Que pensez-vous de ce texte ?
Je ne sais d’où vient que les femmes sont si portées à prendre mal tout ce qui se dit pour dénigrer le mariage et à toujours considérer une satire contre la vie conjugale comme une satire contre les femmes. Veulent-elles signifier par là qu’elles sont la partie principalement concernée et que, si prévalait dans le monde une répugnance à entrer dans cet état, elles en seraient surtout les victimes ? Où sont-elles conscientes que les malheurs et les échecs du mariage sont dus plus à leur sexe qu’au nôtre ? J’espère qu’elles n’entendent pas confesser l’un de ces points ou même laisser à leur adversaires, les hommes, l’avantage de se permettre d’en avoir le soupçon.
J’ai souvent eu l’idée de me conformer à cette humeur du beau sexe et d’écrire un panégyrique sur le mariage mais, en cherchant les matériaux [pour ce panégyrique], je me suis rendu compte qu’ils semblaient d’une nature si mêlée que, à la fin de mes réflexions, j’étais tout autant disposé à écrire une satire qui aurait pu être placée dans les pages opposées à celles du panégyrique. Et, comme, dans la plupart des cas, on lit plus les satires que les panégyriques, j’aurais fait plus de tort que de bien à leur cause par cet expédient, je le crains. Je sais qu’elles n’attendent pas de moi que je travestisse les faits. Je dois être davantage ami de la vérité qu’ami des femmes si leurs intérêts sont opposés.
Je dirai aux femmes ce dont notre sexe se plaint le plus dans le mariage et, si elles sont disposées à nous satisfaire sur ce point, nous trouverons [bien] un compromis pour tous les autres différends. A moins que je ne me trompe, c’est leur amour de la domination qui est le fondement de la querelle ; mais il est très probable qu’elles pensent que c’est notre propre amour de la domination qui nous fait tant insister sur ce point. Quoi qu’il en soit, aucune passion ne semble avoir plus d’influence sur les esprits féminins que ce pouvoir et il existe dans l’histoire un exemple remarquable de sa prédominance sur l’unique autre passion susceptible de la contrebalancer. On raconte que toutes les femmes SCYTHES conspirèrent un jour contre les hommes et gardèrent si bien le secret qu’elles exécutèrent leur dessein sans être soupçonnées. Elles surprirent les hommes en train de boire ou de dormir, les enchaînèrent tous solidement et, ayant convoqué un conseil solennel de toutes les femmes, elles débattirent pour savoir quel expédient utiliser pour tirer parti de l’avantage présent et empêcher leur rechute dans l’esclavage. Tuer les hommes n’était pas du goût de la plupart des femmes de l’assemblée malgré les torts subis dans le passé et elles furent contentes de se faire un grand mérite de leur clémence. Elles s’accordèrent donc pour crever les yeux de tous les hommes et renoncer ainsi, dans l’avenir, à la vanité qu’elles pourraient tirer de leur beauté pour asseoir leur autorité. Nous ne devons plus prétendre nous parer et nous exhiber, dirent-elles, mais nous serons ainsi affranchis de l’esclavage. Nous n’entendrons plus de tendres soupirs mais, en retour, nous n’entendrons plus d’ordres impérieux. L’amour doit nous quitter pour toujours mais il emportera avec lui l’assujettissement.
Les femmes étant résolues à mutiler les hommes et les priver de l’un de leurs sens pour les rendre humbles et dépendants, certains considèrent comme un malheur que la suppression de l’ouïe ne pût pas servir leur dessein puisqu’il est probable qu’elles eussent préféré s’en prendre à ce sens plutôt qu’à la vue. Et je pense que les savants s’accordent sur le fait que, dans le mariage, c’est loin d’être un grand inconvénient de perdre le premier sens plutôt que le deuxième. Quoi qu’il en soit, certaines anecdotes modernes nous disent que certaines femmes scythes épargnèrent secrètement les yeux de leur mari, présumant, je suppose, qu’elles pourraient aussi facilement les gouverner par ce sens que sans lui. Mais les hommes furent si incorrigibles et si intraitables que leurs femmes furent obligées, après quelques années, leur jeunesse et leur beauté se fanant, d’imiter l’exemple de leurs sœurs, ce qui n’était pas une tâche difficile dans une situation où le sexe féminin détenait le pouvoir.
Je ne sais pas si nos dames ECOSSAISES ont hérité quelque chose de cette humeur de leurs ancêtres SCYTHES mais je dois avouer que je suis souvent étonné de voir une femme très contente de prendre pour mari un sot afin de pouvoir le gouverner avec la moindre autorité et qui ne songe pas que ses sentiments, à cet égard, sont encore plus barbares que ceux des femmes SCYTHES dont vous venons de parler, les yeux de l’entendement étant plus précieux que ceux du corps.
Mais, afin d’être juste et de répartir également le blâme, je crains que ce soit la faute de notre sexe si les femmes aiment tant le pouvoir car, si nous n’avions pas abusé de notre autorité, elles n’auraient jamais jugé nécessaire de nous la disputer. Les tyrans, nous le savons, produisent les rebelles et toute l’histoire nous apprend que les rebelles, dès qu’ils l’emportent, deviennent volontiers des tyrans à leur tour. C’est pourquoi je souhaiterais qu’il n’y eût plus, des deux côtés, aucune prétention à l’autorité mais que tout s’accomplît avec une parfaite égalité, comme entre deux membres égaux d’un même corps. Et, pour amener les deux partis à embrasser ces aimables sentiments, je vais vous confier ce que PLATON raconte sur l’origine de l’amour et du mariage.
L’humanité, selon ce philosophe imaginatif, n’était pas, à l’origine, divisée en mâles et femelles comme à présent mais chaque individu était composé des deux sexes et était en lui-même à la fois le mari et la femme fondus en une seule créature vivante. Cette union, sans aucun doute, était très parfaite et les parties s’ajustaient très bien ensemble puisqu’il en résultait une parfaite harmonie entre l’homme et la femme malgré cette obligation d’être des compagnons inséparables. Si grands étaient l’harmonie et le bonheur qui en découlaient que les ANDROGYNES (ainsi les appelait PLATON) ou HOMMES-FEMMES [4] devinrent insolents à force de prospérité et se rebellèrent contre les Dieux. Pour les punir de leur témérité, JUPITER ne trouva pas de meilleur expédient que de séparer la partie mâle de la partie femelle et de faire de ce composé qui était avant si parfait deux êtres imparfaits. De là l’origine de l’homme et de la femme comme créatures distinctes. Mais, malgré cette division, si vif est notre souvenir du bonheur dans nous jouissions dans cet état premier que nous ne pouvons jamais trouver le repos dans cette [nouvelle] situation. Chaque moitié recherche continuellement dans toute l’espèce humaine la moitié dont elle a été séparée et, quand ces deux moitiés se rencontrent, elles se réunissent avec la plus grande tendresse et la plus grande sympathie. Mais il arrive souvent qu’elles se trompent sur ce point, qu’elles prennent pour leur moitié un être qui ne leur correspond pas du tout et que les deux parties ne s’emboîtent pas, ne se joignent pas, comme il est courant dans le cas des fractures. Dans ce cas, l’union est vite dissoute et chaque partie se détache de nouveau pour partir en quête de sa moitié perdue, essayant de se joindre à toutes celles qu’elle rencontre, sans aucun repos, jusqu’au moment où une parfaite sympathie avec sa partenaire montre que ses efforts ont enfin étaient couronnés de succès.
Si j’étais disposé à poursuivre cette fiction de PLATON qui explique d’une manière si agréable l’amour réciproque entre le sexes, je le ferais par l’allégorie suivante.
Quand JUPITER eut séparé le mâle de la femelle et eut réprimé leur orgueil et leur ambition par une opération aussi sévère, il ne put que se repentir de la cruauté de sa vengeance et éprouva de la compassion pour ces pauvres mortels qui étaient désormais incapables de repos ou de tranquillité. Endurant de tels désirs, de telles angoisses et de tels besoins, ils en vinrent à maudire leur création et à juger l’existence elle-même comme une punition. C’est en vain qu’ils avaient recours à d’autres occupations et à d’autres amusements, en vain qu’ils recherchaient tous les plaisirs des sens et tous les raffinements de la raison. Pour remédier à ce désordre et pour donner au moins quelque confort à la race humaine dans cet état de délaissement, JUPITER envoya sur terre AMOUR et HYMENEE pour recueillir les moitiés séparées et les raccommoder de la meilleure façon possible. Ces deux divinités trouvèrent une disposition si prompte chez les hommes à être réunis comme ils l’étaient dans leur premier état que leur ouvrage connut un succès étonnant pendant un certain temps, jusqu’à ce que, finalement, à cause de nombreux accidents malheureux, la dissension apparût entre eux. Le conseiller principal et favori d’HYMENEE était SOUCI, qui emplissait constamment la tête de son patron de projets d’avenir, une situation, une famille, des enfants, des serviteurs, de sorte qu’ils ne regardaient guère autre chose quand ils formaient des couples. D’autre part, AMOUR avait choisi comme favori PLAISIR, qui était un conseilleur aussi pernicieux que SOUCI et qui ne permettait jamais à AMOUR de regarder au-delà de la satisfaction présente et provisoire et du contentement de l’inclination dominante. Ces deux favoris, en peu de temps, devinrent des ennemis irréconciliables et chacun se consacra uniquement à la sape toutes les entreprises de l’autre. A peine AMOUR s’était-il fixé sur deux moitiés qu’il recollait ensemble pour former une union étroite que SOUCI s’insinuait, amenant HYMENEE avec lui, et dissolvait l’union formée par AMOUR en joignant chaque moitié à une autre moitié qu’il avait prévue pour elle. Pour se venger de cela, PLAISIR se glissait auprès d’un couple déjà joint par HYMENEE et, appelant AMOUR à l’aide, ils s’arrangeaient discrètement pour joindre par des liens secrets chaque moitié à une moitié qu’HYMENEE ne connaissait absolument pas. Il ne fallut pas longtemps pour que les pernicieuses conséquences de cela se fissent sentir et ses plaintes s’élevèrent jusqu’au trône de JUPITER qui fut obligé de sommer les fautifs de paraître devant lui pour donner une explication de leurs agissements. Après avoir écouté les deux plaidoiries, il ordonna une réconciliation immédiate entre AMOUR et HYMENEE, seul moyen de rendre l’humanité heureuse et, pour être certain que cette réconciliation serait durable, il les enjoignit de ne jamais réunir des moitiés sans consulter leurs favoris SOUCI et PLAISIR et sans obtenir le consentement des deux pour faire l’union. Si cet ordre est strictement observé, l’ANDROGYNE est parfaitement restauré et la race humaine jouit du même bonheur que celui qu’elle connaissait dans le premier état. La couture qui joint les deux êtres est à peine perceptible et les deux se combinent pour former une créature parfaite et heureuse.
Je ne sais d’où vient que les femmes sont si portées à prendre mal tout ce qui se dit pour dénigrer le mariage et à toujours considérer une satire contre la vie conjugale comme une satire contre les femmes. Veulent-elles signifier par là qu’elles sont la partie principalement concernée et que, si prévalait dans le monde une répugnance à entrer dans cet état, elles en seraient surtout les victimes ? Où sont-elles conscientes que les malheurs et les échecs du mariage sont dus plus à leur sexe qu’au nôtre ? J’espère qu’elles n’entendent pas confesser l’un de ces points ou même laisser à leur adversaires, les hommes, l’avantage de se permettre d’en avoir le soupçon.
J’ai souvent eu l’idée de me conformer à cette humeur du beau sexe et d’écrire un panégyrique sur le mariage mais, en cherchant les matériaux [pour ce panégyrique], je me suis rendu compte qu’ils semblaient d’une nature si mêlée que, à la fin de mes réflexions, j’étais tout autant disposé à écrire une satire qui aurait pu être placée dans les pages opposées à celles du panégyrique. Et, comme, dans la plupart des cas, on lit plus les satires que les panégyriques, j’aurais fait plus de tort que de bien à leur cause par cet expédient, je le crains. Je sais qu’elles n’attendent pas de moi que je travestisse les faits. Je dois être davantage ami de la vérité qu’ami des femmes si leurs intérêts sont opposés.
Je dirai aux femmes ce dont notre sexe se plaint le plus dans le mariage et, si elles sont disposées à nous satisfaire sur ce point, nous trouverons [bien] un compromis pour tous les autres différends. A moins que je ne me trompe, c’est leur amour de la domination qui est le fondement de la querelle ; mais il est très probable qu’elles pensent que c’est notre propre amour de la domination qui nous fait tant insister sur ce point. Quoi qu’il en soit, aucune passion ne semble avoir plus d’influence sur les esprits féminins que ce pouvoir et il existe dans l’histoire un exemple remarquable de sa prédominance sur l’unique autre passion susceptible de la contrebalancer. On raconte que toutes les femmes SCYTHES conspirèrent un jour contre les hommes et gardèrent si bien le secret qu’elles exécutèrent leur dessein sans être soupçonnées. Elles surprirent les hommes en train de boire ou de dormir, les enchaînèrent tous solidement et, ayant convoqué un conseil solennel de toutes les femmes, elles débattirent pour savoir quel expédient utiliser pour tirer parti de l’avantage présent et empêcher leur rechute dans l’esclavage. Tuer les hommes n’était pas du goût de la plupart des femmes de l’assemblée malgré les torts subis dans le passé et elles furent contentes de se faire un grand mérite de leur clémence. Elles s’accordèrent donc pour crever les yeux de tous les hommes et renoncer ainsi, dans l’avenir, à la vanité qu’elles pourraient tirer de leur beauté pour asseoir leur autorité. Nous ne devons plus prétendre nous parer et nous exhiber, dirent-elles, mais nous serons ainsi affranchis de l’esclavage. Nous n’entendrons plus de tendres soupirs mais, en retour, nous n’entendrons plus d’ordres impérieux. L’amour doit nous quitter pour toujours mais il emportera avec lui l’assujettissement.
Les femmes étant résolues à mutiler les hommes et les priver de l’un de leurs sens pour les rendre humbles et dépendants, certains considèrent comme un malheur que la suppression de l’ouïe ne pût pas servir leur dessein puisqu’il est probable qu’elles eussent préféré s’en prendre à ce sens plutôt qu’à la vue. Et je pense que les savants s’accordent sur le fait que, dans le mariage, c’est loin d’être un grand inconvénient de perdre le premier sens plutôt que le deuxième. Quoi qu’il en soit, certaines anecdotes modernes nous disent que certaines femmes scythes épargnèrent secrètement les yeux de leur mari, présumant, je suppose, qu’elles pourraient aussi facilement les gouverner par ce sens que sans lui. Mais les hommes furent si incorrigibles et si intraitables que leurs femmes furent obligées, après quelques années, leur jeunesse et leur beauté se fanant, d’imiter l’exemple de leurs sœurs, ce qui n’était pas une tâche difficile dans une situation où le sexe féminin détenait le pouvoir.
Je ne sais pas si nos dames ECOSSAISES ont hérité quelque chose de cette humeur de leurs ancêtres SCYTHES mais je dois avouer que je suis souvent étonné de voir une femme très contente de prendre pour mari un sot afin de pouvoir le gouverner avec la moindre autorité et qui ne songe pas que ses sentiments, à cet égard, sont encore plus barbares que ceux des femmes SCYTHES dont vous venons de parler, les yeux de l’entendement étant plus précieux que ceux du corps.
Mais, afin d’être juste et de répartir également le blâme, je crains que ce soit la faute de notre sexe si les femmes aiment tant le pouvoir car, si nous n’avions pas abusé de notre autorité, elles n’auraient jamais jugé nécessaire de nous la disputer. Les tyrans, nous le savons, produisent les rebelles et toute l’histoire nous apprend que les rebelles, dès qu’ils l’emportent, deviennent volontiers des tyrans à leur tour. C’est pourquoi je souhaiterais qu’il n’y eût plus, des deux côtés, aucune prétention à l’autorité mais que tout s’accomplît avec une parfaite égalité, comme entre deux membres égaux d’un même corps. Et, pour amener les deux partis à embrasser ces aimables sentiments, je vais vous confier ce que PLATON raconte sur l’origine de l’amour et du mariage.
L’humanité, selon ce philosophe imaginatif, n’était pas, à l’origine, divisée en mâles et femelles comme à présent mais chaque individu était composé des deux sexes et était en lui-même à la fois le mari et la femme fondus en une seule créature vivante. Cette union, sans aucun doute, était très parfaite et les parties s’ajustaient très bien ensemble puisqu’il en résultait une parfaite harmonie entre l’homme et la femme malgré cette obligation d’être des compagnons inséparables. Si grands étaient l’harmonie et le bonheur qui en découlaient que les ANDROGYNES (ainsi les appelait PLATON) ou HOMMES-FEMMES [4] devinrent insolents à force de prospérité et se rebellèrent contre les Dieux. Pour les punir de leur témérité, JUPITER ne trouva pas de meilleur expédient que de séparer la partie mâle de la partie femelle et de faire de ce composé qui était avant si parfait deux êtres imparfaits. De là l’origine de l’homme et de la femme comme créatures distinctes. Mais, malgré cette division, si vif est notre souvenir du bonheur dans nous jouissions dans cet état premier que nous ne pouvons jamais trouver le repos dans cette [nouvelle] situation. Chaque moitié recherche continuellement dans toute l’espèce humaine la moitié dont elle a été séparée et, quand ces deux moitiés se rencontrent, elles se réunissent avec la plus grande tendresse et la plus grande sympathie. Mais il arrive souvent qu’elles se trompent sur ce point, qu’elles prennent pour leur moitié un être qui ne leur correspond pas du tout et que les deux parties ne s’emboîtent pas, ne se joignent pas, comme il est courant dans le cas des fractures. Dans ce cas, l’union est vite dissoute et chaque partie se détache de nouveau pour partir en quête de sa moitié perdue, essayant de se joindre à toutes celles qu’elle rencontre, sans aucun repos, jusqu’au moment où une parfaite sympathie avec sa partenaire montre que ses efforts ont enfin étaient couronnés de succès.
Si j’étais disposé à poursuivre cette fiction de PLATON qui explique d’une manière si agréable l’amour réciproque entre le sexes, je le ferais par l’allégorie suivante.
Quand JUPITER eut séparé le mâle de la femelle et eut réprimé leur orgueil et leur ambition par une opération aussi sévère, il ne put que se repentir de la cruauté de sa vengeance et éprouva de la compassion pour ces pauvres mortels qui étaient désormais incapables de repos ou de tranquillité. Endurant de tels désirs, de telles angoisses et de tels besoins, ils en vinrent à maudire leur création et à juger l’existence elle-même comme une punition. C’est en vain qu’ils avaient recours à d’autres occupations et à d’autres amusements, en vain qu’ils recherchaient tous les plaisirs des sens et tous les raffinements de la raison. Pour remédier à ce désordre et pour donner au moins quelque confort à la race humaine dans cet état de délaissement, JUPITER envoya sur terre AMOUR et HYMENEE pour recueillir les moitiés séparées et les raccommoder de la meilleure façon possible. Ces deux divinités trouvèrent une disposition si prompte chez les hommes à être réunis comme ils l’étaient dans leur premier état que leur ouvrage connut un succès étonnant pendant un certain temps, jusqu’à ce que, finalement, à cause de nombreux accidents malheureux, la dissension apparût entre eux. Le conseiller principal et favori d’HYMENEE était SOUCI, qui emplissait constamment la tête de son patron de projets d’avenir, une situation, une famille, des enfants, des serviteurs, de sorte qu’ils ne regardaient guère autre chose quand ils formaient des couples. D’autre part, AMOUR avait choisi comme favori PLAISIR, qui était un conseilleur aussi pernicieux que SOUCI et qui ne permettait jamais à AMOUR de regarder au-delà de la satisfaction présente et provisoire et du contentement de l’inclination dominante. Ces deux favoris, en peu de temps, devinrent des ennemis irréconciliables et chacun se consacra uniquement à la sape toutes les entreprises de l’autre. A peine AMOUR s’était-il fixé sur deux moitiés qu’il recollait ensemble pour former une union étroite que SOUCI s’insinuait, amenant HYMENEE avec lui, et dissolvait l’union formée par AMOUR en joignant chaque moitié à une autre moitié qu’il avait prévue pour elle. Pour se venger de cela, PLAISIR se glissait auprès d’un couple déjà joint par HYMENEE et, appelant AMOUR à l’aide, ils s’arrangeaient discrètement pour joindre par des liens secrets chaque moitié à une moitié qu’HYMENEE ne connaissait absolument pas. Il ne fallut pas longtemps pour que les pernicieuses conséquences de cela se fissent sentir et ses plaintes s’élevèrent jusqu’au trône de JUPITER qui fut obligé de sommer les fautifs de paraître devant lui pour donner une explication de leurs agissements. Après avoir écouté les deux plaidoiries, il ordonna une réconciliation immédiate entre AMOUR et HYMENEE, seul moyen de rendre l’humanité heureuse et, pour être certain que cette réconciliation serait durable, il les enjoignit de ne jamais réunir des moitiés sans consulter leurs favoris SOUCI et PLAISIR et sans obtenir le consentement des deux pour faire l’union. Si cet ordre est strictement observé, l’ANDROGYNE est parfaitement restauré et la race humaine jouit du même bonheur que celui qu’elle connaissait dans le premier état. La couture qui joint les deux êtres est à peine perceptible et les deux se combinent pour former une créature parfaite et heureuse.