Sète : visite au cœur du "royaume" des témoins de Jéhovah
KIKI PALASZ
04/04/2013, 11 h 21 | Mis à jour le 04/04/2013, 13 h 46
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La salle du royaume, quai des Moulins à Sète, accueille depuis le 1er avril 2005, un grand nombre de témoins de Jéhovah. (D.R)
Le temps d’une cérémonie, ouverte aux adeptes sétois, au public mais aussi aux curieux... visite dans la salle des Témoins de Jéhovah, quai des Moulins à Sète.
C’est une maison bleue au bord du canal, quai des Moulins. Des jeunes filles élégantes s’esclaffent, on dirait l’entrée d’une soirée, peut-être va-t-on danser ? Pas exactement. Ce mardi 26 mars, dans le Royaume des témoins de Jéhovah, on célébrait le dernier repas du divin, Jésus-Christ.
Une commémoration ouverte à la communauté des adeptes sétois, au public, aux curieux. Visite dans le lieu de culte de la troisième communauté chrétienne où 192 personnes sont présentes ce soir-là.
"Nous n’avons rien à cacher"
L’accueil est chaleureux, presque convivial. La grande salle à la moquette bleue, lumineuse, impeccablement entretenue, agrémentée de compositions florales de bon goût, est bondée. Des anciens, des jeunes, des enfants, des handicapés, tous endimanchés, se saluent mutuellement.
On croirait un gigantesque square dance. "Une nouvelle" s’exclame Gabriel (*) en voyant une jeune femme isolée. Le solide retraité posté à l’entrée a tout du bon vivant. Sa voie tonitruante annonce le visage inconnu d’un ton joyeux : "Venez, je vais vous présenter. Soyez bienvenue, vous ne connaissez personne ? Vous avez bien fait d’être curieuse, nous n’avons rien à cacher."
Pour une fois que les témoins de Jéhovah, champions du “pied dans la porte”, invitent chez eux. La tentation est trop grande d’observer cette communauté souvent considérée comme sectaire (lire ci-dessous).
"Si vous voulez partir, vous êtes libre"
Jacques (*) tend sa main amicale : "Voulez-vous une bible ? Ma femme vous garde une place à côté d’elle, troisième rang devant, vous pourrez vous mettre côté sortie si vous voulez partir, vous êtes libre." Instantanément, une femme d’allure discrète et souriante apparaît, synchronisation parfaite.
Une salle à gauche semble être une bibliothèque, à droite une autre salle vitrée abrite des croyants âgés. "Ici, on est plus au calme", commente l’adepte de Jéhovah. Au mur, sous des plaques de verre, en lettres bleues, en plusieurs langues, un même message : “sois courageux et fort, Jéhovah”. Un autel, cinq verres de vin, cinq assiettes contenant une galette ronde. Un homme en costume clair, monte sur l’estrade, s’installe au pupitre. Les croyants, se lèvent et prient : c’est parti.
L’homme debout parle. Son discours explique le déroulement de la cérémonie, son importance. Rien de bien différent des autres rites religieux. Soudain, "l’ancien", comme m’apprend ma voisine, se plonge dans une bible monumentale et invite les croyants à l’imiter pour vérifier dans les textes, ce qu’il vient d’énoncer.
Bruissement de pages qui se tournent, lecture de versets
Le discours continue, il va falloir se relever, et chanter. Prétextant l’oubli des lunettes, la novice évite de chanter. Un autre “ancien” vient au pupitre. Nouveau sermon, vérification dans les textes, nouveau bruissement de pages de bibles ramollies par le temps. Trente fois au moins, continuellement, le discours s’interrompt, pour être vérifié dans les écrits.
Les témoins mécaniquement exécutent
Vient le moment où le “repas”, vin et pain, circule dans l’assistance. "Seuls ceux qui se sentent “élus” peuvent rompre le pain et boire le vin. Ceux-là, si leur initiative les pousse, pourraient faire partie des 1 44 000 élus qui pourront vivre le paradis éternel après leur mort. Les autres devront se contenter du paradis sur terre."
Personne ne boit, personne ne mange. C’est fini. Jacques réapparaît, propose de nouveau une bible, attend des commentaires, se propose de répondre à toutes questions, distribue brochures et coordonnées. Prosélytisme, quand tu nous tiens ! La sortie ressemble à l’entrée. Gabriel s’inquiète de voir la nouvelle venue partir si vite. Sous prétexte de fumer. Vite à la voiture. Ce n’est pas sa tasse de thé. Le portier sort et s’intercale dans sa portière ouverte : "Vous revenez quand vous voulez. Tenez, mes coordonnées."
(*) Tous les prénoms ont été modifiés.
LES TÉMOINS DE JÉHOVAH SOUS SURVEILLANCE DE LA MIVILUDE
La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Mivilude, est un organisme d’état fondé par décret ministériel en 2002. Elle “surveille” les témoins de Jéhovah entre autres, en raison de nombreuses plaintes d’anciens membres ou de leurs proches. Des témoignages mettent notamment en avant l’isolement social.
Fondé en 1874 par le révérend américain Charles Taze Russell, ce mouvement chrétien revendiquent 19 millions de pratiquants et sympathisants dans le monde. Connus pour leur prosélytisme, ils croient au retour de Jéhovah qui les sauvera de l’Harmagédon, une fin du monde imminente. Ils refusent les transfusions sanguines, ne fêtent ni Noël, ni anniversaires.
> Association de Défense des Familles et de l’individu (Adfi) de l’Hérault à Montpellier au 04 67 79 70 68.
> Centre contre les manipulations mentales Languedoc-Roussillon (CCMM) à Narbonne 04 67 68 42 23 28.
QUESTIONS À SONYA JUGLA, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE DES VICTIMES D’EMPRISE SECTAIRE
Peut-on penser que les témoins de Jéhovah sont une secte ?
On reconnaît un arbre à ses fruits. La liberté de culte est un droit en France. Par contre la loi About Picard de 2001 condamne les abus de faiblesse. La Mivilude avait classé les Témoins de Jéhovah comme secte mais de nombreux procès encore en cours ne me permettent pas de l’affirmer.
Vous assurez une formation universitaire diplômante sur l’emprise sectaire et le processus de vulnérabilité à Paris Descartes 5. Qu’est ce qui différencie une secte d’un mouvement religieux ?
Pour qu’il y ait une secte, il faut un leader, autoproclamé, vénéré et idolâtré, qui exerce un pouvoir sur des suiveurs, dans un monde fantasmé de croyances utopiques, avec un processus d’emprise. Les sectes ne sont pas nécessairement religieuses. Plus elles sont petites, plus c’est difficile de les détecter, comme les mouvements de méthodes thérapeutiques illusoires.
Ces sectes ne sont-elles pas “bénéfiques” pour certaines personnes ?
Si les sectes n’étaient pas dangereuses, il n’y aurait pas tant de victimes. Au début oui. Vous avez des amis, on vous accueille, on vous aide, c’est génial ! On appelle ça le “love bombing”. Le mécanisme d’emprise est déjà en route. Les adeptes des sectes ne sont pas tous fragiles comme on pourrait le croire. Elles le deviennent sous l’emprise de la secte. Les dégâts sont physiques, psychologiques, financiers, voire dans les cas extrêmes, mais pas si rares, mortels.
KIKI PALASZ
04/04/2013, 11 h 21 | Mis à jour le 04/04/2013, 13 h 46
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La salle du royaume, quai des Moulins à Sète, accueille depuis le 1er avril 2005, un grand nombre de témoins de Jéhovah. (D.R)
Le temps d’une cérémonie, ouverte aux adeptes sétois, au public mais aussi aux curieux... visite dans la salle des Témoins de Jéhovah, quai des Moulins à Sète.
C’est une maison bleue au bord du canal, quai des Moulins. Des jeunes filles élégantes s’esclaffent, on dirait l’entrée d’une soirée, peut-être va-t-on danser ? Pas exactement. Ce mardi 26 mars, dans le Royaume des témoins de Jéhovah, on célébrait le dernier repas du divin, Jésus-Christ.
Une commémoration ouverte à la communauté des adeptes sétois, au public, aux curieux. Visite dans le lieu de culte de la troisième communauté chrétienne où 192 personnes sont présentes ce soir-là.
"Nous n’avons rien à cacher"
L’accueil est chaleureux, presque convivial. La grande salle à la moquette bleue, lumineuse, impeccablement entretenue, agrémentée de compositions florales de bon goût, est bondée. Des anciens, des jeunes, des enfants, des handicapés, tous endimanchés, se saluent mutuellement.
On croirait un gigantesque square dance. "Une nouvelle" s’exclame Gabriel (*) en voyant une jeune femme isolée. Le solide retraité posté à l’entrée a tout du bon vivant. Sa voie tonitruante annonce le visage inconnu d’un ton joyeux : "Venez, je vais vous présenter. Soyez bienvenue, vous ne connaissez personne ? Vous avez bien fait d’être curieuse, nous n’avons rien à cacher."
Pour une fois que les témoins de Jéhovah, champions du “pied dans la porte”, invitent chez eux. La tentation est trop grande d’observer cette communauté souvent considérée comme sectaire (lire ci-dessous).
"Si vous voulez partir, vous êtes libre"
Jacques (*) tend sa main amicale : "Voulez-vous une bible ? Ma femme vous garde une place à côté d’elle, troisième rang devant, vous pourrez vous mettre côté sortie si vous voulez partir, vous êtes libre." Instantanément, une femme d’allure discrète et souriante apparaît, synchronisation parfaite.
Une salle à gauche semble être une bibliothèque, à droite une autre salle vitrée abrite des croyants âgés. "Ici, on est plus au calme", commente l’adepte de Jéhovah. Au mur, sous des plaques de verre, en lettres bleues, en plusieurs langues, un même message : “sois courageux et fort, Jéhovah”. Un autel, cinq verres de vin, cinq assiettes contenant une galette ronde. Un homme en costume clair, monte sur l’estrade, s’installe au pupitre. Les croyants, se lèvent et prient : c’est parti.
L’homme debout parle. Son discours explique le déroulement de la cérémonie, son importance. Rien de bien différent des autres rites religieux. Soudain, "l’ancien", comme m’apprend ma voisine, se plonge dans une bible monumentale et invite les croyants à l’imiter pour vérifier dans les textes, ce qu’il vient d’énoncer.
Bruissement de pages qui se tournent, lecture de versets
Le discours continue, il va falloir se relever, et chanter. Prétextant l’oubli des lunettes, la novice évite de chanter. Un autre “ancien” vient au pupitre. Nouveau sermon, vérification dans les textes, nouveau bruissement de pages de bibles ramollies par le temps. Trente fois au moins, continuellement, le discours s’interrompt, pour être vérifié dans les écrits.
Les témoins mécaniquement exécutent
Vient le moment où le “repas”, vin et pain, circule dans l’assistance. "Seuls ceux qui se sentent “élus” peuvent rompre le pain et boire le vin. Ceux-là, si leur initiative les pousse, pourraient faire partie des 1 44 000 élus qui pourront vivre le paradis éternel après leur mort. Les autres devront se contenter du paradis sur terre."
Personne ne boit, personne ne mange. C’est fini. Jacques réapparaît, propose de nouveau une bible, attend des commentaires, se propose de répondre à toutes questions, distribue brochures et coordonnées. Prosélytisme, quand tu nous tiens ! La sortie ressemble à l’entrée. Gabriel s’inquiète de voir la nouvelle venue partir si vite. Sous prétexte de fumer. Vite à la voiture. Ce n’est pas sa tasse de thé. Le portier sort et s’intercale dans sa portière ouverte : "Vous revenez quand vous voulez. Tenez, mes coordonnées."
(*) Tous les prénoms ont été modifiés.
LES TÉMOINS DE JÉHOVAH SOUS SURVEILLANCE DE LA MIVILUDE
La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Mivilude, est un organisme d’état fondé par décret ministériel en 2002. Elle “surveille” les témoins de Jéhovah entre autres, en raison de nombreuses plaintes d’anciens membres ou de leurs proches. Des témoignages mettent notamment en avant l’isolement social.
Fondé en 1874 par le révérend américain Charles Taze Russell, ce mouvement chrétien revendiquent 19 millions de pratiquants et sympathisants dans le monde. Connus pour leur prosélytisme, ils croient au retour de Jéhovah qui les sauvera de l’Harmagédon, une fin du monde imminente. Ils refusent les transfusions sanguines, ne fêtent ni Noël, ni anniversaires.
> Association de Défense des Familles et de l’individu (Adfi) de l’Hérault à Montpellier au 04 67 79 70 68.
> Centre contre les manipulations mentales Languedoc-Roussillon (CCMM) à Narbonne 04 67 68 42 23 28.
QUESTIONS À SONYA JUGLA, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE DES VICTIMES D’EMPRISE SECTAIRE
Peut-on penser que les témoins de Jéhovah sont une secte ?
On reconnaît un arbre à ses fruits. La liberté de culte est un droit en France. Par contre la loi About Picard de 2001 condamne les abus de faiblesse. La Mivilude avait classé les Témoins de Jéhovah comme secte mais de nombreux procès encore en cours ne me permettent pas de l’affirmer.
Vous assurez une formation universitaire diplômante sur l’emprise sectaire et le processus de vulnérabilité à Paris Descartes 5. Qu’est ce qui différencie une secte d’un mouvement religieux ?
Pour qu’il y ait une secte, il faut un leader, autoproclamé, vénéré et idolâtré, qui exerce un pouvoir sur des suiveurs, dans un monde fantasmé de croyances utopiques, avec un processus d’emprise. Les sectes ne sont pas nécessairement religieuses. Plus elles sont petites, plus c’est difficile de les détecter, comme les mouvements de méthodes thérapeutiques illusoires.
Ces sectes ne sont-elles pas “bénéfiques” pour certaines personnes ?
Si les sectes n’étaient pas dangereuses, il n’y aurait pas tant de victimes. Au début oui. Vous avez des amis, on vous accueille, on vous aide, c’est génial ! On appelle ça le “love bombing”. Le mécanisme d’emprise est déjà en route. Les adeptes des sectes ne sont pas tous fragiles comme on pourrait le croire. Elles le deviennent sous l’emprise de la secte. Les dégâts sont physiques, psychologiques, financiers, voire dans les cas extrêmes, mais pas si rares, mortels.