En 1483, la même année que Luther, naissait, dans le Gloucestershire, William Tyndale. Il fit à Oxford de brillantes études. Il connaissait sept langues, l'hébreu, le grec, le latin, l'anglais, l'italien. l'espagnol, le français, et parlait, dit-on, chacune de ces langues de telle façon qu'on aurait pu croire que c'était sa langue maternelle. À l'université, il rencontra Érasme, qui avait depuis peu achevé la publication du Nouveau Testament grec. Tyndale devint promptement familier avec ce livre merveilleux. Sans doute, il l'étudia tout d'abord en savant. Mais il y trouva bientôt un intérêt supérieur. Comme Luther, et presque en même temps que lui, il lut et relut la Parole divine, et en fut remué jusque dans le fond de son être. Incapable de garder pour lui le trésor qu'il avait découvert, il exhorta les prêtres qu'il rencontrait à faire une étude personnelle de l'Écriture. Un jour, dans la chaleur d'une discussion, il fit sursauter tous ceux qui l'entendirent par une déclaration mémorable, à l'accomplissement de laquelle il consacra dès lors sa vie. «Il vaudrait mieux, disait son adversaire, nous passer des lois de Dieu que de celles du pape». Sur quoi Tyndale se leva, et s'écria, indigné : «Je défie le pape, et toutes ses lois, et si Dieu me prête vie, je ferai qu'en Angleterre le jeune garçon qui pousse la charrue connaisse l'Écriture mieux que le pape!»
Comme l'évêque de Londres, Tunstall, était un ami des lettres, Tyndale lui demanda la permission de travailler dans son palais et sous son patronage à la traduction du Nouveau Testament. Mais l'évêque, plus ami du grec classique que du grec du Nouveau Testament, répondit qu'il n'avait pas de place dans son palais, et qu'il lui conseillait de chercher ailleurs. Un négociant de Londres, Humphrey Monmouth, reçut Tyndale chez lui, et le jeune savant put, une année durant, se consacrer tranquillement à sa tâche.
Les rapports qu'il eut pendant cette année avec les ecclésiastiques de la cité lui montrèrent clairement que quiconque troublerait ces hommes dans leur repos n'aurait aucune pitié à attendre d'eux. Il voyait des gens emprisonnés et mis à mort pour avoir lu ou possédé les écrits de Luther. Il n'ignorait pas qu'une traduction de la Bible en anglais serait considérée comme autrement dangereuse que les livres du réformateur allemand. «Ce n'était pas seulement dans le palais de l'évêque, dit-il, mais encore dans toute l'Angleterre, qu'il n'y avait pas de place pour s'essayer à une traduction des Écritures».
Mais Tyndale n'était pas homme, après avoir mis la main à la charrue, à regarder en arrière. Il avait résolu que cette nouvelle invention, l'imprimerie, servirait à répandre la Parole de Dieu parmi le peuple, et il avait, sereinement, calculé la dépense. S'il fallait l'exil pour atteindre son but, il l'accepterait joyeusement. En mai 1524, il quitta, pour ne plus le revoir, son pays natal. Il se rendit à Hambourg, et là, souffrant de la pauvreté, constamment en danger, le vaillant exilé travailla à sa traduction, et si diligemment, que l'année suivante nous le trouvons à Cologne, confiant à l'imprimeur les feuilles de son Nouveau Testament in-4.
Une grande déception l'attendait. Il avait bien gardé son secret, et il espérait que dans quelques mois sa traduction serait répandue en Angleterre à des milliers d'exemplaires. Mais au moment même où il était tout entier à l'espoir, un message précipité vint l'arracher de chez lui, et le jeter, à moitié fou, chez son imprimeur. Saisissant toutes les feuilles sur lesquelles il put mettre la main, il s'enfuit de la ville. Des ouvriers imprimeurs trop bavards avaient éveillé les soupçons d'un prêtre du nom de Cochlaeus. Celui-ci, en les faisant boire, leur arracha leur secret, et sut ainsi qu'un Nouveau Testament anglais était sous presse. Plein d'horreur devant cette conspiration, «pire, pensait-il, que celle des eunuques contre Assuérus», il informa aussitôt les magistrats, et demanda que les feuilles fussent saisies. En même temps, il envoyait un messager en Angleterre pour avertir les évêques du danger. De là la consternation de Tyndale et sa fuite précipitée.
Avec ses précieuses feuilles, il se réfugia à Worms, où l'enthousiasme pour Luther et pour la Réformation était alors à son comble. Là, il vint enfin à bout de son dessein, et publia, en un format in-4, à trois mille exemplaires, le premier Nouveau Testament complet imprimé en anglais (1525). Puis il alla s'établir à Anvers et se mit à la traduction de l'Ancien Testament. Ayant achevé le Pentateuque, il mit à la voile pour Hambourg afin de l'y faire imprimer. Mais il fit naufrage et perdit presque tout ce qu'il possédait, en particulier ses manuscrits! Il put toutefois, sur un autre navire, achever son voyage, et arriva à Hambourg, où, aidé par un M. Coverdale, il refit sa traduction du Pentateuque. Il rencontra Luther à Wittemberg. Puis il revint à Anvers. Ceci se passait en 1529. Nous avons un peu anticipé. Revenons à 1525.
Après la publication de son Nouveau Testament, mis au courant des agissements de Cochlaeus, et n'ignorant point que les volumes seraient épiés avec un soin jaloux, il fit imprimer à trois mille exemplaires une seconde édition, plus petite, in-8, plus facile à cacher, et prit aussitôt ses mesures pour expédier en Angleterre sa dangereuse marchandise. Dans des caisses, dans des barils, dans des balles de coton, dans des sacs de farine, les volumes partaient, et, malgré toute la vigilance exercée dans les ports, un grand nombre arrivèrent et furent répandus au près et au loin dans le pays.
Les Nouveaux Testaments de Tyndale causèrent une commotion extraordinaire au sein du clergé. Le Nouveau Testament de Wyclef, quoiqu'il fallût des mois pour le copier et qu'il coutât fort cher, avait déjà causé pas mal de trouble. Et voici que ces volumes imprimés se déversaient dans le pays par centaines, et à un prix accessible à tous!
Des agents spéciaux surveillaient étroitement tous les ports. Souvent ils saisissaient les précieux volumes. Ceux qui les avaient fait pénétrer dans le royaume étaient arrêtés et condamnés à faire pénitence. On les faisait monter à cheval, la figure tournée vers la queue de leur monture, chargés d'exemplaires du livre prohibé, dont on les enveloppait par devant et par derrière, ou qu'on suspendait à leurs vêtements, et on les conduisait ainsi au bûcher où, de leurs propres mains, ils devaient jeter ces volumes.
Ainsi, ou autrement, des milliers d'exemplaires furent brûlés. On en brûla notamment à Londres, devant la cathédrale de Saint Paul, «comme un sacrifice de bonne odeur au Tout-Puissant». Tyndale ne se laissait pas émouvoir. Il savait qu'avec la machine à imprimer il pouvait défier tous ses ennemis. «Ils brûlent le Livre, écrivait-il : je m'y attendais. Et dussent-ils me brûler moi-même, si la volonté de Dieu est qu'il en soit ainsi, je dirais la même chose».
Il était de toute évidence qu'on ne pouvait pas empêcher les Nouveaux Testaments de Tyndale de pénétrer dans le pays. Alors l'évêque de Londres eut une idée lumineuse. Il demanda à Augustin Packington, un négociant qui était en relations d'affaires avec la ville d'Anvers :
«Que penseriez-vous d'acheter tous les exemplaires de ce Nouveau Testament qui sont au-delà du détroit?
- Monseigneur, répondit Packington — qui était un ami secret de Tyndale, si tel est votre bon plaisir, je puis vous aider sans doute plus qu'aucun autre négociant de l'Angleterre. Si seulement votre Seigneurie veut payer les volumes — car j'aurai de l'argent à débourser — je crois pouvoir vous assurer que vous aurez tous ceux qui ne sont pas encore vendus.
- Maître Packington, dit l'évêque — il croyait mener Dieu par le bout du doigt, ainsi que s'exprime un chroniqueur, quand c'était le diable, il le vit bien plus tard, qui le tenait par le poignet — faites hâte, procurez-moi ces livres. Je vous donnerai avec plaisir ce qu'ils coûteront, car ce sont de méchants livres, et je suis résolu à les détruire tous et à les brûler devant l'église Saint-Paul».
Quelques semaines plus tard, à Anvers, Packington cherchait et trouvait Tyndale, dont il savait que les ressources étaient fort réduites.
«Maître Tyndale, lui dit-il, je vous ai trouvé un bon acquéreur pour vos livres.
- Et qui donc? demanda Tyndale. — L'évêque de Londres.
- Mais si l'évêque veut ces livres, ce ne peut être que pour les brûler
- Eh bien, qu'importe? D'une manière ou de l'autre, l'évêque les brûlera. Il vaut mieux qu'ils vous soient payés, pour vous permettre d'en imprimer d'autres à leur place».
Et l'affaire fut conclue. L'évêque eut les livres, dit le chroniqueur, Packington eut les remerciements..... et Tyndale eut l'argent
Comme l'évêque de Londres, Tunstall, était un ami des lettres, Tyndale lui demanda la permission de travailler dans son palais et sous son patronage à la traduction du Nouveau Testament. Mais l'évêque, plus ami du grec classique que du grec du Nouveau Testament, répondit qu'il n'avait pas de place dans son palais, et qu'il lui conseillait de chercher ailleurs. Un négociant de Londres, Humphrey Monmouth, reçut Tyndale chez lui, et le jeune savant put, une année durant, se consacrer tranquillement à sa tâche.
Les rapports qu'il eut pendant cette année avec les ecclésiastiques de la cité lui montrèrent clairement que quiconque troublerait ces hommes dans leur repos n'aurait aucune pitié à attendre d'eux. Il voyait des gens emprisonnés et mis à mort pour avoir lu ou possédé les écrits de Luther. Il n'ignorait pas qu'une traduction de la Bible en anglais serait considérée comme autrement dangereuse que les livres du réformateur allemand. «Ce n'était pas seulement dans le palais de l'évêque, dit-il, mais encore dans toute l'Angleterre, qu'il n'y avait pas de place pour s'essayer à une traduction des Écritures».
Mais Tyndale n'était pas homme, après avoir mis la main à la charrue, à regarder en arrière. Il avait résolu que cette nouvelle invention, l'imprimerie, servirait à répandre la Parole de Dieu parmi le peuple, et il avait, sereinement, calculé la dépense. S'il fallait l'exil pour atteindre son but, il l'accepterait joyeusement. En mai 1524, il quitta, pour ne plus le revoir, son pays natal. Il se rendit à Hambourg, et là, souffrant de la pauvreté, constamment en danger, le vaillant exilé travailla à sa traduction, et si diligemment, que l'année suivante nous le trouvons à Cologne, confiant à l'imprimeur les feuilles de son Nouveau Testament in-4.
Une grande déception l'attendait. Il avait bien gardé son secret, et il espérait que dans quelques mois sa traduction serait répandue en Angleterre à des milliers d'exemplaires. Mais au moment même où il était tout entier à l'espoir, un message précipité vint l'arracher de chez lui, et le jeter, à moitié fou, chez son imprimeur. Saisissant toutes les feuilles sur lesquelles il put mettre la main, il s'enfuit de la ville. Des ouvriers imprimeurs trop bavards avaient éveillé les soupçons d'un prêtre du nom de Cochlaeus. Celui-ci, en les faisant boire, leur arracha leur secret, et sut ainsi qu'un Nouveau Testament anglais était sous presse. Plein d'horreur devant cette conspiration, «pire, pensait-il, que celle des eunuques contre Assuérus», il informa aussitôt les magistrats, et demanda que les feuilles fussent saisies. En même temps, il envoyait un messager en Angleterre pour avertir les évêques du danger. De là la consternation de Tyndale et sa fuite précipitée.
Avec ses précieuses feuilles, il se réfugia à Worms, où l'enthousiasme pour Luther et pour la Réformation était alors à son comble. Là, il vint enfin à bout de son dessein, et publia, en un format in-4, à trois mille exemplaires, le premier Nouveau Testament complet imprimé en anglais (1525). Puis il alla s'établir à Anvers et se mit à la traduction de l'Ancien Testament. Ayant achevé le Pentateuque, il mit à la voile pour Hambourg afin de l'y faire imprimer. Mais il fit naufrage et perdit presque tout ce qu'il possédait, en particulier ses manuscrits! Il put toutefois, sur un autre navire, achever son voyage, et arriva à Hambourg, où, aidé par un M. Coverdale, il refit sa traduction du Pentateuque. Il rencontra Luther à Wittemberg. Puis il revint à Anvers. Ceci se passait en 1529. Nous avons un peu anticipé. Revenons à 1525.
Après la publication de son Nouveau Testament, mis au courant des agissements de Cochlaeus, et n'ignorant point que les volumes seraient épiés avec un soin jaloux, il fit imprimer à trois mille exemplaires une seconde édition, plus petite, in-8, plus facile à cacher, et prit aussitôt ses mesures pour expédier en Angleterre sa dangereuse marchandise. Dans des caisses, dans des barils, dans des balles de coton, dans des sacs de farine, les volumes partaient, et, malgré toute la vigilance exercée dans les ports, un grand nombre arrivèrent et furent répandus au près et au loin dans le pays.
Les Nouveaux Testaments de Tyndale causèrent une commotion extraordinaire au sein du clergé. Le Nouveau Testament de Wyclef, quoiqu'il fallût des mois pour le copier et qu'il coutât fort cher, avait déjà causé pas mal de trouble. Et voici que ces volumes imprimés se déversaient dans le pays par centaines, et à un prix accessible à tous!
Des agents spéciaux surveillaient étroitement tous les ports. Souvent ils saisissaient les précieux volumes. Ceux qui les avaient fait pénétrer dans le royaume étaient arrêtés et condamnés à faire pénitence. On les faisait monter à cheval, la figure tournée vers la queue de leur monture, chargés d'exemplaires du livre prohibé, dont on les enveloppait par devant et par derrière, ou qu'on suspendait à leurs vêtements, et on les conduisait ainsi au bûcher où, de leurs propres mains, ils devaient jeter ces volumes.
Ainsi, ou autrement, des milliers d'exemplaires furent brûlés. On en brûla notamment à Londres, devant la cathédrale de Saint Paul, «comme un sacrifice de bonne odeur au Tout-Puissant». Tyndale ne se laissait pas émouvoir. Il savait qu'avec la machine à imprimer il pouvait défier tous ses ennemis. «Ils brûlent le Livre, écrivait-il : je m'y attendais. Et dussent-ils me brûler moi-même, si la volonté de Dieu est qu'il en soit ainsi, je dirais la même chose».
Il était de toute évidence qu'on ne pouvait pas empêcher les Nouveaux Testaments de Tyndale de pénétrer dans le pays. Alors l'évêque de Londres eut une idée lumineuse. Il demanda à Augustin Packington, un négociant qui était en relations d'affaires avec la ville d'Anvers :
«Que penseriez-vous d'acheter tous les exemplaires de ce Nouveau Testament qui sont au-delà du détroit?
- Monseigneur, répondit Packington — qui était un ami secret de Tyndale, si tel est votre bon plaisir, je puis vous aider sans doute plus qu'aucun autre négociant de l'Angleterre. Si seulement votre Seigneurie veut payer les volumes — car j'aurai de l'argent à débourser — je crois pouvoir vous assurer que vous aurez tous ceux qui ne sont pas encore vendus.
- Maître Packington, dit l'évêque — il croyait mener Dieu par le bout du doigt, ainsi que s'exprime un chroniqueur, quand c'était le diable, il le vit bien plus tard, qui le tenait par le poignet — faites hâte, procurez-moi ces livres. Je vous donnerai avec plaisir ce qu'ils coûteront, car ce sont de méchants livres, et je suis résolu à les détruire tous et à les brûler devant l'église Saint-Paul».
Quelques semaines plus tard, à Anvers, Packington cherchait et trouvait Tyndale, dont il savait que les ressources étaient fort réduites.
«Maître Tyndale, lui dit-il, je vous ai trouvé un bon acquéreur pour vos livres.
- Et qui donc? demanda Tyndale. — L'évêque de Londres.
- Mais si l'évêque veut ces livres, ce ne peut être que pour les brûler
- Eh bien, qu'importe? D'une manière ou de l'autre, l'évêque les brûlera. Il vaut mieux qu'ils vous soient payés, pour vous permettre d'en imprimer d'autres à leur place».
Et l'affaire fut conclue. L'évêque eut les livres, dit le chroniqueur, Packington eut les remerciements..... et Tyndale eut l'argent