Les bactéries résistantes tueront-elles bientôt 10 millions de personnes par an ?
Mots clés : antibiotiques, Antibiorésistance, Médicament, bactéries, Bactéries multi-résistantes
Par figaro iconCécile Thibert - le 21/05/2016
Un rapport britannique publié 19 mai annonce la mort de millions de personnes si aucune mesure n'est prise pour lutter contre le développement des bactéries multi-résistantes aux antibiotiques.
Lorsqu'Ernest Duchesne en 1897, puis Alexander Fleming en 1928 isolèrent pour la première fois des antibiotiques produits par des moisissures, avaient-ils imaginé que, quelques siècles plus tard, cette incroyable découverte deviendrait une sérieuse menace pour l'humanité et un certain nombre d'espèces animales? Un rapport du gouvernement britannique publié le 19 mai estime en effet que d'ici 2050, 10 millions de personnes mourront chaque année des suites d'une infection à bactéries résistantes, soit plus que le cancer aujourd'hui. A moins qu'une action soit amorcée à l'échelle du globe afin d'endiguer ce fléau.
Le problème, c'est que les antibiotiques, qui ont sauvé des millions de vie tout au long du 20ème siècle, sont de moins en moins efficaces à mesure qu'on les utilise de façon excessive. Ils pourraient même devenir totalement impuissants face aux bactéries pathogènes qui nous assaillent. En conséquence, des infections mineures, telle qu'une infection urinaire, pourraient se transformer en septicémies (infections bactériennes graves et généralisées), et des actes médicaux requérant des antibiotiques, comme une greffe, une chimiothérapie ou une opération cardiaque, pourraient devenir trop risqués à réaliser.
12.500 décès par an France
«Nous sommes dans une période de rupture dont la gravité nous échappe encore, explique Antoine Andremont, directeur du laboratoire de bactériologie de l'hôpital Bichat à Paris. Pour le moment, nous disposons presque toujours d'au moins un antibiotique qui fonctionne. Mais il arrive désormais qu'un patient souffre d'une infection résistante à tous les antibiotiques dont nous disposons. Il est alors très difficile de le soigner». En 2012, l'Institut national de veille sanitaire indiquait que 158.000 personnes ont contracté une infection à bactéries multi-résistantes -c'est-à-dire résistantes à plusieurs familles d'antibiotiques- en France cette année-là. Parmi elles, 12.500 sont décédées.
Mais d'où viennent donc ces bactéries résistantes aux antibiotiques? «La résistance aux antibiotiques existait dans la nature bien avant que l'homme ne découvre les antibiotiques», explique Yves Millemann, un enseignant-chercheur de l'Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort, spécialisé dans les questions de résistance bactérienne. En effet, les antibiotiques -substances chimiques qui agissent sur le fonctionnement des bactéries, et qui, de ce fait, inhibent leur croissance ou les tuent- sont produits dans la nature par des micro-organismes tels que les champignons ou les bactéries elles-mêmes! «Une bactérie qui produit un antibiotique contre d'autres bactéries peut donc posséder un gène de résistance contre cet antibiotique, afin qu'elle ne s'intoxique pas avec son propre poison», poursuit Yves Millemann. Et les bactéries, invisibles mais très évolutives, coopèrent entre-elles pour s'échanger les gènes qui les protègent.
Pas de frontières
Avec l'utilisation abusive d'antibiotiques, tant dans l'élevage animal que dans la médecine humaine, une pression de sélection s'est installée. En contact avec des antibiotiques, les bactéries possédant un ou plusieurs gènes de résistance ont été sélectionnées et ont prospéré au détriment de celles qui ne possédaient pas le précieux gène. «C'est dans les pays émergents comme l'Inde et la Chine, qu'il y a le plus de bactéries résistances, explique Antoine Andremont. Les génériques d'antibiotiques y sont en effet produits et vendus à très faibles coûts, et sont donc largement utilisés dans l'élevage».
Les bactéries multi-résistantes ne connaissent pas de frontières. De l'élevage animal, elles voyagent allégrement parmi l'eau, les boues d'épuration, le fumier, et se retrouvent donc logiquement dans nos assiettes. «Les aliments comme le lait, le fromage, les œufs et la viande ne sont pas stériles. Si les conditions d'hygiène dans les ateliers ne sont pas optimales, il peut y avoir une contamination par une bactérie résistante», explique Yves Millemann. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu'il faut cesser d'avaler tout ce qui n'est pas passé par un stérilisateur: en effet, même si ces bactéries ont acquis le gène de résistance, cela ne signifie pas qu'elles sont pathogènes (dangereuses) pour nous. D'ailleurs, notre propre consommation d'antibiotiques (143 millions de boîtes chaque année!) ne nous met pas à l'abri du développement d'une résistance au sein même de nos hôpitaux.
Mais les scientifiques se sont aperçus que la résistance aux antibiotiques est en fait souvent réversible dans les populations bactériennes. «Un gène de résistance à un antibiotique, c'est un peu comme un sac à dos rempli de cailloux, explique avec malice Yves Millemann. Quand elle est porteuse de ce gène, la bactérie est généralement ralentie et se multiplie moins vite. Donc quand elle n'est plus en contact avec l'antibiotique, elle est désavantagée et cherche à se débarrasser du gène».
Encore faut-il que la consommation d'antibiotiques diminue. Pour cela, le rapport britannique publié cette semaine préconise plusieurs mesures: des campagnes d'information sur l'antibiorésistance à destination du grand public, le développement de nouveaux antibiotiques (aucun antibiotique présentant un nouveau mécanisme d'action n'a été développé depuis 20 ans), et surtout, un usage contrôlé des antibiotiques chez l'homme et l'animal, auquel pourrait contribuer l'essor des tests diagnostiques.