Lycée Gerson : "La posture ne suffit pas pour faire avancer un projet chrétien"
PROPOS RECUEILLIS PAR CONSTANCE DE BUOR
CRÉÉ LE 16/04/2014 / MODIFIÉ LE 16/04/2014 À 17H01
© PIERRE ANDRIEU / AFP © PIERRE ANDRIEU / AFP
Lundi, Europe 1 faisait état de “dérives intégristes” dans cet établissement privé catholique du 16ème arrondissement. Dans un reportage, une élève et un professeur dénonçaient une intervention d'Alliance Vita sur l'avortement ainsi que l'influence de l'Opus Dei qui y répandrait “une vision des plus obscurantistes de notre société”. Tous deux visés par les allégations d'Europe 1, les mouvements ont réagi depuis dans deux communiqués (à lire ici et là). Pour le blogueur Pierre-Emmanuel Gobry, ancien élève de Gerson, “toute cette histoire est fondée uniquement sur du on-dit et une seule source secondaire”. Et de citer le communiqué de l'établissement selon lequel “les autres retours [d’élèves] ne font pas état d’un tel discours”. Pour aller plus loin, La Vie a interrogé Jean-François Canteneur, adjoint au directeur diocésain de l'Enseignement catholique à Paris – qui regroupe 90 écoles, 50 collèges et 50 lycées.
Qui est responsable d'un projet d'établissement ?
Le projet relève de la communauté éducative dont le directeur fait partie et qu'il emmène. Chaque communauté éducative porte une intuition originelle et une manière de faire. Gerson a été fondé non pas par une congrégation, mais par des prêtres diocésains de Paris, dans les années 1880. Sa création s'est faite dans une logique d'ouverture et dans le souci d'une présence des éducateurs auprès des élèves. Ça peut paraître évident, mais à l'époque c'était novateur. Le fondateur faisait volontiers du sport avec les élèves. Les matières non académiques tenaient une bonne place, comme dans les collèges anglais. Les professeurs étaient invités à prendre en charge la relation d'éducation. Gerson se voulait ouvert à tous types d'élèves et pas seulement aux enfants de paroissiens. Il s'agissait d'accueillir tout le monde, dans un esprit non doctrinaire, d'éviter tout esprit de système et de créer cette « atmosphère animée d’un esprit évangélique de liberté et de charité » dont a parlé Vatican II 80 ans après.
Les interventions comme celle donnée par Alliance Vita ne sont-elles pas censées être facultatives ?
Je n'ai pas le fin de mot du statut de cette intervention. Si ce n'est qu'à côté de la catéchèse, il y a dans un certain nombre d'établissements ce que l'on appelle la « formation humaine et spirituelle », (en alternative ou en complément de la catéchèse) et dont ce genre de conférence semble relever. En tout cas, Alliance Vita n'est pas intervenue dans le cadre des cours à caractère obligatoire, mais dans un cadre qui sort de celui défini par le contrat d'association. Un établissement n'est pas un self-service ou un supermarché : l'intervention faisait partie des propositions certes non obligatoires, où l'appel n'est pas fait et que les élèves sont en droit de décliner, mais auxquelles l'équipe éducative demande autant que possible aux élèves de répondre. On a vite fait de considérer que rendre ces séances complètement facultatives garantit la liberté de conscience. Pas sûr que cela suffise. On peut aussi envisager de demander aux élèves d'être présents tout en considérant vraiment que le débat restera ouvert.
Ce qui suppose une diversité dans les propos et les interventions...
En effet. Je n'ai pas assisté à cette séance à Gerson. Des élèves en sont sortis choqués. Ce qui semble problématique, c'est que la place ne soit pas faite pour le dialogue, la concertation, la contradiction... Si des professeurs et des parents d'élèves ont besoin de s'exprimer anonymement par voie de presse, c'est qu'ils ne savent plus comment se faire entendre. Le rôle d'une direction diocésaine, n'est pas de prendre les manettes à la place des chefs d'établissements à qui nous tenons à garantir une liberté d'action. Mais d'écouter, d'accompagner ceux qui y vivent et y travaillent, de travailler à la médiation, à l'éclaircissement des règles de conduite. A faire un travail sur le langage commun, sur le sens des mots, la manière de dire les choses, pour que chacun comprenne le projet et puisse sentir qu'il travaille dans le même sens que son voisin. Nous sommes là pour encourager.
Comment la communauté éducative est-elle appelée à relayer la doctrine de l'Eglise dans vos établissements ?
Entre la catéchèse, l'approfondissement de la foi et la préparation des sacrements d'un côté, et de l'autre l'étude des contenus de la foi à la lumière de la raison, dans un climat d'ouverture et de dialogue, les lieux d'intervention sont multiples et l'enjeu est complexe. Au fondement du projet de l'Enseignement catholique, il y a l'idée de témoigner dans les actes, du souci de l'Eglise pour l'être humain. Cela passe d'abord par la relation interpersonnelle et ne prend sens que si une cohérence se dégage de la vie dans l'établissement. Ensuite, il y a ce que l'on célèbre au sein de l'établissement (et je ne parle pas seulement des cérémonies religieuses), comment on y parle du sens de la vie, de la vocation de l'être humain, de la vie en société... Il s'agit d'amener les jeunes à s'interroger, à découvrir le contenu du message chrétien, tout en respectant leur liberté de conscience.
Dans le climat actuel, redoutez-vous certaines crispations ou clivages dans vos établissements ?
La diversité et l'ouverture ne sont pas faciles à vivre. La société française a été traversée par des enflammements successifs, qui rendent l'altérité plus difficile, la diversité plus suspecte et peuvent aboutir à des crispations. Dans ce contexte, l'éducation n'est pas facilitée non plus... Tout est plus simple quand l'on appartient à un plus petit établissement avec davantage d'unité, une communauté unanimement sur la même longueur d'ondes. Le contexte social et culturel complique aussi l'expression des convictions. Or parmi les jeunes générations, un certain nombre d'éducateurs tiennent à annoncer de façon très directe leur foi chrétienne. Quand ils s'imaginent que l'affirmation de leurs convictions renforcera le compagnonnage et la relation d'éducation, que de toute façon ils sont légitimes et portés par l'identité chrétienne de l'établissement, cela peut produire des étincelles. Cette posture ne suffit pas à rassembler les personnes pour les faire avancer autour d'un projet chrétien. Évangéliser oui, mais attention à la réaffirmation alimentée par une certaine fierté, parfois sans pudeur, et à la logique de conquête. L'annonce ne veut pas dire que l'on peut faire fi de la délicatesse et de la capacité à entendre la contradiction. Dans nos établissements, il y a de nombreux adultes pas franchement pratiquants mais qui font vraiment œuvre de charité et de service à la manière chrétienne. Demandons-nous donc comment rejoindre les gens à travers un vrai dialogue où l'Esprit saint passe, comment annoncer le message chrétien sans l'édulcorer, mais en évitant de cliver, d'exclure, de crisper, pour arriver à former une communauté et à faire œuvre de Salut. La force de l'institution ne suffit plus et c'est peut-être tant mieux.
PROPOS RECUEILLIS PAR CONSTANCE DE BUOR
CRÉÉ LE 16/04/2014 / MODIFIÉ LE 16/04/2014 À 17H01
© PIERRE ANDRIEU / AFP © PIERRE ANDRIEU / AFP
Lundi, Europe 1 faisait état de “dérives intégristes” dans cet établissement privé catholique du 16ème arrondissement. Dans un reportage, une élève et un professeur dénonçaient une intervention d'Alliance Vita sur l'avortement ainsi que l'influence de l'Opus Dei qui y répandrait “une vision des plus obscurantistes de notre société”. Tous deux visés par les allégations d'Europe 1, les mouvements ont réagi depuis dans deux communiqués (à lire ici et là). Pour le blogueur Pierre-Emmanuel Gobry, ancien élève de Gerson, “toute cette histoire est fondée uniquement sur du on-dit et une seule source secondaire”. Et de citer le communiqué de l'établissement selon lequel “les autres retours [d’élèves] ne font pas état d’un tel discours”. Pour aller plus loin, La Vie a interrogé Jean-François Canteneur, adjoint au directeur diocésain de l'Enseignement catholique à Paris – qui regroupe 90 écoles, 50 collèges et 50 lycées.
Qui est responsable d'un projet d'établissement ?
Le projet relève de la communauté éducative dont le directeur fait partie et qu'il emmène. Chaque communauté éducative porte une intuition originelle et une manière de faire. Gerson a été fondé non pas par une congrégation, mais par des prêtres diocésains de Paris, dans les années 1880. Sa création s'est faite dans une logique d'ouverture et dans le souci d'une présence des éducateurs auprès des élèves. Ça peut paraître évident, mais à l'époque c'était novateur. Le fondateur faisait volontiers du sport avec les élèves. Les matières non académiques tenaient une bonne place, comme dans les collèges anglais. Les professeurs étaient invités à prendre en charge la relation d'éducation. Gerson se voulait ouvert à tous types d'élèves et pas seulement aux enfants de paroissiens. Il s'agissait d'accueillir tout le monde, dans un esprit non doctrinaire, d'éviter tout esprit de système et de créer cette « atmosphère animée d’un esprit évangélique de liberté et de charité » dont a parlé Vatican II 80 ans après.
Les interventions comme celle donnée par Alliance Vita ne sont-elles pas censées être facultatives ?
Je n'ai pas le fin de mot du statut de cette intervention. Si ce n'est qu'à côté de la catéchèse, il y a dans un certain nombre d'établissements ce que l'on appelle la « formation humaine et spirituelle », (en alternative ou en complément de la catéchèse) et dont ce genre de conférence semble relever. En tout cas, Alliance Vita n'est pas intervenue dans le cadre des cours à caractère obligatoire, mais dans un cadre qui sort de celui défini par le contrat d'association. Un établissement n'est pas un self-service ou un supermarché : l'intervention faisait partie des propositions certes non obligatoires, où l'appel n'est pas fait et que les élèves sont en droit de décliner, mais auxquelles l'équipe éducative demande autant que possible aux élèves de répondre. On a vite fait de considérer que rendre ces séances complètement facultatives garantit la liberté de conscience. Pas sûr que cela suffise. On peut aussi envisager de demander aux élèves d'être présents tout en considérant vraiment que le débat restera ouvert.
Ce qui suppose une diversité dans les propos et les interventions...
En effet. Je n'ai pas assisté à cette séance à Gerson. Des élèves en sont sortis choqués. Ce qui semble problématique, c'est que la place ne soit pas faite pour le dialogue, la concertation, la contradiction... Si des professeurs et des parents d'élèves ont besoin de s'exprimer anonymement par voie de presse, c'est qu'ils ne savent plus comment se faire entendre. Le rôle d'une direction diocésaine, n'est pas de prendre les manettes à la place des chefs d'établissements à qui nous tenons à garantir une liberté d'action. Mais d'écouter, d'accompagner ceux qui y vivent et y travaillent, de travailler à la médiation, à l'éclaircissement des règles de conduite. A faire un travail sur le langage commun, sur le sens des mots, la manière de dire les choses, pour que chacun comprenne le projet et puisse sentir qu'il travaille dans le même sens que son voisin. Nous sommes là pour encourager.
Comment la communauté éducative est-elle appelée à relayer la doctrine de l'Eglise dans vos établissements ?
Entre la catéchèse, l'approfondissement de la foi et la préparation des sacrements d'un côté, et de l'autre l'étude des contenus de la foi à la lumière de la raison, dans un climat d'ouverture et de dialogue, les lieux d'intervention sont multiples et l'enjeu est complexe. Au fondement du projet de l'Enseignement catholique, il y a l'idée de témoigner dans les actes, du souci de l'Eglise pour l'être humain. Cela passe d'abord par la relation interpersonnelle et ne prend sens que si une cohérence se dégage de la vie dans l'établissement. Ensuite, il y a ce que l'on célèbre au sein de l'établissement (et je ne parle pas seulement des cérémonies religieuses), comment on y parle du sens de la vie, de la vocation de l'être humain, de la vie en société... Il s'agit d'amener les jeunes à s'interroger, à découvrir le contenu du message chrétien, tout en respectant leur liberté de conscience.
Dans le climat actuel, redoutez-vous certaines crispations ou clivages dans vos établissements ?
La diversité et l'ouverture ne sont pas faciles à vivre. La société française a été traversée par des enflammements successifs, qui rendent l'altérité plus difficile, la diversité plus suspecte et peuvent aboutir à des crispations. Dans ce contexte, l'éducation n'est pas facilitée non plus... Tout est plus simple quand l'on appartient à un plus petit établissement avec davantage d'unité, une communauté unanimement sur la même longueur d'ondes. Le contexte social et culturel complique aussi l'expression des convictions. Or parmi les jeunes générations, un certain nombre d'éducateurs tiennent à annoncer de façon très directe leur foi chrétienne. Quand ils s'imaginent que l'affirmation de leurs convictions renforcera le compagnonnage et la relation d'éducation, que de toute façon ils sont légitimes et portés par l'identité chrétienne de l'établissement, cela peut produire des étincelles. Cette posture ne suffit pas à rassembler les personnes pour les faire avancer autour d'un projet chrétien. Évangéliser oui, mais attention à la réaffirmation alimentée par une certaine fierté, parfois sans pudeur, et à la logique de conquête. L'annonce ne veut pas dire que l'on peut faire fi de la délicatesse et de la capacité à entendre la contradiction. Dans nos établissements, il y a de nombreux adultes pas franchement pratiquants mais qui font vraiment œuvre de charité et de service à la manière chrétienne. Demandons-nous donc comment rejoindre les gens à travers un vrai dialogue où l'Esprit saint passe, comment annoncer le message chrétien sans l'édulcorer, mais en évitant de cliver, d'exclure, de crisper, pour arriver à former une communauté et à faire œuvre de Salut. La force de l'institution ne suffit plus et c'est peut-être tant mieux.