cancer".
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/le-cancer-n-est-pas-une-punition-pour-avoir-mal-agi_1549014.html?xtor=EPR-181-[20140610084015_24_nl_