A-t-on retrouvé les plans de l’arche de Noé ?
MAHAUT HERRMANN
CRÉÉ LE 07/05/2015 / MODIFIÉ LE 07/05/2015 À 15H16
© Pierre Crom/REPORTERS-REA © Pierre Crom/REPORTERS-REA
C’est une tablette d’argile rédigée entre 1900 et 1700 avant notre ère, pas plus grosse qu’un smartphone, mais elle va bouleverser nos représentations du déluge et de l’arche de Noé. Après l’avoir aperçue une première fois dans les mains d’un visiteur du British Museum en 1985, l’archéologue Irving Finkel, assyriologue au Bristish Museum, l’a cherchée pendant plus de vingt ans avant de mettre définitivement la main dessus. Il raconte cette trouvaille dans L’Arche avant Noé. Les origines de l’histoire du déluge déchiffrées. (éd. JC Lattès).
De quoi s’agit-il ? De soixante lignes de texte en écriture cunéiforme contenant neuf discours, un du dieu Enki, huit de l’homme Atra-hasis, annonçant le déluge qui va survenir et les instructions qu’Atra-hasis a suivies. Forme, coque, charpente interne, membrures, pont, toit, cabines, bitumes, rien n’est oublié. Ses dimensions - soixante-dix mètres de diamètre pour six mètres de haut – ne sont pas non plus omises. C’est trois fois moins que la longueur du Titanic ou du Charles-de-Gaulle. Les occupants de l’arche sont également mentionnés dans la tablette. Outre les hommes se trouvaient à bord du bétail, des animaux sauvages et des animaux domestiques. Autre précision d’importance, l’arche était ronde, comme les coracles, ces bateaux de plus petite dimension qui ont navigué sur le Tigre et l’Euphrate de l’époque assyrienne jusqu’au début du 20ème siècle. Cela contredit le texte biblique qui faisait de l’arche et de la corbeille (tēvāh, en hébreu) dans laquelle Moïse fut jeté à l’eau des embarcations rectangulaires. La difficulté n’effraie pas Irving Finkel. Il propose plusieurs explications étymologiques pour rapprocher l’arche biblique de bateaux longs ayant également fréquenté les fleuves mésopotamiens, que les Hébreux auraient pu observer pendant l’exil à Babylone.
Pourquoi ce livre s’annonce-t-il comme une étape décisive de l’archéologie biblique ? Comme le faisait remarquer Scott Franklin, l’un des producteurs du film à succès Noé, l’histoire du déluge est une « toute petite partie de la Bible avec beaucoup de trous », ce qui en fait un sujet rêvé pour les broderies en tous genres. Jusqu’en 1872, tout ce qu’on savait se résumait à quatre chapitres (6-9) du livre de la Genèse. Mais en 1872, un certain George Smith, qui n’était qu’assistant au British Museum, stupéfia le monde en révélant que le récit biblique était en réalité inspiré de la mythologie babylonienne. Son déchiffrage d’une version babylonienne de l’épopée de Gilgamesh venait de révéler un récit du déluge proche du récit hébraïque, et antérieur à celui-ci. En 1914, le sumérologue Arno Poeber fit la preuve que les Babyloniens avaient emprunté l’épopée de Gilgamesh à la mythologie sumérienne, soit à un peuple ayant prospéré dix siècles auparavant. On sut désormais que le thème du déluge envoyé par une divinité pour punir l’humanité et d’un homme épargné par les eaux pour reconstruire le monde était vieux comme la civilisation.
S’ils racontent en détail l’histoire du déluge, ces récits ne disent cependant rien de l’arche. Malgré ces trous, la quête de l’arche au sommet du mont Ararat (à la frontière turco-arménienne) excite les esprits depuis les débuts de l’ère chrétienne. Depuis Eusèbe de Césarée jusqu’à l’ancien astronaute James Irwin en passant par Marco Polo, ils furent nombreux à escalader le mont Ararat pour trouver les reliques du bateau. Les derniers en date furent un groupe d’évangéliques chinois et turcs qui annonça avoir retrouvé l’arche, sous la forme de restes en bois datant d’il y a 4800 ans.
La Tablette de l’Arche présentée par Irving Finkel est donc le premier apport archéologique permettant de reconstituer l’arche du déluge. Avant même la parution du livre, une société anglaise de production a lancé un documentaire sur la reconstitution de l’arche à partir des indications de la tablette, avec les matériaux indiqués sur la tablette. Serait-ce que l’archéologue considère que l’arche décrite dans la tablette et dans la Bible a vraiment été construite ? Non, mais, explique-t-il dans le livre, l’expérience de reconstitution « [lui] a assurément permis de prendre conscience du caractère viscéralement humain de l’histoire du déluge ». Et il ajoute que « la résonance immémoriale du thème diluvien dans la littérature mésopotamienne traduit en fin de compte les stigmates d’une expérience authentique. » Si le déluge mésopotamien et hébreu est un récit mythologique, il serait donc, selon Irving, inspiré par « le souvenir d’un formidable cataclysme de l’ordre d’un tsunami », survenu plus d’un millénaire avant l’invention de l’écriture. L’hypothèse n’est pas nouvelle mais elle fait l’objet de vives controverses.
Plus qu’un manuel de construction de l’arche du déluge, L’Arche avant Noé est d’abord une histoire du récit du déluge et la redécouverte d’un monde perdu.