Témoins de JEHOVAH VERITE actif


Rejoignez le forum, c’est rapide et facile

Témoins de JEHOVAH VERITE actif
Témoins de JEHOVAH VERITE actif
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Témoins de JEHOVAH VERITE actif

forum des discussions sur la bible ouvert a tous.

-17%
Le deal à ne pas rater :
(Black Friday) Apple watch Apple SE GPS + Cellular 44mm (plusieurs ...
249 € 299 €
Voir le deal

Vous n'êtes pas connecté. Connectez-vous ou enregistrez-vous

La richesse détourne-t-elle de Dieu ?

Aller en bas  Message [Page 1 sur 1]

Josué

Josué
Administrateur

La richesse détourne-t-elle de Dieu ?
Virginie Larousse - publié le 22/12/2011

La finance islamique, qui se veut éthique, pourrait bénéficier de la crise de confiance qui affecte le secteur bancaire. Mais au-delà de cette actualité, quels rapports les croyants de toutes confessions entretiennent-ils avec l’argent ? Et qu’en disent les textes sacrés ? Tour d’horizon des prescriptions d’hier et des pratiques d’aujourd’hui.

Approchant de la Terre promise, Moïse met en garde son peuple : « Vous savez avec qui nous demeurions en Égypte, ces nations que nous avons traversées. Vous avez vu leurs horreurs et leurs idoles, le bois, la pierre, l’or et l’argent qui sont chez elles » (Deutéronome 29, 15-16). Le message paraît clair : la richesse détourne de Dieu. Les religions, monothéistes ou non, sont-elles si résolument hostiles à l’argent ? Pas si sûr. Elles ont en fait développé à ce sujet une position souvent beaucoup plus nuancée – et parfois non dénuée d’ambiguïté.
Contrairement à une idée solidement ancrée (surtout dans les pays marqués par une forte tradition catholique), les religions ne jettent pas l’anathème sur l’argent. Au contraire. Dans la Bible hébraïque, la richesse est le signe de la bénédiction de Dieu, dont témoigne l’histoire des patri­arches : Abraham, nous dit la Genèse (13, 2) était « très riche en troupeaux, en argent et en or ». Isaac moissonne au centuple et « s’enrichit de plus en plus, jusqu’à devenir extrêmement riche » (Gn 26, 13). L’abondance témoigne de la générosité de Dieu. Et à en croire la parabole des talents (Matthieu 25, 14-30), Jésus n’a rien contre l’enrichissement, puisqu’on y trouve l’éloge d’un serviteur ayant réussi à faire fructifier l’argent que son maître lui avait confié. Dans la lignée de ses aînées monothéistes, l’islam est loin de condamner le profit – ce qui aurait été pour le moins délicat dans le contexte du commerce florissant que connaissait l’Arabie à l’époque de Muhammad. D’ailleurs, le Prophète a lui-même été un marchand doué en affaires et a épousé une riche veuve, Khadija. « Dieu accorde sa miséricorde à l’homme généreux dans ses achats, généreux dans ses ventes et généreux dans ses transactions », affirme un hadith (*).


« Puissiez-vous devenir riches ! »
Les sagesses orientales développent elles aussi un discours positif sur la richesse, pour des raisons évidemment différentes. Dans l’hindouisme et le bouddhisme, ce n’est pas à la faveur d’un Dieu transcendant – concept qui leur est étranger – qu’est due la possession de biens, mais à l’effet d’un bon karma : l’individu s’étant bien comporté dans ses vies antérieures en retire un bénéfice dans son existence actuelle. Aux yeux des hindous, gagner de l’argent est non seulement légitime, mais c’est aussi un devoir pour qui veut fonder une famille. De plus, l’hindouisme développe l’idée que les hommes ne peuvent vivre en harmonie que s’ils respectent le dharma, l’ensemble des lois naturelles qui varient selon la place que l’individu occupe dans la société. Ainsi, le dharma du soldat diffère de celui du marchand. Pour l’un, il s’agit d’être un guerrier courageux ; pour l’autre, de diriger des affaires prospères, ce dont il n’a aucunement à rougir. Dans les religions chinoises, pas de notion de karma : l’opulence résulte de la bénédiction des ancêtres sur leurs heureux descendants. C’est du reste en Chine que le rapport à l’argent, qui a toujours été considéré comme une préoccupation naturelle, est le plus décomplexé, à tel point que les effigies du dieu de la richesse, Cai Shen, sont disposées partout, des temples aux restaurants, en passant par les cartes du Nouvel An – période où il est de bon ton de souhaiter à ses interlocuteurs : « Félicitations, puissiez-vous devenir riches cette année ! »

Le « Mamon d’injustice »
Est-ce à dire que les traditions religieuses font l’éloge des nantis ? Loin s’en faut ! Le potentiel mortifère de l’argent y est fermement dénoncé. Générateur d’injustices, l’argent crée rancœur et jalousie, divise les hommes. Judas n’a-t-il pas trahi Jésus pour trente malheureux deniers ? Pire, il devient pour certains une préoccupation obsessionnelle : « Qui aime l’argent ne se rassasie pas d’argent. La satiété du riche ne le laisse pas dormir. » (Ecclésiaste 5, 9-11). Une analyse qui fait écho à celle du Bouddha, lequel voit dans le désir la cause de toute souffrance, et appelle celui qui recherche l’Éveil à maîtriser son avidité. « La richesse est la ruine de l’homme sans discernement, pas celle du sage en quête d’absolu », résume-t-il (Dhammapada, XXIV). Or, s’il est un désir qui se révèle insatiable, c’est bien celui de la quête effrénée des biens. Jésus a poussé à son paroxysme cette mise en garde : « Nul ne peut servir deux maîtres. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mathieu 6, 24). Cet Argent, Jésus le personnifie et lui donne un nom propre : c’est le « Mamon d’injustice » (Luc 16, 11) – un mot issu de la racine hébraïque âman, qui indique la stabilité, la fermeté. Car l’argent apparaît, de prime abord, comme quelque chose en quoi on peut avoir confiance. Il vient combler notre sentiment de manque, notre peur viscérale de la mort. L’argent, c’est l’assurance d’une vie confortable, dénuée de tracas. Du moins, en apparence, comme l’illustre une parabole de l’Évangile de Luc (12, 16-20) : « Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté […]. Il se dit : “Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années ; repose-toi, mange, bois, fais la fête.” Mais Dieu lui dit : “Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ?” » Mamon n’est qu’une idole qui ne tient pas sa promesse. Devant la mort, il ne sera d’aucun secours. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu », déclare Jésus (Luc 10, 25). Et le Coran de prévenir : « Malheur au calomniateur acerbe qui a amassé une fortune et l’a comptée et recomptée ! Il pense que sa fortune l’a rendu immortel. Il sera précipité dans le Feu de Dieu ! » (sourate 104, 1-6).

La pauvreté, une vertu ?
Si ceux qui épargnent à l’excès ne jouissent souvent pas d’une réputation particulièrement reluisante, la pauvreté est-elle pour autant érigée en vertu ? Dans l’hindouisme, le croyant est invité à renoncer à tout bien matériel au quatrième âge de sa vie (la vieillesse) : il est alors censé quitter sa maison pour mendier sa nourriture. Et chez les soufis iraniens, la pauvreté est la richesse suprême, à condition d’avoir librement consenti à suivre ce chemin. De son côté, la tradition catholique a développé l’idée que le vrai chrétien est pauvre, s’appuyant sur une interprétation littérale du sermon des Béatitudes : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux » (Matthieu 5, 3). Certains ordres religieux – franciscains et dominicains, notamment – font de la pauvreté un idéal. Une vision que ne partagent pas les protestants, pour lesquels il est moralement honorable d’être riche. La tradition islamique va plus loin encore : se complaire dans le dénuement est proche de la mécréance et est susceptible de créer des tensions sociales, le pauvre pouvant jalouser le riche. Le Bouddha perçoit lui aussi la pauvreté comme malsaine : le soûtra du rugissement du lion raconte l’histoire d’un monarque qui cessa de donner aux pauvres, entraînant la population à commettre vols et crimes pour subsister. Plus généralement, la misère génère de la souffrance. Rappelons que le Bouddha pratiqua lui-même un ascétisme poussé avant de connaître l’Éveil. Réalisant que ces pratiques austères ne lui avaient rien enseigné, il y mit fin et préconisa une voie moyenne consistant à refuser autant l’excès que l’austérité abusive.
Les religions invitent donc l’homme à relativiser l’importance qu’il accorde à l’argent, à le « profaner », pour reprendre l’expression du théologien Jacques Ellul, c’est-à-dire à le dépouiller du caractère sacré dont certains l’ont investi. S’il est nécessaire pour vivre, il ne doit pas devenir une fin en soi. Il faut « rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu », enseigne Jésus (Marc 12, 17). La pièce de monnaie est frappée à l’image de César : elle est par conséquent sa propriété ; l’homme, comme le dit la Genèse, est à l’image de Dieu… et lui appartient donc. Ce faisant, le Nazaréen fait vaciller le pouvoir du prince, éminemment fondé sur l’argent. Dieu est le seul Maître du monde, le seul en qui l’homme doit placer sa confiance : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne mois­sonnent, et votre Père céleste les nourrit ! » (Matthieu 6, 26). Un message que Muhammad renforce en présentant Dieu comme l’unique propriétaire de « tout ce qui est dans les cieux et sur la terre » (sourate 53, 42-48). Les biens n’appartiennent jamais aux hommes : ils n’en ont que l’usufruit. Bien que les sagesses chinoises ne développent pas la vision d’un Dieu omnipotent, elles incitent pareillement à la juste mesure, à cette « voie du Milieu » si chère au taoïsme : « Si tu comprends que tu as suffisamment, tu es vraiment riche », écrit Lao Tseu dans le Tao-Te-King (aphorisme 33).

Le prêt à intérêt en question
Par conséquent, ce n’est pas l’argent, mais l’amour de l’argent, que les religions condamnent : la thésauri­sation, l’excès, le gaspillage ou l’utilisation immorale de la richesse. Cela explique pourquoi la question du prêt à intérêt – qui permet au riche de le devenir encore plus… sans rien faire – a taraudé très tôt les exégètes. « L’argent donné en usure ne cesse de travailler, il fabrique sans arrêt de l’argent. C’est un travailleur infati­gable, qui ne s’arrête pas les dimanches, les jours de fêtes, qui ne s’arrête pas de travailler quand il dort », dit un recueil anonyme du XIIIe siècle. Or, dans la Bible, seul Dieu peut créer ex nihilo. L’usure est donc perçue comme une prétention de l’homme à créer de la valeur à partir de rien. Le Deuté­ronome (23, 20-21) enseigne la conduite à tenir : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère […]. À l’étranger tu pourras prêter à intérêt. » De la sorte, les juifs ont été en mesure de prêter de l’argent à une époque où l’usure était rigoureusement interdite aux chrétiens comme aux musulmans. Aux yeux des penseurs catholiques, on ne peut faire commerce du temps, qui n’appartient qu’à Dieu. En islam, l’usure aurait été interdite par Dieu même : « Dieu a permis la vente et il a interdit l’usure » (sourate 2, 275). Du reste, la charia prohibe cette pratique, mais interdit également de mener des transactions déconnectées de l’économie réelle (les banques islamiques n’achètent pas de crédits, mais gèrent des avoirs concrets) ou à des fins spéculatives (d’où leur réticence au système capitaliste) et d’investir dans des activités non ­éthiques (alcool, armement, tabac, jeu) (lire l’encadré en p. 12). Des moyens de contourner l’interdiction de l’usure ont certes été imaginés tant du côté catholique que musulman, mais c’est le protestant Calvin, au XVIe siècle, qui va changer la donne. Évoluant dans la ville très commerçante de Genève, il s’appuie sur la parabole des talents (ou celle, très proche, des mines, dans l’Évangile de Luc) : « Seigneur, tu m’as donné cinq talents : voici cinq autres talents que j’ai gagnés » (Mt 25, 20). Et de déclarer que dans un monde idéal, l’usure devrait être prohibée, mais qu’il faut bien composer avec la réalité. De fait, catholiques et protestants vont développer une vision très différente des rapports à l’argent, comme l’a analysé Max Weber dans son livre L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme. Alors que les premiers se sont montrés réticents à l’économie de marché, les seconds l’auraient en revanche plébiscitée. Avec une réserve, toutefois : celle des profits anormalement élevés. Ce souci de modération se retrouve dans l’hindouisme, avec d’autant plus d’acuité que si l’emprunteur n’est pas en mesure de s’acquitter de sa créance, il devra le faire… dans sa vie future.

La noblesse du don
Le tout, on le voit, n’est pas d’avoir de l’argent, c’est d’en faire bon usage. L’argent n’est pas fait pour être conservé égoïstement, il doit circuler et profiter aux plus nécessiteux. Ainsi, le judaïsme, à travers le Deutéronome, propose une législation sociale extrêmement audacieuse, bien qu’il semblerait que ces prescriptions soient restées lettre morte : la dernière part de la moisson doit être réservée à l’émigré, à l’orphelin et à la veuve ; lors de ­l’année sabbatique, tous les sept ans, les dettes doivent être effacées. Être riche engendre une obligation de solidarité dont le croyant ne saurait se départir (l’avarice fait d’ailleurs partie des sept péchés capitaux dans le christianisme), et qui vient contrebalancer l’effet potentiellement néfaste que l’argent peut générer dans les relations sociales. Tel est le message de l’histoire de Zachée dans le Nouveau Testament (Luc 19, 1-10). L’homme, un collecteur d’impôt, jouit d’une mauvaise réputation. Mais, à la surprise de la foule et de l’intéressé, c’est chez lui que Jésus demande à être hébergé lors de son passage à Jéricho. Le riche Zachée décide alors de donner la moitié de ses biens aux pauvres, et de rembourser au quadruple quiconque aurait été lésé par sa faute. Alors que son statut de personnage aisé l’avait jusqu’à présent coupé de ses semblables, il lui permet, en en faisant bon usage, de créer du lien social. « Faites-vous des amis avec le Mamon d’injustice, afin qu’au jour où il ­viendra à manquer, ceux-ci vous accueillent dans les tentes éternelles », conseille Jésus (Luc 16, 9). Une recommandation qui a même force de loi dans l’islam, où la zakat (l’aumône légale) fait partie des cinq piliers de la foi – les obligations de tout musulman. Elle permet de purifier la richesse en induisant une justice sociale.
La générosité joue également un rôle majeur dans les religions non monothéistes : l’hindouisme et le bouddhisme la considèrent porteuse de bon karma. D’après le Bouddha, l’argent n’est pas négatif en tant que tel. C’est l’usage que l’on en fait qui le transformera en source de bon ou mauvais karma : « La grande richesse qui est correctement utilisée n’est pas destinée à se perdre, mais à être consommée pour le bonheur. L’eau fraîche qui se trouve dans une région sauvage, personne ne s’en approche pour boire, cette eau coule en vain, inutilement. Semblable est la richesse amassée par un homme égoïste. Il ne la dépense ni pour lui ni pour la donner. L’homme qui a une pensée forte et qui a amassé une richesse, il la consomme et l’utilise pour remplir ses devoirs. Il nourrit ses parents et ses amis. Lui qui a un cœur noble, sans fautes, après la mort, il va au bonheur céleste. » (Aputtaka-Sutta). La redistribution des richesses, la noblesse du don, constitue un puissant leitmotiv dans les textes sacrés.

Une étonnante modernité
Au fond, le discours que les religions portent sur l’argent pousse à s’interroger sur des questions fondamen­tales : qu’est-ce que l’argent fait de moi ? Quel sens vais-je donner à ma vie ? De façon plus ou moins radicale (de manière forte dans le catholicisme, beaucoup plus tempérée en Chine), les traditions religieuses encouragent l’homme à se situer dans l’être, et non dans l’avoir. Elles enseignent que la vraie richesse n’est pas (ou pas que) matérielle. On dit souvent les religions démodées, dépassées par la modernité, porteuses d’un message d’un autre âge. En la matière, ­l’éthique qu’elles proposent résonne d’une étonnante modernité.

(*)  Les hadiths désignent les paroles non coraniques attribuées au Prophète, qui faisait lui-même une nette distinction entre ses propos personnels et ceux du Coran.
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/la-richesse-detourne-t-elle-de-dieu-22-12-2011-3868_110.php

Josué

Josué
Administrateur



RELIGION
Le capitalisme, divin enfant du christianisme
Philippe Simonnot - publié le 29/04/2014

En complément de notre dossier "Dieu et l’argent", voici la version intégrale de l’article de Philippe Simonnot, spécialiste des rapports entre l’économie et la religion.

Le capitalisme, divin enfant du christianisme
Des trois grandes religions issues de la Bible, le judaïsme, le christianisme  et l’islam, laquelle est la plus proche du capitalisme ? Des siècles d’antisémitisme ont appris aux générations précédentes que c’était le judaïsme. Un sociologue allemand de renom, Werner Sombart, a même écrit un livre entier sur ce sujet (1) . Le prophète de l’islam, quant à lui, a d’abord été un marchand, et les caravaniers qu’il envoyait en mission n’avaient de leçons à recevoir de personne en matière économique. Le christianisme, pour sa part, a semblé longtemps le plus éloigné de la sphère marchande avec cette célèbre parole du Christ : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (2) . Certes, Max Weber, dans son illustrissime essai (3) , a montré qu’une certaine branche du christianisme, issue de la Réforme, n’était pas tout-à-fait étrangère aux choses de l’argent, mais, par son succès même, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme a empêché de voir les relations profondes et anciennes, bien antérieures à Luther, qui se sont nouées entre christianisme et capitalisme. D’une certaine manière, Weber a blanchi l’argent des autres branches du christianisme et fait oublier que l'Église, pendant des siècles, avait été la première puissance capitaliste du monde. Surtout, à rebours du sociologue allemand, on peut prétendre que sans le christianisme tout court, il n’y aurait pas eu de capitalisme. Cette face cachée, ou déniée, de la religion chrétienne, nous voudrions ici la mettre en lumière.

Le Code napoléonien redécouvre le droit romain

Commençons par cette évidence : il n’y a pas de capitalisme sans capital et il n’y a pas de capital sans appropriation et donc sans droit de propriété.
La Rome antique avait institué les trois composants de ce droit fondamental : l’usus (jouir de sa propriété), le fructus (pouvoir en tirer un revenu ou un intérêt), l’abusus (pouvoir le donner ou le vendre). Mais cet enseignement s’est perdu avec la chute de l’empire romain d’Occident, laquelle a plongé l’Europe pendant  plusieurs siècles dans un profond marasme économique et démographique.

On date en général du XVIIIe siècle la redécouverte d’un droit de propriété à la romaine. L’idée répandue par les théoriciens de l’École du droit naturel (4) ,  à la grande époque des Lumières, est que la propriété constitue la mise en œuvre d’un droit inné de l’homme sur les choses qui l’entourent. L’aboutissement le plus évident et le plus célèbre de cette réinvention a été le Code civil napoléonien, qui consacre en effet les trois composants du droit de propriété et a permis à la bourgeoisie de prendre son essor, en France et dans tous les pays où ce code s’est implanté. Le Code s’inspirait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article II : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

En fait, la novation en question pourrait bien être le réaménagement d’éléments empruntés à la théorie de la propriété développée par les théologiens de la fin du Moyen-Âge. Le droit de propriété du Code civil, qui parait tiré directement du droit romain – et l’on sait la passion de la Révolution et de l’Empire pour l’Antiquité romaine –,  serait en fait  la version laïcisée d’une construction dont le premier modèle se trouve chez les penseurs de l'Église (5) . Chassez la religion par la porte, elle revient par la fenêtre – surtout quand il s’agit d’argent !

Une mission confiée à Dieu par l’homme

Encore aux IVe et Ve siècles, aux yeux des Pères de l’Église, l’appropriation privée est une usurpation et vient détruire un état originaire qui ignorait le tien et le mien. Cette propriété privée, enseignent-ils, ne sépare pas seulement les hommes entre eux ; elle les sépare également de Dieu en faisant disparaître cet état premier où rien n’était à personne parce que tout était à Dieu. À la rigueur, comme dans le judaïsme ancien et dans l’islam primitif, pouvait-on concevoir un droit de propriété limité à l’usus, et, qui plus est, limité par les nécessités de l'État ou du bien commun. Mais certainement pas ce droit de propriété, plus absolu encore que celui du droit romain, que des théologiens chrétiens, du XIe  au XIIIe siècle, allaient inventer.

Ces théologiens, pour asseoir un droit de propriété complet et absolu, vont remonter non pas à La loi des douze tables, (450 avant J.-C.),  matrice du droit romain, mais bien au-delà, jusqu’à… Adam, notre père à tous. La Bible nous enseigne en effet que le premier homme est « maître du monde »,  par la volonté de Dieu (6). Le premier homme est donc  intronisé par Dieu comme son ministre sur la terre, et donc pouvant exercer un droit de propriété sur l’ensemble de l’univers, et pas seulement sur ce petit morceau que constitue la Terre promise au peuple hébreu. Les théoriciens modernes du droit naturel auraient ainsi retrouvé, sans s’en rendre compte, ce qui pour les théologiens était, non plus un droit naturel, mais une sorte de mission confiée par Dieu à l’homme.

La première trace d’un tel travail sur la Bible se trouve chez Hugues de Saint Victor (1096-1141), et Alexandre de Halès (1180-1245). Ces deux éminents théologiens rappellent que l’homme est supérieur aux autres créatures et que le pouvoir de domination qu’il exerce sur elles est nécessaire à l’ordre et à la beauté de l’univers voulus par Dieu, malgré le péché originel.

Ainsi, le droit de propriété est d’origine divine

Vient ensuite le dominicain Thomas d’Aquin (1225-1274), qui perfectionne la doctrine. Pour le Docteur angélique, le domaine de l’homme, à cause du péché originel, n’a plus sa perfection première : il va désormais répondre aux seuls besoins humains. Du même coup, l’homme peut faire que les choses lui soient  utiles (7) .  
Un pas supplémentaire va être franchi par un certain Jacques Duèze (1244-1334). Issu d'une famille de la bourgeoisie aisée de Cahors, il devient pape en 1316 sous le nom de Jean XXII. Il est le deuxième à régner à Avignon, devenue résidence pontificale. Ce génial administrateur de la fiscalité pontificale (Cool  va prendre le contre-pied d’une doctrine très dangereuse pour les gens d’argent qui se développe à l’époque. Il s’agit de la doctrine des franciscains, disciples du « petit frère des pauvres » (9) , qui se prétendent étrangers à toute forme de propriété. Le domaine des choses temporelles, leur répond Jean XXII, n’a pu être donné aux hommes que par celui qui pouvait donner. Or, Dieu seul a la capacité de donner une chose celui à qui elle appartient. Puisque il n’est pas douteux que Dieu soit le dominus, le propriétaire de l’univers, il n’est pas non plus douteux que le domaine des choses ait été introduit par la volonté divine. Le domaine humain n’a donc pas été introduit par le droit humain, mais, ainsi que l’affirme l’Écriture, par  droit divin. Le droit de propriété est donc d’origine divine. D’où son caractère absolu – justement ce dont a besoin le capitalisme !

L’invention du Purgatoire…

Pour donner toute sa force au nouveau droit de propriété absolu encore dans l’enfance, et notamment au fructus, il fallait encore renverser le tabou de l’usure entravant le commerce de l’argent aussi bien chez les juifs que chez les musulmans et les chrétiens. Ce fut chose faite par le truchement de l’invention du… Purgatoire !  
Jusqu’au XIIIe siècle, l’au-delà de la mort était divisé en deux parties distinctes et opposées : le Paradis et l’Enfer. Cette division avait  l’inconvénient de n’établir aucune proportionnalité entre le péché et la sentence. À mesure que le christianisme pousse ses racines plus profondément dans la société, il lui faut un système moins rudimentaire pour gouverner les âmes. Ainsi devait apparaître, dans le courant du XIIe  siècle, un nouveau type de péché, le péché véniel - qui signifie digne de pardon - distingué du péché mortel. Ensuite, on établira que si les pécheurs, au moment de mourir, ne sont plus chargés que de péchés véniels, ils ne sont pas condamnés à perpétuité, mais à un temps limité de supplice dans un lieu fait pour purger les fautes, le Purgatoire. Les morts qui allaient dans ce lieu bénéficient ainsi d’un supplément de biographie ! Surtout, ils sont sûrs qu’au sortir de leurs épreuves purifiantes, ils seront sauvés. Car le Purgatoire n’a qu’une porte de sortie, celle qui ouvre sur le Paradis.

... ou petits arrangements avec les morts

La durée du séjour dans les flammes purgatives ne dépend pas seulement du nombre et de la gravité des péchés du mort, mais aussi de l’affection de ses proches - laquelle se manifeste par des prières et par des offrandes, une occasion supplémentaire pour l’Église de recevoir dons et legs.

Pour que les usuriers évitent la damnation de l’Enfer, ne restait plus à faire de leur faute  un péché seulement véniel.  Pour cela, le taux d’intérêt doit être modéré, donc ne pas dépasser un certain plafond considéré comme « usuraire ». Ensuite on a trouvé des excuses à la perception d’un intérêt. On a considéré que le prêteur, s’il n’est pas remboursé à la date prévue, encourt un dommage que l’on peut indemniser par un intérêt. Ou encore, plus subtilement, que le prêteur, en se séparant de cette partie de son capital, a été empêché de consacrer cet argent à un placement peut-être plus avantageux (10) . Enfin, on a estimé que le prêteur encourt le risque de n’être pas remboursé soit à cause de l’insolvabilité du débiteur, soit à cause de sa mauvaise foi.

Cette notion capitale est étendue de l’activité du prêteur à celui du marchand par un génie méconnu de l’époque, le franciscain Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Grand rival de Thomas d’Aquin, persécuté par les autorités ecclésiastiques de son temps, il fut l’objet après sa mort d’une véritable dévotion populaire. Pour y mettre fin, son corps fut sorti de terre pour être réduit en cendres, sa tombe elle-même fut détruite...

Le capitalisme alors libéré de la religion

Olivi annonçait les temps nouveaux. Pour lui,  en effet, le marchand a droit à une récompense non seulement par les risques d’entreprise qu’il court, mais encore parce qu’il montre sa capacité à évaluer et à maîtriser les dangers que comporte la pratique commerciale. Le négociant peut donc vendre sa marchandise à un prix plus élevé que celui auquel il l’a achetée parce qu’il a une fonction utile à la collectivité et parce qu’il court des risques. En ce qui concerne les opérations de crédit, elles échappent à la condamnation de l’usure si elles sont faites en fonction d’opérations commerciales utiles à la collectivité.

La brèche béante qui est ouverte ici ne se refermera plus. La première apparition connue d’un contrat d’assurance date de 1287, sous la forme d’un acte notarié rédigé par un notaire de Palerme. Par la suite, son usage allait se répandre, favorisant l’exploitation des mécanismes du marché pour le partage des risques.
Dès lors le capitalisme, libéré des chaînes religieuses par les religieux eux-mêmes, put prospérer, dévorer ses propres géniteurs et partir à la conquête du monde entier. Nous vivons les moments ultimes de ce triomphe planétaire.

Note sur l’auteur

Docteur en sciences économiques, Philippe Simonnot a consacré une partie de son œuvre aux rapports entre l’économie et la religion. D’où plusieurs ouvrages :   Les papes, l’Eglise et l’argent, Histoire économique du christianisme des origines à nos jours (Bayard),   Homo sportivus, Capitalisme, sport et religion (Gallimard), Le marché de Dieu, Économie du judaïsme, du christianisme et de l’islam. En avril 2007, il crée le site www.observatoiredesreligions.fr .


(1)  Les Juifs et la vie économique, traduit de l'allemand avec l'autorisation de l'auteur, par le docteur S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1923.
(2) Marc 10, 17-30. Citons encore : « On ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon », Matthieu 6,24 ; « Heureux les pauvres en esprit », Matthieu 5,3. Sans oublier le Christ chassant à coups de fouet  les marchands du Temple, Jean 2, 13-22.
(3) L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, précédé de Remarque préliminaire au recueil d'études de sociologie de la religion, et suivi de Les Sectes protestantes et l'esprit du capitalisme / trad. de l'allemand, introd. et notes par Isabelle Kalinowski, Flammarion, 2000
(4) Ecole qui tire le droit de la « nature » de l’homme, opposée à l’École positiviste qui fait du droit une création d’une autorité (Dieu, l'Etat), pour le dire succinctement.
(5) Origines théologiques du concept moderne de propriété, Marie-France Renoux-Zagamé, Genève ; Paris : Droz, 1987.
(6) « Dieu dit :“Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons, de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.” Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : “Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre.” Dieu dit : “Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture.” » (Genèse 1, 26-30)
(7) L’économiste n’en demandera pas plus quand, au XVIIIe siècle, il cherchera à fonder le concept d’utilité.
(Cool Les Papes, l’Église et l’argent, Philippe Simonnot, Bayard 2005.
(9) Il s’agit bien sûr de saint François d’Assise. Ce nouveau « Christ » (il portait les stigmates du Crucifié à la fin de sa vie) aurait pu mettre en danger l’autorité du pape et devenir hérétique. Il a fait au contraire acte de soumission.
(10) Ce que l’on appelle dans la littérature économique contemporaine un coût d’opportunité.

Revenir en haut  Message [Page 1 sur 1]

Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum