Sommes-nous programmés pour croire ?
SARAH CESTAU
La science neurologique n'a pas manqué de rechercher la trace de la foi dans la cerveau humain. Mais le religieux ne se laisse pas facilement réduire, comme le montre notre enquête.
Avons-nous un interrupteur « divin » dans la tête ? Un bout de cervelle, une disposition particulière des neurones qui permettrait de nous identifier comme croyant ou non ? Les neuroscientifiques, notamment aux États-Unis, depuis les années 1980, travaillent en tout cas sur cette hypothèse. D’où le développement d’un champ original de la recherche : la neurothéologie.
Le gène de Dieu
En 2005, Dean Hamer, un généticien américain, prétendait avoir isolé le « gène de Dieu » censé déterminer notre potentiel génétique à croire. Mille volontaires avaient répondu à des questions sur leurs affinités religieuses pour établir ce constat, lequel n’a cependant jamais fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique…
Sans aller jusqu’à ces extrémités, l’enjeu pour les chercheurs en neurothéologie est bien là : identifier, si ce n’est un point précis, du moins une région du cerveau qui a une activité spécifique lors d’« expériences » religieuses. C’est ce qu’ont fait en 1999 les Américains Andrew Newberg, neuroscientifique, et Eugene d’Aquili, psychiatre, qui ont scanné à l’IRM les cerveaux de moines bouddhistes en méditation. En 2006, Mario Beauregard, neuroscientifique québécois, a réitéré l’expérience sur 15 carmélites en oraison. Les résultats ont simplement montré que le cerveau, dans son ensemble, est actif, même si certaines aires sont sollicitées plus que d’autres dans ces moments de grâce.
Un état mental altéré
Les spécialistes en neurosciences sont donc capables de voir grâce à l’imagerie l’activité cérébrale lors d’un instant de communion bien défini : la méditation, l’oraison… Mais le reste du temps, le croyant a-t-il une activité cérébrale identique à celle du non-croyant ? Croire, avoir la foi, ne se verrait-il que lors de ces moments de partage intense avec le divin ?
« Les neurosciences sociales ont tendance à déduire de comportements individuels des propriétés sociales », explique Pierre-Henri Castel, directeur de recherches au CNRS et psychanalyste. Cette approche mène à « la réduction de la foi à un état mental altéré. » Elle exclut toute la dimension sociale de la religion.
Qui plus est, les pratiques religieuses sont différentes selon que l’on est juif, catholique, musulman ou bouddhiste. Elles ne peuvent s’entasser sous une grande étiquette « religion ». La recherche scientifique du sacré dans le cerveau humain « écrase les distinctions fondamentales de la place des religions dans les sociétés ». Pierre-Henri Castel explique que ces études « cryogénisent le phénomène religieux, le réduisent à un instant T de foi, sans tenir compte de l’Histoire et de son sens concret dans la vie des gens. »
L’étude neuroscientifique de la religion, par définition, ne prend pas en compte l’environnement dans lequel vivent les croyants. Comment en effet isoler cette donnée dans le cerveau ? Or, l’environnement est une donnée essentielle pour expliquer les différences de sensibilité : deux jumeaux, presque génétiquement identiques, ne réagissent pas de la même manière aux sollicitations religieuses. Dans ces conditions, trouver le fameux interrupteur devient un véritable tour de force pour les neuroscientifiques.
Le concept d’exaptation
Pascal Boyer, anthropologue et psychanalyste français, et Scott Atran, anthropologue américain, se démarquent de l’étude scientifique à l’imagerie en analysant la religion dans un prisme évolutionniste. Pour eux, les représentations de Dieu seraient les fruits d’une partie du cortex cérébral. L’homme évolue et développe certaines capacités plutôt que d’autres pour survivre. Une capacité, adoptée pour un usage concret, peut cependant avoir une utilité différente de celle pour laquelle elle a été sélectionnée. Par exemple, les plumes chez les oiseaux, utiles pour les protéger du froid, les ont ensuite aidés à voler : c’est le concept d’exaptation. Pour ce qui est de la religion, notre cerveau produirait des images d’ennemis imaginaires afin que nous restions vigilants face aux dangers potentiels. Mais ces images, recyclées, nous pousseraient à croire en des puissances surnaturelles protectrices.
Une trace du créateur
L’explication reste ici aussi très scientifique. Et un peu trop froide pour certains. Réductrice, même. Pour Jean Duchesne, membre de l’observatoire Foi et Culture de la Conférence des évêques de France, « on ne doit pas s’arrêter à la seule lecture rationnelle du phénomène religieux ». Mieux : même si des chercheurs démontraient qu’une aire de notre cerveau était clairement identifiée comme celle du « divin », « cela n’aurait pas de valeur pour celui qui croit ». Selon la constitution Dei Verbum de Vatican II : « Dieu, qui crée et conserve toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un témoignage incessant sur Lui-même. »
Les textes de la Révélation nous indiquent aussi, précise Jean Duchesne, que « Dieu se manifeste aux hommes par les moyens humains ». Ce que les scientifiques entendent isoler comme la preuve de la conception de Dieu par le cerveau serait en fait la manifestation d’une connexion avec lui. D’une certaine manière, ils prouveraient bien le lien entre Dieu et les croyants, mais pas Dieu lui-même. « La créature porte en elle la trace du créateur », résume Jean Duchesne. Les scientifiques peuvent donc continuer à scanner le cerveau humain pour faire avancer la science. Pour le reste, c’est une autre histoire.