Dieu avait dit à Israël : « Vous me serez une nation sainte » (XIX, 6). Une nation : c’est ce qu’il était devenu par la sortie d’Égypte. Il fallait imprimer maintenant à cette nation le sceau de la sainteté qui devait distinguer le peuple de Dieu de tous les autres. La conscience naturelle du bien et du mal ne suffisait pas pour cela. La voix de ce témoin intérieur était affaiblie en Israël, comme chez les autres peuples, par les instincts charnels et les tendances polythéistes ; elle n’avait plus l’autorité nécessaire pour réprimer les manifestations de la corruption héréditaire. Une voix plus puissante devait se faire entendre pour provoquer une réaction énergique contre le mal inné et ses effets individuels et sociaux. C’était là la condition à laquelle pouvait se fonder et se maintenir l’alliance entre le peuple et son Dieu. Dieu fait donc entendre sa propre voix, et après avoir rappelé à Israël ce qu’il a fait pour lui, il lui révèle en traits distincts et précis ce que son bienfaiteur céleste attend de lui. Sans doute cette loi peut paraître moralement défectueuse. Plusieurs des commandements du Décalogue, pris à la lettre, ne s’appliqueraient qu’à la conduite extérieure de l’homme et sembleraient ne tenir aucun compte de la lutte nécessaire contre le mal caché dans les profondeurs du cœur. Mais la pensée de Dieu, si puissamment évoquée dans les deux premiers commandements, et la condamnation expresse de la convoitise dans le Xe devaient rappeler à tout Israélite sérieux que la vraie sainteté ne consiste pas à s’abstenir des actes extérieur, interdits dans quelques-uns des commandements, mais surtout à purifier le cœur des sentiments qui conduisent inévitablement à leur violation.
Le récit parle proprement, non de dix commandements, mais de dix paroles (#Ex 34:28; De 4:13; 10:4). Cette expression est plus exacte, puisque dans le Décalogue se trouvent des paroles qui ne sont pas des commandements, le v. 2, par exemple.
Il n’y a donc pas de doute à l’égard du nombre dix ; mais il s’est élevé des avis différents sur la manière de diviser ces dix paroles. Les Églises grecque et réformée réunissent le préambule, renfermé dans le v. 2, avec la défense d’adorer d’autres dieux, au
v. 3; ce serait là le premier commandement, dont elles distinguent la défense d’adorer Dieu sous des images, dans les v. 4-6, comme second commandement. Elles envisagent comme un seul les deux paroles commençant par : « Tu ne convoiteras point » (v. 17), qui forment ainsi le dixième commandement. L’ancienne paraphrase chaldaïque, les rabbins juifs du moyen âge et probablement déjà le Pentateuque samaritain agissaient de même à l’égard du dixième commandement ; mais ils donnaient à l’allocution du v. 2 la valeur d’un commandement à part, puis réunissaient en un seul les deux défenses d’adorer d’autres dieux que Jéhova et de l’adorer lui- même en le représentant sous des images (v. 3-6). Enfin les Églises romaine et luthérienne, à l’exemple de saint Augustin, réunissent l’allocution du v. 2 et les deux défenses qui suivent,
v. 3-6. en un seul commandement, et pour retrouver le nombre 10 divisent le v. 17, d’après les deux « Tu ne convoiteras point, » en deux commandements distincts, le neuvième et le dixième. Le but de cette dernière répartition des dix paroles a été d’obtenir, d’un côté, le nombre 3, qui est censé rappeler la Trinité, pour les commandements qui se rapportent à Dieu, et, de l’autre, le nombre 7, rappelant la totalité, pour les commandements qui se rapportent aux hommes. Mais cette division en deux du commandement qui se rapporte à la convoitise, est très peu naturelle, et la réunion de la défense du v. 3 et de celle des v. 4-6 en un seul commandement est contraire à de nombreux passages, qui prouvent que la défense d’adorer un autre Dieu que l’Éternel ne se rapporte point au même péché que celle de l’adorer sous des image. C’est ce que fait voir l’histoire du veau d’or, qui n’était point destiné à représenter un autre Dieu que Jéhova (#Ex 32:5); par ce culte Israël transgressait la défense des
v. 4-6, non celle du v. 3; comparez également Juges VIII, 27, XVII, et surtout 1 Rois XII, 28 et suivants ; XV, 30, et ailleurs, où le péché de Jéroboam (les veaux d’or) est expressément distingué du péché d’Achab et de Jézabel (Baal et Astarté). Cette considération exclut également le second mode de répartition que nous avons exposé, celui des écoles juives. Nous nous rattachons par conséquent sans hésiter au premier. D’après celui-ci, la première partie du Décalogue contient, après une courte introduction (v. 2), cinq commandements qui rappellent le respect dû à Dieu et à tout ce qui lui appartient : sa personne, son culte, son nom, son, jour, enfin ses représentants (les parents). Sans doute le cinquième commandement pourrait être rattaché aussi à la seconde partie du Décalogue, qui renferme les devoirs résultant du respect dû aux hommes. Cependant il est évident que les parents sont à l’égard de leurs enfants autre chose que des égaux, de simples prochains. Mais si les autres hommes ne sont pas auprès de nous les représentants de Dieu dans le sens où le sont nos parents, ils portent néanmoins l’image de Dieu, et, comme tels, ils ont droit aussi avec tout ce qui leur appartient à notre respect. C’est ce que développe la seconde partie du Décalogue : respect pour la vie du prochain, pour son foyer domestique, pour ses propriétés et pour sa réputation. Enfin le dixième commandement montre que ce respect doit régler non seulement la conduite extérieure, mais encore les sentiments du cœur. Cette dixième parole renferme pour ainsi dire la transition de la loi à l’Évangile ; car l’expérience prouvera à Israël que la convoitise ne peut être extirpée que par l’Esprit régénérateur dont la communication est réservée à une alliance supérieure.
La vie d’un peuple comprend trois domaines principaux : la vie religieuse avec le culte qui en est la manifestation ; la vie de famille, et la vie sociale. Le Décalogue règle sommairement la vie israélite sous ces trois rapports : la vie religieuse et le culte dans les quatre premiers commandements; la vie de famille dans le cinquième; la vie sociale dans les cinq derniers. Ainsi, partant du principe le plus élevé, Dieu, le Décalogue descend à travers ces trois sphères jusqu’au point le plus profond et le plus personnel, le péché à détruire dans le cœur de chaque individu.
Par le fait qu’il règle de la sorte la vie israélite dans ses diverses sphères, le Décalogue se trouve renfermer la quintessence de la loi tout entière. Tous les développements subséquents qui formeront l’ensemble du code, renfermeront également ces trois sortes d’éléments : religieux (et moraux), civils et rituel. La loi du sabbat dans le Décalogue est le centre de toute la loi cérémonial ; le premier et le dixième commandement renferment en principe toute la loi religieuse et morale ; enfin les commandements relatifs au respect du prochain sont la base du droit, social. Ces trois sortes d’éléments étaient réclamés par la destination d’Israël. L’élément religieux, en unissant chaque individu à Dieu, formait le lien entre tous les membres de la communauté israélite. Les lois rituelles séparaient profondément ce peuple de tous les autres. L’élément civil en faisait un peuple civilisé, marchant de pair avec tous les autres. C’étaient donc bien là les conditions de l’éducation d’un peuple qui, tout en étant le peuple particulier de Dieu, grandissait en vue d’une mission universelle.
Il est difficile de savoir comment ces dix paroles étaient réparties entre les deux tables de pierre sur lesquelles elles furent gravées ; car il y a une si grande disproportion entre la longueur des cinq premiers commandements et celle des cinq derniers que l’on ne peut se représenter ceux-là gravés sur une table, ceux-ci sur l’autre. On a supposé que les cinq premiers sous leur forme primitive n’étaient pas plus longs que les cinq derniers ; les considérants et les développements qu’ils renferment aujourd’hui ne seraient ainsi que des adjonctions postérieures. Mais on ne saurait comprendre quel homme aurait eu plus tard assez d’autorité pour imposer au peuple et faire recevoir de lui comme divines de semblables amplifications. Il est plus simple de penser que la première table renfermait seulement nos trois premiers commandement, et la seconde les sept derniers depuis celui du sabbat, ce qui donne deux parties d’étendue à peu près égales.
Nous trouvons dans le Deutéronome ch. V, une répétition du Décalogue. Elle présente plusieurs changements dont deux surtout sont importants : Le repos à accorder aux serviteurs et aux animaux domestiques, le jour du sabbat, est motivé par le souvenir que doit. garder le peuple de son affranchissement du dur travail auquel il était assujetti en Égypte. Dans le dixième commandement, Moïse, au lieu de dire comme il est écrit dans l’Exode : « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, » puis : « Tu ne convoiteras point la femme..., » intervertit l’ordre de ces deux défenses. Nous examinerons avec soin ces modifications.
Le don de ces deux tables gravées par le doigt de Dieu lui-même est l’un des miracles les plus surprenants que présente l’histoire sainte. Nulle part peut-être la supposition d’un élément légendaire ne pourrait se présenter à l’esprit plus facilement. Mais il y a une circonstance qui suffit à écarter toute idée de ce genre ; c’est que le récit du plus grand péché qui soit reproché à Israël est étroitement lié à celui de ce don divin. Il faudrait faire aussi de toute l’histoire du veau d’or une pure légende, si l’on traitait de la sorte le récit des tables de pierre brisées par Moïse à cause de ce péché et remplacées après le pardon de Dieu. Mais sans une base historique comment se serait formée une
légende qui fait jouer à tout le peuple et à Aaron lui-même, le futur grand sacrificateur, un rôle si criminel et si sévèrement puni ?