bible SER.
. Ces événements des derniers temps, dont Dieu lui accorde la révélation consolante, le voyant ne les contemple pas d’une manière immédiate. Ils ne lui apparaissent pas tels qu’ils se produiront en réalité ; ils lui sont montrés dans des visions symboliques. Les grandes scènes de la consommation du royaume de Dieu ne se déroulent pas seulement sur la terre, mais dans le ciel. Elles ressortent de ce monde invisible que l’œil de l’homme ne peut sonder et que le langage humain ne peut exprimer (#1Co 2:9 ; #2Co 12:3,4). C’est pourquoi Jean voit des figures dont les traits matériels ont une signification spirituelle ; ce n’est pas le détail extérieur du tableau qui a de la valeur ; c’est son sens profond qui doit attirer l’attention et exercer la réflexion du lecteur. Ainsi le Sauveur ne se présente jamais à Jean tel qu’il est vraiment, mais avec des attributs qui figurent ce qu’il a été ou présagent ce qu’il va faire. Il apparaît, dès le début de la vision (#Apo 1:9-20), sous un aspect étrange, minutieusement décrit ; plus tard, « un agneau immolé », placé « au milieu du trône », le représentera dans son rôle de rédempteur et de roi (#Apo 5:6). Ailleurs, il se montre comme un guerrier monté sur un cheval blanc et revêtu d’un manteau teint de sang ; il est alors le Juge et l’exécuteur des jugements de Dieu. Le ciel qui s’ouvre aux regards du voyant est construit sur le plan du temple de Jérusalem. Les êtres qui y entourent le trône de Dieu sont dépeints sous des traits que notre imagination a de la peine à saisir et qu’il serait difficile de reproduire par le dessin. Il en est de même des êtres symboliques qui représentent l’Église et les puissances du monde qui luttent avec elle sur la terre. La bête à sept têtes et à dix cornes figure l’empire romain, et la prostituée, assise sur la bête, sa capitale, Rome. Une bataille rangée (#Apo 16:12 et suivants), ou quelque scène mystérieuse qui se passe en partie dans le ciel, en partie sur la terre (#Apo 12), indique les crises décisives que traverse le règne de Dieu. Le langage de l’auteur est rempli de types empruntés à l’Ancien Testament : « la montagne de Sion » et « la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel », sont le refuge et le séjour des rachetés ; Méguiddo est le théâtre de la lutte décisive (#Apo 16:16) ; Israël et ses douze tribus figurent l’Église (#Apo 7:1-8; 14:1 et suivants) ; Babylone sur l’Euphrate, c’est Rome (#Apo 17; 18). Les catastrophes qui atteignent les hommes ressemblent aux plaies d’Égypte. Enfin les nombres symboliques jouent un grand rôle dans l’Apocalypse. Il résulte de ces caractères que le sens de cette « révélation » demeure souvent caché. L’interprétation en est rendue difficile par le fait que, dans maint de ces tableaux prophétiques, il n’est pas possible de dire exactement où finit le symbole et où commence la réalité, ce qu’il faut prendre au propre ou ce qui n’est qu’une image. L’auteur lui-même n’aurait pas été capable, très probablement, de fixer cette limite.
2. L’Apocalypse, avec les caractères que nous venons d’indiquer, est seule de son genre dans le Nouveau Testament. Mais la littérature juive des temps qui ont précédé la venue du Christ et la littérature chrétienne des premiers siècles comptent de nombreux ouvrages analogues{1}. L’apocalypse de Jean, tout en présentant de frappantes ressemblances avec quelques-unes de ces apocalypses juives et chrétiennes, se distingue d’elles avantageusement par sa cohésion et sa relative sobriété, sa belle ordonnance, l’élévation de ses vues, la profondeur de quelques-unes de ses sentences. Elle est signée, et son auteur atteste que Dieu lui a montré les visions qu’il décrit, tandis que les apocalypses juives sont anonymes ; leurs auteurs les placent sous le patronage de quelque personnage vénéré de leur peuple : Hénoch, Moïse, Élie, Esdras, etc. En se nommant, Jean est revenu à la tradition des prophètes d’Israël qui exercèrent leur ministère pendant ou après l’exil, d’un Ézéchiel et d’un Zacharie. Leur tâche avait été d’entretenir dans les âmes des Israélites en captivité l’espérance du retour dans leur patrie, du rétablissement de leur nation et de l’avènement du règne messianique. Ils le firent par des tableaux symboliques{2}. L’auteur du livre de Daniel remplit la même mission consolatrice au sein du peuple juif persécuté et menacé de destruction. Jean s’était nourri de ces livres canoniques de l’ancienne Alliance, qui ont été sa principale source d’inspiration. Sans les citer expressément, il leur emprunte la plupart des traits qui apparaissent dans ses visions. Nous aurons l’occasion de noter ces points de contact dans tout le cours de notre commentaire{3}.
3. Cette imitation des prophètes antérieurs, comme aussi le plan savamment combiné de l’ouvrage, sont des indices certains d’un travail de composition. Jean n’a pas écrit son livre dans un état d’extase. Le détail des scènes qu’il dépeint et des traits qu’il attribue aux personnages de son drame, ne lui a pas été révélé par Dieu d’une manière immédiate. Mais il n’en a pas moins eu de vraies visions. Il l’affirme solennellement, et nous n’avons pas de raisons de douter de sa sincérité et de considérer cette forme qu’il donne à sa révélation comme fictive, comme une simple convention littéraire. Il avait l’esprit rempli des images employées par Ézéchiel, Zacharie, Daniel, et quand il fut ravi en extase, les scènes qu’il contempla prirent tout naturellement un caractère semblable à celles qui sont dépeintes dans les livres de ces prophètes. Puis, quand, revenu à lui-même, il mit par écrit ce qu’il avait vu, il compléta les souvenirs de sa vision par les réminiscences de ses lecteurs{4}. Cette dépendance littéraire, comme aussi le travail de réflexion qui se montre dans le groupement des matériaux, n’excluent pas l’inspiration divine. L’action de l’Esprit de Dieu a été nécessaire tout d’abord pour fortifier la foi de Jean et lui permettre d’affirmer avec une conviction inébranlable que la petite et faible Église du Christ triompherait de toutes les puissances du monde païen liguées contre elles. Elle s’est exercée aussi sur son esprit, croyons-nous, pour lui donner l’intuition de certains faits spéciaux qui devaient s’accomplir et qui étaient encore, au moment où il écrivait son livre, en dehors des prévisions naturelles.
L’action révélatrice exercée sur Jean par l’Esprit de Dieu ne conféra pas l’infaillibilité à sa prophétie ; elle ne l’exempta pas de ce défaut de perspective, commun à toutes les prophéties bibliques, grâce auquel apparaissent sur un même plan des événements qui ne devaient s’accomplir qu’à de longs intervalles. C’est ainsi, en particulier, que Jean partagea l’illusion de tous les chrétiens de l’âge apostolique qui attendaient dans un avenir très rapproché le retour du Seigneur et la fin de l’économie présente.
Notes 1 à 4
{1} Comparez Schürer, Geschichte des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 3e édition, 1898, III, pages 181-273.
— Die Apokryphen und Pseudepigraphen des Alten Testaments (traductions annotées et introductions) publiés sous la direction de E. Kautzsch, 1900.
{2} Comparez Reuss, L’Apocalypse (La Bible, tome XII), 1878, pages 6-9.
{3} Dans ces derniers temps, des savants ont cherché à prouver que l’auteur de l’Apocalypse, et les prophètes hébreux avant lui, empruntaient leurs images à d’antiques mythes cosmogoniques, transformés au cours des siècles en traditions apocalyptiques. Ils auraient accepté ces traditions sans en connaître l’origine. Ainsi Gunkel (Schöpfung und Chaos in Urzeit und Endzeit, 1895) trouve dans #Apo 12 le mythe babylonien de la lutte du dieu Mardouk avec le monstre Thiâmat, qui représente le chaos. Comparez Bousset, Die Offenbarung Johannis, 1896, page 139.