Conspiration du silence contre le pape ?
AYMERIC CHRISTENSEN
Le vaticaniste Sandro Magister consacre, dans le numéro de cette semaine de l'hebdomadaire italien L'Espresso, une enquête au passé sulfureux de Mgr Battista Ricca, que le pape François avait nommé le 15 juin dernier pour le représenter à l'Institut pour les Œuvres de religion (IOR), la banque du Vatican.
Sa nomination devait être celle d'un homme de confiance. Elle s'est transformée en fiasco à cause du silence qui entourait sa personne à Rome. Ce n’est en effet qu'une semaine après la nomination de Battista Ricca que le pape a eu connaissance de ses antécédents « de nature à causer de sérieux dommages au pape lui-même et à sa volonté de réformes ». Personne n'avait pourtant émis la moindre réserve auparavant, ni dans la présentation du dossier personnel de Mgr Ricca (qui dirigeait la Maison Sainte-Marthe, où habite le pape), ni parmi les membres de la curie consultés à ce sujet.
C'est donc lors de la rencontre des nonces apostoliques à Rome, le 22 juin dernier, que « le pape a eu connaissance, par plusieurs sources, d’antécédents de Ricca qu’il avait jusqu’alors ignorés », notamment la double vie menée pendant plusieurs années par celui-ci.. Le même jour, le pape François renonçait au dernier moment à se rendre à un concert organisé en son honneur dans la grande salle Paul VI, ce qui avait donné lieu à de multiples commentaires.
François aurait depuis exprimé sa « douleur d’avoir été tenu dans l’ignorance de faits aussi graves », ainsi sa volonté de « remédier » à la nomination qu’il venait de faire, même si celle-ci n’était pas définitive mais « par intérim ».
Pour Sandro Magister, il y aurait eu derrière le silence qui entourait Battista Ricca un « piège » tendu au pape François, à travers la dissimulation délibérée d'« informations significatives », qui auraient convaincu le pape de ne pas le nommer « prélat » auprès de l'IOR. Et en matière d'informations « significatives », le dossier est effectivement pour le moins rocambolesque, à en juger par le « trou noir » que le journaliste met au jour dans son enquête.
Agé de 57 ans, Ricca est originaire du diocèse de Brescia et a fait l'essentiel de sa carrière dans les nonciatures (équivalents des ambassades pour le Vatican) de différents pays, avant d’être rappelé à Rome, à la secrétairerie d’état. Mais durant ses années passées à Montevideo, en Uruguay, Battista Ricca aurait entretenu une liaison avec un capitaine de l'armée suisse, Patrick Haari, qu'il avait réussi à faire salarier et loger à la nonciature même. Toujours selon le journaliste, « l'intimité des relations entre Ricca et Haari était tellement visible que de nombreux évêques, prêtres et laïcs de ce petit pays d’Amérique du Sud en furent scandalisés, parmi lesquels les religieuses qui travaillaient à la nonciature ».
Divers incidents sont également survenus pendant cette période. Ainsi, en 2001, Patrick Haari reçut des coups dans un lieu de rencontre pour homosexuels de la ville, où il s'était déjà rendu à plusieurs reprises, « et dut appeler des prêtres à l’aide pour se faire raccompagner à la nonciature, le visage tuméfié ». La même année, c'est Mgr Ricca lui-même qui fut retrouvé un matin par les pompiers en compagnie d'un jeune homme dans l'ascenseur de la nonciature, qui s'était bloqué dans la nuit.
En 2004, après le retour de Battista Ricca à Rome, Patrick Haari tenta de lui faire parvenir, « en tant que bagage diplomatique », des malles qui lui appartenaient. Face à refus de Ricca, celles-ci furent finalement ouvertes, dans le but de s'en débarrasser : « on y trouva un pistolet, qui fut remis aux autorités uruguayennes, et, en plus des effets personnels, une quantité énorme de préservatifs et de matériel pornographique ».
Tous ces éléments, « connus de plusieurs dizaines de personnes », ont été tenus selon Sandro Magister « sous une chape de silence » : « Au Vatican il y a des gens qui ont participé activement à cette opération de dissimulation. En freinant les enquêtes menées depuis l’époque des faits jusqu’à aujourd’hui. En occultant les rapports rédigés par le nonce. En veillant à ce que le dossier personnel de Ricca reste vierge. En agissant ainsi, ils ont aidé celui-ci à commencer une nouvelle et prestigieuse carrière ».
« Sa nomination en tant que "prélat" de l’IOR a été pour Ricca le couronnement de cette seconde carrière, poursuit le journaliste. Mais elle a également été le commencement de la fin. Pour le grand nombre d’honnêtes gens qui avaient connaissance de ses antécédents scandaleux, la nouvelle de sa promotion a été le motif d’une très grande amertume. Cela d’autant plus qu’elle est perçue comme annonciatrice de difficultés pour l’entreprise ardue de nettoyage de l’Église et de réforme de la curie romaine que le pape François est en train d’effectuer. C’est pour cette raison que certaines personnes ont considéré qu’il était de leur devoir de dire la vérité au pape. Avec la certitude que celui-ci en tirerait les décisions qui en résultent. »
Ajout du 19.07 à 10h50 :
Un autre vaticaniste, John Allen, rapporte dans le National Catholic Reporter que le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a démenti ces informations, les jugeant « peu crédibles » et soulignant que Mgr Battista Ricca conservait « toute la confiance » du pape, au moins pour le moment. De leur côté, Sandro Magister et L'Espresso se disent prêts à confirmer « point par point » leurs révélations, recueillies selon eux auprès de « témoins directs ».
http://www.lavie.fr/religion/lamatinale/conspiration-du-silence-contre-le-pape-19-07-2013-42632_400.php
AYMERIC CHRISTENSEN
Le vaticaniste Sandro Magister consacre, dans le numéro de cette semaine de l'hebdomadaire italien L'Espresso, une enquête au passé sulfureux de Mgr Battista Ricca, que le pape François avait nommé le 15 juin dernier pour le représenter à l'Institut pour les Œuvres de religion (IOR), la banque du Vatican.
Sa nomination devait être celle d'un homme de confiance. Elle s'est transformée en fiasco à cause du silence qui entourait sa personne à Rome. Ce n’est en effet qu'une semaine après la nomination de Battista Ricca que le pape a eu connaissance de ses antécédents « de nature à causer de sérieux dommages au pape lui-même et à sa volonté de réformes ». Personne n'avait pourtant émis la moindre réserve auparavant, ni dans la présentation du dossier personnel de Mgr Ricca (qui dirigeait la Maison Sainte-Marthe, où habite le pape), ni parmi les membres de la curie consultés à ce sujet.
C'est donc lors de la rencontre des nonces apostoliques à Rome, le 22 juin dernier, que « le pape a eu connaissance, par plusieurs sources, d’antécédents de Ricca qu’il avait jusqu’alors ignorés », notamment la double vie menée pendant plusieurs années par celui-ci.. Le même jour, le pape François renonçait au dernier moment à se rendre à un concert organisé en son honneur dans la grande salle Paul VI, ce qui avait donné lieu à de multiples commentaires.
François aurait depuis exprimé sa « douleur d’avoir été tenu dans l’ignorance de faits aussi graves », ainsi sa volonté de « remédier » à la nomination qu’il venait de faire, même si celle-ci n’était pas définitive mais « par intérim ».
Pour Sandro Magister, il y aurait eu derrière le silence qui entourait Battista Ricca un « piège » tendu au pape François, à travers la dissimulation délibérée d'« informations significatives », qui auraient convaincu le pape de ne pas le nommer « prélat » auprès de l'IOR. Et en matière d'informations « significatives », le dossier est effectivement pour le moins rocambolesque, à en juger par le « trou noir » que le journaliste met au jour dans son enquête.
Agé de 57 ans, Ricca est originaire du diocèse de Brescia et a fait l'essentiel de sa carrière dans les nonciatures (équivalents des ambassades pour le Vatican) de différents pays, avant d’être rappelé à Rome, à la secrétairerie d’état. Mais durant ses années passées à Montevideo, en Uruguay, Battista Ricca aurait entretenu une liaison avec un capitaine de l'armée suisse, Patrick Haari, qu'il avait réussi à faire salarier et loger à la nonciature même. Toujours selon le journaliste, « l'intimité des relations entre Ricca et Haari était tellement visible que de nombreux évêques, prêtres et laïcs de ce petit pays d’Amérique du Sud en furent scandalisés, parmi lesquels les religieuses qui travaillaient à la nonciature ».
Divers incidents sont également survenus pendant cette période. Ainsi, en 2001, Patrick Haari reçut des coups dans un lieu de rencontre pour homosexuels de la ville, où il s'était déjà rendu à plusieurs reprises, « et dut appeler des prêtres à l’aide pour se faire raccompagner à la nonciature, le visage tuméfié ». La même année, c'est Mgr Ricca lui-même qui fut retrouvé un matin par les pompiers en compagnie d'un jeune homme dans l'ascenseur de la nonciature, qui s'était bloqué dans la nuit.
En 2004, après le retour de Battista Ricca à Rome, Patrick Haari tenta de lui faire parvenir, « en tant que bagage diplomatique », des malles qui lui appartenaient. Face à refus de Ricca, celles-ci furent finalement ouvertes, dans le but de s'en débarrasser : « on y trouva un pistolet, qui fut remis aux autorités uruguayennes, et, en plus des effets personnels, une quantité énorme de préservatifs et de matériel pornographique ».
Tous ces éléments, « connus de plusieurs dizaines de personnes », ont été tenus selon Sandro Magister « sous une chape de silence » : « Au Vatican il y a des gens qui ont participé activement à cette opération de dissimulation. En freinant les enquêtes menées depuis l’époque des faits jusqu’à aujourd’hui. En occultant les rapports rédigés par le nonce. En veillant à ce que le dossier personnel de Ricca reste vierge. En agissant ainsi, ils ont aidé celui-ci à commencer une nouvelle et prestigieuse carrière ».
« Sa nomination en tant que "prélat" de l’IOR a été pour Ricca le couronnement de cette seconde carrière, poursuit le journaliste. Mais elle a également été le commencement de la fin. Pour le grand nombre d’honnêtes gens qui avaient connaissance de ses antécédents scandaleux, la nouvelle de sa promotion a été le motif d’une très grande amertume. Cela d’autant plus qu’elle est perçue comme annonciatrice de difficultés pour l’entreprise ardue de nettoyage de l’Église et de réforme de la curie romaine que le pape François est en train d’effectuer. C’est pour cette raison que certaines personnes ont considéré qu’il était de leur devoir de dire la vérité au pape. Avec la certitude que celui-ci en tirerait les décisions qui en résultent. »
Ajout du 19.07 à 10h50 :
Un autre vaticaniste, John Allen, rapporte dans le National Catholic Reporter que le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a démenti ces informations, les jugeant « peu crédibles » et soulignant que Mgr Battista Ricca conservait « toute la confiance » du pape, au moins pour le moment. De leur côté, Sandro Magister et L'Espresso se disent prêts à confirmer « point par point » leurs révélations, recueillies selon eux auprès de « témoins directs ».
http://www.lavie.fr/religion/lamatinale/conspiration-du-silence-contre-le-pape-19-07-2013-42632_400.php