LE PLUS. Plus de 10 millions de vues en moins d’une semaine pour la vidéo "I Forgot My Phone", qui moque l’usage abusif du téléphone portable. Mais pourquoi un tel succès ? Le sentiment de culpabilité de certains y est sûrement pour quelque chose, comme nous l’explique Michael Stora, président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.
Édité par Rémy Demichelis Auteur parrainé par Helene Sergent
Certains disent que ces objets numériques, comme le téléphone portable, sont une source de mal-être, mais je ne fais pas partie de ceux-là.
Dans la vidéo "I Forgot my phone", on voit des gens qui ont un usage compulsif du téléphone portable. En couple, entre amis, dans un dîner. Il devient alors un "doudou numérique". Il y a un côté rassurant et régressif dans ces usages qui peut devenir dérangeant. Mais tout usage des nouvelles technologies ne doit pas être forcément vu comme nocif.
Par exemple, on voit un couple dans lequel un membre regarde son téléphone au lit. Seulement, il ne faut pas être toujours dans cet idéal du couple fusionnel. Sans parler d’infidélité, chaque membre peut avoir envie de regarder ce qu’il se passe ailleurs dans le monde sans être forcément avec l’autre.
Le téléphone peut aussi servir à un moment de partage dans une relation amoureuse : si un ami m’a envoyé une vidéo et que je veux la montrer à mon copain ou ma copine.
Un problème au sein du couple
Toutefois, lors d’un dîner de Saint Valentin par exemple, si un membre du couple consulte ses SMS à outrance, oui, il y a un souci. Mais il y a sûrement déjà un problème de communication entre les conjoints, voire un problème au sein même du couple.
Accuser le portable serait de la flemme intellectuelle. N’en faisons pas un fétiche. La question qu’il faut se poser est : à qui la faute ?
L'autofiction éternelle
Cette vidéo est une bonne illustration de la tendance à l’autofiction éternelle. On le voit bien lors du passage de l’anniversaire. La présence de la caméra donne en plus un côté show à l’événement, alors qu’il est au fond assez banal. Nous avions déjà l’appareil photo argentique et les caméras vidéo auparavant. Les nouvelles technologies ne viennent que révéler et amplifier un phénomène narcissique.
Ce que j’ai observé, notamment depuis le succès de la téléréalité, c’est la désacralisation de l’image. Donc par opposition, les images deviennent plus vulgaires. Lorsque les individus s’inspirent de ce genre, ils produisent des clichés d’eux-mêmes et vulgarisent leur propre image parce qu’ils en abusent. Mais la technologie n’est pas à blâmer.
Les personnes qui ont tendance à être scotchées à leur portable sont bien souvent en grand manque de reconnaissance. Tout le monde a besoin de reconnaissance, mais il y a pour certains une fragilité narcissique.
Un employé pour qui le patron a peu d’estime ira sur "Candy Crush", à la recherche de récompenses de façon compulsive. Un ou une sur lequel/laquelle personne ne pose les yeux ira sur "Adopte un mec" pour satisfaire son besoin de séduction.
Un sentiment de culpabilité
À travers cette vidéo, ces comportements sont dénoncés, et son succès atteste certainement d’un sentiment de culpabilité de la part des internautes. De la même manière que les asexués ont parfois des rapports sexuels addictifs, ceux qui prônent l’abstinence de nouvelles technologies en ont fait un usage excessif.
Seulement, il ne faut pas toujours envisager cela avec inquiétude. Et si, dans cette vidéo, tous les personnages semblent finalement assez seuls, le téléphone n’est pas à l’origine de leur solitude.
Propos recueillis par Rémy Demichelis