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Manger halal, le licite selon l’islam
Malek Chebel - publié le 01/07/2014
Alors que des millions de musulmans ont débuté le Ramadan, le 28 juin, focus sur les pratiques alimentaires de l'islam, notamment la nourriture "halal" que le Coran invite les croyants à consommer.
En islam, les interdits alimentaires s’inscrivent dans le cadre général des interdits de type religieux. Ce cadre déborde le seul champ de la nourriture puisqu’il inclut les interdits sexuels, ceux liés à l’espace sacré comme La Mecque, ainsi que celui de la chasse et de la guerre tout au long des quatre mois sacrés que compte le calendrier musulman. Les questions alimentaires occupent une place non négligeable dans le Coran, et plus encore dans la Sunna (une des principales sources de la théologie et du droit islamiques). Le quatrième pilier de l’islam (c’est-à-dire les devoirs incontournables incombant aux musulmans) impose d’ailleurs une forte restriction en la matière, en décrétant un jeûne obligatoire tout au long du mois de ramadan, le 9e mois du calendrier lunaire, afin de commémorer la révélation du Coran au prophète Mohammed (sourate 2, 185). Sur le plan anthropologique, le jeûne du ramadan (çawm) – interdit alimentaire déplacé du profane au sacré pour des raisons de disette endémique et de répartition solidaire de la nourriture – fonctionne comme un frein à la propagation de la violence, cette dernière étant alors prohibée. Al-‘Ayni, théologien et commentateur de la parole du Prophète au XIVe siècle, réduit à trois les interdits diurnes liés au jeûne : ne pas manger, ne pas boire, ne pas coïter.
Le licite et l’illicite
En dehors du ramadan, il existe un certain nombre d’interdits alimentaires à proprement parler : tous ceux posés par la loi de Moïse sont repris tels quels par le Coran, l’islam ayant ajouté les boissons alcoolisées. Le verset principal qui délimite cette frontière entre le licite (halâl) et l’illicite (harâm) se trouve dans la sourate 5, La Table servie, au verset 3* : « Sont illicites (pour vous) la bête morte, le sang, la
viande porcine, et ce qui a été sacrifié au nom d’un autre dieu qu’Allah, la bête étouffée, la bête assommée, la bête morte à la suite d’une chute, celle morte d’un coup de cornes, celle qu’un fauve a dévorée exception faite de celle que vous avez réussi à égorger avant sa mort. Vous sont interdites aussi les bêtes immolées devant les bétyles (1) païens, ainsi que celles que vous vous partagez en les désignant au sort. » Le Coran indique en effet que les croyants musulmans observent les mêmes interdits que les Juifs (sourate 16, 118) et va jusqu’à préciser que les nourritures purifiées de ceux qui ont reçu le Livre précédemment, les « Gens du Livre » – c’est-à-dire les Juifs et les chrétiens –, sont permises aux musulmans.
Dans la réalité, cette extension est réduite au strict minimum et ne s’applique qu’aux individus confrontés à une situation d’extrême nécessité, réduits à des gestes de survie.
L’abattage rituel des animaux
Il existe différents types d’interdits alimentaires : certains sont « réparateurs » (l’interdit règle le problème de toute ingestion non rituelle) ; d’autres sont liés à un liquide particulier, le sang par exemple ; d’autres encore dépendent de la répulsion que les consommateurs éprouvent pour une
viande donnée (le porc, le sanglier, la truie, le marcassin) ; un interdit majeur est lié à la nature du sacrifice, puisque le Coran stipule très clairement et sans possibilité de contre-interprétation : « Ne mangez pas la
viande qui n’a pas été immolée au nom d’Allah, c’est une souillure, fisq » (sourate 6, 121). Enfin, un interdit spécifique est posé à l’endroit de toute boisson alcoolisée, vins, champagne, mousseux, mais aussi – à l’extrême – des drogues et substances hallucinogènes, héroïne, cocaïne, LSD. Ces interdictions ne visent pas l’élément naturel en lui-même – le raisin est consommé librement en terre d’islam, et le jus de raisin aussi –, mais ses effets : enivrement, ivresse, perte de libre arbitre et de contrôle de soi, agressivité. Lorsqu’une partie de chasse est engagée, le Coran précise que les proies ramenées au maître par les chiens de chasse sont permises à la consommation, à condition de prononcer la formule de la basmala, qui ouvre toutes les sourates, à l’exception de la neuvième : « Il vous est permis toutes les nourritures bénéfiques et ce que vous rapportent les rapaces que vous avez dressés comme des chiens de chasse (…). Mangez les proies que ceux-ci vous ont capturées, en ayant prononcé dessus le nom d’Allah… » (sourate 5, 4).
La tradition islamique, en outre, s’avère peu claire sur le statut de certaines espèces animales : peut-on sacrifier en lieu et place des ovins, toute une série d’animaux comme les ongulés, les camélidés et les équidés ? S’il est admis que les produits de la mer, poissons et crustacés de toutes sortes, sont admis à la table « bien servie » – titre de la sourate 5, Al-Ma’ida) du croyant, de nombreux animaux aquatiques sont, de fait, prohibés.
Tous ces interdits alimentaires s’appliquent de manière plus sévère qu’à l’ordinaire dans le cadre du calendrier liturgique, au moment de la prière, du jeûne et du pèlerinage. Théoriquement, tout manquement aux règles établies est sanctionné par une condamnation morale ou une réprimande, en général peu dissuasive, émanant d’un imam ou de toute autorité religieuse autorisée. Cette condamnation est levée lorsque l’un ou l’autre de ces interdits est transgressé par défaut (ainsi un fou qui mange une bête non immolée ne peut pas être coupable de son geste), ou pour des raisons d’extrême nécessité (famine, pénurie, guerre). L’état de santé d’un jeûneur, s’il est critique, lui donne aussi le droit de suspendre le ramadan pendant la durée du traitement, mais il doit ensuite rattraper les jours manqués, en guise de réparation. Même cas de figure pour une femme qui a interrompu le jeûne durant ses règles.
Une fonction sociologique
Quel sens donner aux interdits alimentaires ? Ils fonctionnent sans doute comme une barrière contre l’anomie religieuse, c’est-à-dire contre le risque de voir les croyants se perdre dans des pratiques animistes et profanes dénuées de correspondance symbolique, et ne permettant pas l’élévation mystique. Il est vrai que la trivialité est extrêmement redoutée par les autorités religieuses, comme en témoigne l’interdiction formelle des pratiques sexuelles des pèlerins, jugées profanes, pendant le pèlerinage à La Mecque – un autre des cinq piliers de l’islam, sans doute le plus spectaculaire de tous les rites musulmans.
L’autre fonction est sociologique : la transgression d’un interdit peut mettre en péril l’adhésion de l’individu à l’islam, car il pourrait craindre de se voir rejeté hors de la communauté. Cette fonction d’ordre est très suivie par les croyants, dès lors qu’elle s’applique aussi au repas convivial du mois de jeûne, et même dans la vie ordinaire.
Mais une question de taille se pose : la solidité d’une religion tient-elle à ses interdits, qu’ils soient alimentaires ou sexuels ? Certains imams ont développé la notion d’« interdits de circonstance », nouvelles normes individuelles qui peuvent aller à l’encontre des normes collectives élaborées par la communauté au fil des siècles. Au nom de ce principe, les imams se croient parfois permis d’exclure les « transgresseurs » (mûnafiqûn), dès lors que, à leurs yeux, ils outrepassent les règles établies.
De tels imams ont inventé pléthore d’interdits en vue de transformer tous les musulmans en ascètes, alors même que l’excès d’ascétisme est condamné aussi bien par le Coran (7, 31-32) que par le Prophète. Aujourd’hui, le fondamentalisme religieux est contesté par certains musulmans en raison du nombre élevé des empêchements qu’il inventerait abusivement, uniquement afin de cantonner les individus dans des postures immuables et leur refusant tout jugement critique. Pourtant, à l’heure où le libéralisme économique de la société capitaliste s’est étendu aux mœurs, les musulmans continuent à afficher leur attachement à l’alimentation halal. En règle générale, en effet, les musulmans observent leurs interdits alimentaires de manière bien plus scrupuleuse que le reste des interdits. Ils peuvent ne pas aller à la mosquée, mais se montrent plus que réticents à consommer un aliment interdit ou de l’alcool. À leurs yeux, Allah pourvoit à tout, étant entendu qu’il rend licite aux hommes les bonnes choses et leur interdit les mauvaises…
* Toutes les traductions du Coran présentées dans cet article sont de Malek Chebel.
(1) Bétyle : pierre sacrée symbolisant une divinité.