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In Jesus' Name" : liberté artistique contre droit à l'intimité
Un an d'immersion dans une communauté évangélique en images. Du 5 juin au 1er septembre, Christian Lutz expose sa « Trilogie » photographique au musée de l'Élysée de Lausanne. Cependant, des clichés ont été censurés par la justice suisse suite à une plainte de plusieurs fidèles photographiés. Liberté de l'artiste contre droit à l'intimité, à chacun ses arguments.
« Il n'y a rien de blessant ni d'irrespectueux dans mes photos, affirme Christian Lutz. Des sociologues et des théologiens l'ont confirmé. » Le photographe suisse ne comprend pas la censure de plusieurs de ses clichés par l'Eglise ICF (International Christian Fellowship) de Zurich. De juin 2011 au printemps 2012, Christian Lutz a suivi cette communauté évangélique de manière intensive. Célébrations, concerts, soirées de speed-dating, voyages à la mer, camps en Israël, scènes de baptême ou détente en jacuzzi... L'artiste a participé à toutes les activités. Christian Lutz affirme avoir « travaillé comme un anthropologue : je n'avais pas l'impression d'être dans une église. L'ICF propose une vraie offre sociétale. C'est un spectacle permanent, avec un côté très contemporain qui nous met en faux par rapport à l'iconographie catholique et protestante. Derrière cela, je voulais voir quelle place restait pour la foi et la spiritualité ».
Des visages masqués
Le résultat : un livre de 57 photographies intitulé « In Jesus' Name » sorti en novembre dernier. Mais dix jours à peine après sa sortie, l'ouvrage a été interdit de diffusion à titre préventif par un tribunal zurichois. « On m'attaque sur un consentement que je n'aurais pas eu pour certains clichés. Mais c'est faux. La plupart des personnes photographiées étaient même partenaires du projet. » Sur les 57 photos que compte l'oeuvre, 19 sont contestées.
Ce qui n'empêche pas le photographe d'exposer une partie de ses clichés au Musée de l'Élysée de Lausanne depuis le 5 juin. « In Jesus' Name » constitue la troisième partie de la « Trilogie » de Christian Lutz. Après les pouvoirs politique et économique, le pouvoir religieux. Sur la vingtaine d'images exposées, moins d'une dizaine sont frappées par la censure. « Les sujets ne sont pas reconnaissables dans l'exposition. Leur visage est masqué. À leur place se trouve un bandeau où figure le motif de la plainte correspondant à chaque photo, précise le photographe. Ce n'est qu'une question d'interprétation de l'image. Beaucoup d'explications sont liées au sexe ou à la violence. Je ne suis pas d'accord que l'on puisse dire n'importe quoi sur mes photos », ajoute-t-il.
« Christian Lutz est allé trop loin »
Responsable du site de la fédération Romande d'Églises Évangéliques, Serge Carrel reconnaît l'originalité et l'exubérance de l'Église ICF : « Leurs cérémonies sont très différentes de celles des églises évangéliques romandes de tradition baptiste. Eux sont dans une dynamique de Mega Church. Il est déjà arrivé qu'un pasteur prêche dans une combinaison d'astronaute ou qu'il arrive dans une Ferrari rouge. Une fois, une gynécologue a fait une échographie diffusée sur grand écran en direct. C'est du pain béni pour le photographe. » Mais Serge Carrel est critique quant à l'éthique du photographe : « Au nom d'un certain idéal journalistique, Christian Lutz est allé trop loin. Il n'a pas demandé l'autorisation aux gens avant publication. Or, dans ce cas précis, on ne peut pas simplement demander l'autorisation à une institution. Certaines photos montrent des émotions et des gens en pleurs. » Parmi les photos incriminées, on trouve celle d'une femme en larmes juste avant son baptême ou encore un cliché montrant un père de famille avec sa fille adolescente entre ses genoux.
« Des réalités très différentes »
Serge Carrel reproche aussi à Christian Lutz d'avoir « mis sur le même plan des réalités très différentes : que ce soit son travail sur le pouvoir politique ou son travail sur les injustices économiques au Nigéria, ça marche, car on touche des problématiques de puissance. Mais ici, cela concerne des petites gens ».
Autre grief : « Christian Lutz n'a mis aucune légende ni titre à ses photos. Cela limite sa démarche par rapport au journalisme d'investigation », déclare le responsable de la FREE. Serge Carrel est agacé par la tournure que prend le débat : « L'ICF en question est située à Zurich mais on parle plus de l'affaire en Suisse romande qu'en Suisse germanophone. Lors du vernissage de l'exposition à Lausanne, beaucoup de politiques parlaient de protection de la liberté de la presse. Du coup, les évangéliques passent pour des censeurs ».
Vers un compromis?
De son côté, Christian Lutz espère pouvoir dévoiler l'intégralité de son travail. « Le procès aura probablement lieu après l'été. Avec mon avocat, nous répondons actuellement à un second dossier de plainte. Celui-ci réclame la destruction de toutes les images sur lesquelles figurent les plaignants. Ce que nous refusons absolument », affirme-t-il. Pour Serge Carrel, « la meilleure chose que Christian Lutz puisse faire serait de retourner à l'ICF pour négocier et argumenter avec les fidèles ». Pour les deux parties, il faudra certainement transiger. Pour permettre à l'artiste de prouver le sérieux de son travail, avec la certitude de ne froisser personne.
http://www.lemondedesreligions.fr/culture/in-jesus-name-liberte-artistique-contre-droit-a-l-intimite-26-06-2013-3176_112.php
Un an d'immersion dans une communauté évangélique en images. Du 5 juin au 1er septembre, Christian Lutz expose sa « Trilogie » photographique au musée de l'Élysée de Lausanne. Cependant, des clichés ont été censurés par la justice suisse suite à une plainte de plusieurs fidèles photographiés. Liberté de l'artiste contre droit à l'intimité, à chacun ses arguments.
« Il n'y a rien de blessant ni d'irrespectueux dans mes photos, affirme Christian Lutz. Des sociologues et des théologiens l'ont confirmé. » Le photographe suisse ne comprend pas la censure de plusieurs de ses clichés par l'Eglise ICF (International Christian Fellowship) de Zurich. De juin 2011 au printemps 2012, Christian Lutz a suivi cette communauté évangélique de manière intensive. Célébrations, concerts, soirées de speed-dating, voyages à la mer, camps en Israël, scènes de baptême ou détente en jacuzzi... L'artiste a participé à toutes les activités. Christian Lutz affirme avoir « travaillé comme un anthropologue : je n'avais pas l'impression d'être dans une église. L'ICF propose une vraie offre sociétale. C'est un spectacle permanent, avec un côté très contemporain qui nous met en faux par rapport à l'iconographie catholique et protestante. Derrière cela, je voulais voir quelle place restait pour la foi et la spiritualité ».
Des visages masqués
Le résultat : un livre de 57 photographies intitulé « In Jesus' Name » sorti en novembre dernier. Mais dix jours à peine après sa sortie, l'ouvrage a été interdit de diffusion à titre préventif par un tribunal zurichois. « On m'attaque sur un consentement que je n'aurais pas eu pour certains clichés. Mais c'est faux. La plupart des personnes photographiées étaient même partenaires du projet. » Sur les 57 photos que compte l'oeuvre, 19 sont contestées.
Ce qui n'empêche pas le photographe d'exposer une partie de ses clichés au Musée de l'Élysée de Lausanne depuis le 5 juin. « In Jesus' Name » constitue la troisième partie de la « Trilogie » de Christian Lutz. Après les pouvoirs politique et économique, le pouvoir religieux. Sur la vingtaine d'images exposées, moins d'une dizaine sont frappées par la censure. « Les sujets ne sont pas reconnaissables dans l'exposition. Leur visage est masqué. À leur place se trouve un bandeau où figure le motif de la plainte correspondant à chaque photo, précise le photographe. Ce n'est qu'une question d'interprétation de l'image. Beaucoup d'explications sont liées au sexe ou à la violence. Je ne suis pas d'accord que l'on puisse dire n'importe quoi sur mes photos », ajoute-t-il.
« Christian Lutz est allé trop loin »
Responsable du site de la fédération Romande d'Églises Évangéliques, Serge Carrel reconnaît l'originalité et l'exubérance de l'Église ICF : « Leurs cérémonies sont très différentes de celles des églises évangéliques romandes de tradition baptiste. Eux sont dans une dynamique de Mega Church. Il est déjà arrivé qu'un pasteur prêche dans une combinaison d'astronaute ou qu'il arrive dans une Ferrari rouge. Une fois, une gynécologue a fait une échographie diffusée sur grand écran en direct. C'est du pain béni pour le photographe. » Mais Serge Carrel est critique quant à l'éthique du photographe : « Au nom d'un certain idéal journalistique, Christian Lutz est allé trop loin. Il n'a pas demandé l'autorisation aux gens avant publication. Or, dans ce cas précis, on ne peut pas simplement demander l'autorisation à une institution. Certaines photos montrent des émotions et des gens en pleurs. » Parmi les photos incriminées, on trouve celle d'une femme en larmes juste avant son baptême ou encore un cliché montrant un père de famille avec sa fille adolescente entre ses genoux.
« Des réalités très différentes »
Serge Carrel reproche aussi à Christian Lutz d'avoir « mis sur le même plan des réalités très différentes : que ce soit son travail sur le pouvoir politique ou son travail sur les injustices économiques au Nigéria, ça marche, car on touche des problématiques de puissance. Mais ici, cela concerne des petites gens ».
Autre grief : « Christian Lutz n'a mis aucune légende ni titre à ses photos. Cela limite sa démarche par rapport au journalisme d'investigation », déclare le responsable de la FREE. Serge Carrel est agacé par la tournure que prend le débat : « L'ICF en question est située à Zurich mais on parle plus de l'affaire en Suisse romande qu'en Suisse germanophone. Lors du vernissage de l'exposition à Lausanne, beaucoup de politiques parlaient de protection de la liberté de la presse. Du coup, les évangéliques passent pour des censeurs ».
Vers un compromis?
De son côté, Christian Lutz espère pouvoir dévoiler l'intégralité de son travail. « Le procès aura probablement lieu après l'été. Avec mon avocat, nous répondons actuellement à un second dossier de plainte. Celui-ci réclame la destruction de toutes les images sur lesquelles figurent les plaignants. Ce que nous refusons absolument », affirme-t-il. Pour Serge Carrel, « la meilleure chose que Christian Lutz puisse faire serait de retourner à l'ICF pour négocier et argumenter avec les fidèles ». Pour les deux parties, il faudra certainement transiger. Pour permettre à l'artiste de prouver le sérieux de son travail, avec la certitude de ne froisser personne.
http://www.lemondedesreligions.fr/culture/in-jesus-name-liberte-artistique-contre-droit-a-l-intimite-26-06-2013-3176_112.php