La religion est-elle une violence faite à l'enfant?
Natalia Trouiller - publié le 08/10/2012
Après l'affaire de la circoncision jugée "mutilante" par un tribunal allemand, le débat fait rage au Québec sur une forme de laïcité assez particulière.
C'est une tribune signée Mustapha Amarouche, professeur dans une école secondaire du Québec, sur le thème de "la laïcité et les enfants au Québec". Elle s'inscrit plus largement dans un débat assez houleux, chez nos cousins de la Belle-Province, sur la laïcité québécoise, mélange détonnant d'anti-christianisme hérité de la Révolution tranquille - cette décennie des années 60 qui marqua une véritable séparation de l'Eglise et de l'Etat - et "accommodements raisonnables" à l'anglo-saxonne - larges coups de canifs à cette laïcité au nom des droits individuels.
> Durant la campagne électorale qui l'a conduite au poste de Premier ministre du Québec le mois dernier, Pauline Marois et son Parti Québécois ont mis la laïcité au centre des débats. En voulant protéger la "culture chrétienne" pour des raisons d'identité québécoise, en se disant favorable par exemple au maintien des crucifix dans les salles de délibérations municipales, tout en rejetant par ailleurs les "accomodements raisonnables" accordés aux Québécois de culture musulmane (port du voile, possibilité de retirer les enfants musulmans de l'école les jours de musique ou de sport, autorisation du poignard et du turban sikhs, etc), Pauline Marois a provoqué un débat dont les retombées sont loin d'être terminées, y compris à l'intérieur de son propre parti.
> C'est dans ce contexte assez explosif que s'inscrit la tribune de M. Amarouche. Voici ce qu'il écrit: "Les frictions concernant le port du voile dans la fonction publique, l'arrêt d'une séance d'assemblée pour une fête juive, le port de poignard par les sikhs, ne sont que des épiphénomènes de visions du monde en décalage avec la réalité québécoise de la laïcité. Aucune des religions monothéistes n'est consubstantiellement laïque, car toutes ont vocation à dominer le profane, à imposer leurs conceptions du monde à autrui, et l'obliger à se soumettre ou se démettre. Au Québec, la religion se transmet aujourd'hui essentiellement par la famille. Une famille musulmane élèvera ses enfants dans les règles islamiques, il en est de même d'une famille judaïque, catholique ou sikhe. Les enfants se voient ainsi, à leur corps défendant, conditionnés par une croyance alors que leur conscience immature et leurs facultés de jugement inachevées ne leur permettent pas une intériorisation sereine et équilibrée du fait religieux. À cet âge, tout excès dogmatique s'imprime profondément dans la conscience fragile et oblitère à vie les attitudes mentales du futur adulte. Les transmetteurs familiaux de la religion ne s'embarrassent guère de cultiver la tolérance. En présentant leur religion comme la seule vraie et leur dieu comme le plus fort, les parents créent fatalement chez leurs enfants une hostilité manifeste à toute diversité et les installent dans une attitude de confrontation qui produira à terme des ghettos fermés sur leurs croyances exacerbées, hostile les uns aux autres".
> Devant ce constat, une solution s'impose donc: "Il existe des lois pour protéger les enfants de la violence sociale ou familiale. Il n'en existe aucune pour les protéger du conditionnement religieux exercé par les parents. Il est interdit d'amener un enfant mineur dans un bar, interdit de lui servir un paquet de cigarettes dans une grande surface. Il est permis de détruire sa liberté mentale en le soumettant à un dogme à l'âge où on devrait semer en lui les graines de la liberté, de l'amour, de la coexistence et de l'ouverture à l'autre. L'enfant n'a-t-il pas le droit de conserver son innocence jusqu'à l'âge où il pourra choisir sa religion ou n'en choisir aucune ? Pourquoi l'État devrait-il laisser aux parents le redoutable pouvoir de façonner à leur guise la conscience des futurs citoyens ? À ceux qui trouveraient qu'insuffler une idéologie, une religion à un enfant est un droit parental, on pourra rétorquer que, il n'y a pas si longtemps, battre ses enfants ou sa femme était aussi un droit que peu de gens osaient remettre en cause. [...] Il n'est peut-être pas audacieux de dire que pour avoir une nation laïque, il faut à la base une famille laïque".
> Cette prise de position s'inscrit dans un débat qui dépasse largement le seul Québec; c'est en fait un débat occidental, qui se place du point de vue d'un individu que l'on rêve vierge de toute influence quelle qu'elle soit, et dont la liberté serait menacée par toute forme d'éducation privée et en particulier religieuse. Il y a quelques semaines, un tribunal de Cologne jugeait la circoncision "mutilante" pour les enfants et recommandait d'attendre l'âge du plein discernement pour qu'ils puissent accepter ou refuser ce geste. Un peu partout en Europe - on l'a vue notamment en France - des religieux s'insurgent contre certaines orientations prises par l'école, où l'on enseigne la théorie du gender comme scientifique dans les cours de biologie, quand il s'agit surtout d'une école philosophique. La question qui se pose, à la lumière de ces débats, est celle-ci: dans quelle mesure l'Etat, qu'il soit laïque ou non, peut-il faire ingérence dans l'éducation que donnent les parents?
Natalia Trouiller - publié le 08/10/2012
Après l'affaire de la circoncision jugée "mutilante" par un tribunal allemand, le débat fait rage au Québec sur une forme de laïcité assez particulière.
C'est une tribune signée Mustapha Amarouche, professeur dans une école secondaire du Québec, sur le thème de "la laïcité et les enfants au Québec". Elle s'inscrit plus largement dans un débat assez houleux, chez nos cousins de la Belle-Province, sur la laïcité québécoise, mélange détonnant d'anti-christianisme hérité de la Révolution tranquille - cette décennie des années 60 qui marqua une véritable séparation de l'Eglise et de l'Etat - et "accommodements raisonnables" à l'anglo-saxonne - larges coups de canifs à cette laïcité au nom des droits individuels.
> Durant la campagne électorale qui l'a conduite au poste de Premier ministre du Québec le mois dernier, Pauline Marois et son Parti Québécois ont mis la laïcité au centre des débats. En voulant protéger la "culture chrétienne" pour des raisons d'identité québécoise, en se disant favorable par exemple au maintien des crucifix dans les salles de délibérations municipales, tout en rejetant par ailleurs les "accomodements raisonnables" accordés aux Québécois de culture musulmane (port du voile, possibilité de retirer les enfants musulmans de l'école les jours de musique ou de sport, autorisation du poignard et du turban sikhs, etc), Pauline Marois a provoqué un débat dont les retombées sont loin d'être terminées, y compris à l'intérieur de son propre parti.
> C'est dans ce contexte assez explosif que s'inscrit la tribune de M. Amarouche. Voici ce qu'il écrit: "Les frictions concernant le port du voile dans la fonction publique, l'arrêt d'une séance d'assemblée pour une fête juive, le port de poignard par les sikhs, ne sont que des épiphénomènes de visions du monde en décalage avec la réalité québécoise de la laïcité. Aucune des religions monothéistes n'est consubstantiellement laïque, car toutes ont vocation à dominer le profane, à imposer leurs conceptions du monde à autrui, et l'obliger à se soumettre ou se démettre. Au Québec, la religion se transmet aujourd'hui essentiellement par la famille. Une famille musulmane élèvera ses enfants dans les règles islamiques, il en est de même d'une famille judaïque, catholique ou sikhe. Les enfants se voient ainsi, à leur corps défendant, conditionnés par une croyance alors que leur conscience immature et leurs facultés de jugement inachevées ne leur permettent pas une intériorisation sereine et équilibrée du fait religieux. À cet âge, tout excès dogmatique s'imprime profondément dans la conscience fragile et oblitère à vie les attitudes mentales du futur adulte. Les transmetteurs familiaux de la religion ne s'embarrassent guère de cultiver la tolérance. En présentant leur religion comme la seule vraie et leur dieu comme le plus fort, les parents créent fatalement chez leurs enfants une hostilité manifeste à toute diversité et les installent dans une attitude de confrontation qui produira à terme des ghettos fermés sur leurs croyances exacerbées, hostile les uns aux autres".
> Devant ce constat, une solution s'impose donc: "Il existe des lois pour protéger les enfants de la violence sociale ou familiale. Il n'en existe aucune pour les protéger du conditionnement religieux exercé par les parents. Il est interdit d'amener un enfant mineur dans un bar, interdit de lui servir un paquet de cigarettes dans une grande surface. Il est permis de détruire sa liberté mentale en le soumettant à un dogme à l'âge où on devrait semer en lui les graines de la liberté, de l'amour, de la coexistence et de l'ouverture à l'autre. L'enfant n'a-t-il pas le droit de conserver son innocence jusqu'à l'âge où il pourra choisir sa religion ou n'en choisir aucune ? Pourquoi l'État devrait-il laisser aux parents le redoutable pouvoir de façonner à leur guise la conscience des futurs citoyens ? À ceux qui trouveraient qu'insuffler une idéologie, une religion à un enfant est un droit parental, on pourra rétorquer que, il n'y a pas si longtemps, battre ses enfants ou sa femme était aussi un droit que peu de gens osaient remettre en cause. [...] Il n'est peut-être pas audacieux de dire que pour avoir une nation laïque, il faut à la base une famille laïque".
> Cette prise de position s'inscrit dans un débat qui dépasse largement le seul Québec; c'est en fait un débat occidental, qui se place du point de vue d'un individu que l'on rêve vierge de toute influence quelle qu'elle soit, et dont la liberté serait menacée par toute forme d'éducation privée et en particulier religieuse. Il y a quelques semaines, un tribunal de Cologne jugeait la circoncision "mutilante" pour les enfants et recommandait d'attendre l'âge du plein discernement pour qu'ils puissent accepter ou refuser ce geste. Un peu partout en Europe - on l'a vue notamment en France - des religieux s'insurgent contre certaines orientations prises par l'école, où l'on enseigne la théorie du gender comme scientifique dans les cours de biologie, quand il s'agit surtout d'une école philosophique. La question qui se pose, à la lumière de ces débats, est celle-ci: dans quelle mesure l'Etat, qu'il soit laïque ou non, peut-il faire ingérence dans l'éducation que donnent les parents?